Auteur/autrice : Didier Percheron

Silence on meurt ! Toxico et malade en prison : un bref état des lieux

Parce que je suis un UD, que je milite à Asud et que j’ai passé plus que ma part de temps entre quatre murs, on finit toujours par me poser la question : alors, comment ça se passe en taule pour les toxicos ? Qu’est-ce qu’on fait pour ceux qui sont séropos ou malades ?

La réponse est en forme de cri de rage : RIEN ! ON N’EN PARLE PAS !

Car si hors les murs, on ne voit que trop souvent exclusion et loi du silence se donner la main – dans l’univers pénitentiaire cette alliance contre-nature se transforme en loi fondamentale.

Pourtant, quand on sait qu’une bonne moitié des personnes incarcérées sont usagers de stups par voie intraveineuse, on est fondé à soulever quelques questions de bon sens : quelle est la proportion de séropositifs parmi eux ? Existe-t-il une structure médicale capable de les accueillir ? Quels soins reçoivent-ils ?

ASUD04 fond graphiquePas d’accès aux soins

Là encore, une seule réponse s’impose : il y a carence à tous les niveaux. Pas de structures spécialistes. Pas de médecin permanent – tout juste une à deux infirmières pour 1000 à 2000 détenus … Et pour obtenir des soins et accéder à une consultation, il faut obligatoirement faire une démarche écrite et s’inscrire à l’avance sur une liste d’attente. Ce qui, en pratique, sous-entend des délais de plusieurs jours et plus fréquemment de plusieurs semaines ! A croire que le mot “urgence” est inconnu dans nos prisons… En somme, pour faire un bon taulard, il faut être en bonne santé !

Pourtant, on sait bien que si l’emprisonnement n’a jamais rien résolu, il constitue une aberration totale quand il s’agit d’usage de stupéfiants. Ne serait-ce que parce qu’il relève d’une véritable loi d’exception, la seule dans notre système légal à punir l’auteur d’un “délit” dont il est en même temps la victime. Une logique répressive devenue folle, dérogatoire aux principes mêmes de notre droit1 mais conforme en revanche aux “impératifs sécuritaires” sans cesse invoqués par l’Administration Pénitentiaire pour pouvoir, en toute bonne conscience, rejeter systématiquement les demandes d’hospitalisation émanant des toxicos – même “sidéens” à mort, ou presque.

Il faut savoir à ce propos que ces derniers, incarcérés comme nous l’avons vu en vertu d’une loi d’exception, se voient également octroyer en prison un “statut d’exception”. C’est à dire qu’ils sont automatiquement exclus du bénéfice de tous ces petits ou plutôt de ces tout petits “privilèges” normalement accordés par la loi aux prisonniers : permissions de sortie, etc …

L’enfer dans l’enfer

Quant au sevrage, pas difficile dès lors d’imaginer les conditions dans lesquelles il s’effectue : révoltantes – l’horreur à l’état pur. L’enfer à l’intérieur de l’enfer. Et en plus, pas de surveillance médicale, pas de médicaments – même pas un cachet d’aspirine. Il faut en effet attendre près d’une semaine aux “arrivants” avant l’affectation à une cellule, et la visite médicale obligatoire qui décidera de l’éventuelle prescription de médocs. Une semaine où le manque, alors dans sa phase aiguë et aggravée par le stress de l’arrestation/incarcération, se transforme facilement en une torture physique et morale insupportable. Ensuite, après le feu vert accordé à la hâte par le toubib qui en a vu d’autres, c’est la distribution à heures fixes de calmants et de somnifères. La fameuse “fiole”, moins destinée à calmer ou à soulager qu’à assommer et abrutir – empêcher le toxico d’emmerder son monde en troublant par ses cris de rage et de douleur le sommeil sans rêve de l’institution. Pour le reste, à chacun de gérer comme il peut ses angoisses et sa souffrance dans la pesante hostilité du milieu carcéral.

Alors bien sûr, pour ce qui est de se restructurer psychologiquement, bonjour la déprime ! Et qu’on n’aille pas ensuite s’étonner du nombre inquiétant de tentatives de suicides, réussies ou non.

Sang contaminé

Qu’on ne s’étonne pas non plus d’avoir vu, depuis 1993, des groupes de plus en plus nombreux de détenus refusant de se rendre au “don du sang”. Il s’agissait pourtant là en principe d’une pratique positive, s’inscrivant – comme “ils” disent – dans une démarche de réinsertion faisant appel au civisme (quoique, en y repensant à la lumière de certains évènements récents… Pas vrai Garretta ? Pas vrai Georgina ?).

Alors pourquoi cette attitude de refus de la part des détenus ? Précisément parce qu’ils étaient bien placés pour, dès le début, se poser certaines questions quant à la fiabilité de cette pratique de don du sang. Une pratique attestée par le courrier adressé par certains d’entre eux à leurs directeurs de prison, allant même jusqu’à interpeller l’IGAS.

Inutile de dire qu’à ce jour, les réponses se font toujours attendre. De même que les résultats de leurs efforts pour sensibiliser les médias au problème…

Bref, si rapide soit-il, c’est vrai que ce survol de l’état des lieux fait peur. Et qu’il amène à se demander si la démocratie et les Droits de l’Homme ne sont pas chez nous comme une sorte de trésor jalousement gardé au bénéfice de quelques-uns. Et inaccessible au plus grand nombre, à cette piétaille où la société recrute ses gibiers dé prison.

ASUD04 fond graphique 2Dénoncer l’urgence

Et c’est vrai que ça se met à puer salement dès qu’on soulève un coin de ce tapis couleur de grisaille et de barreaux sous lequel notre belle société tente de cacher le résultat de ses insuffisances. A tel point qu’il ne s’agit pas de provoquer ni de critiquer, mais juste de réagir à l’urgence d’une réalité inadmissible. L’urgence de la maladie. L’urgence des toxicos qui crèvent du SIDA dans l’indifférence de leurs geôliers. Ou encore de ceux qui se balancent contre les murs ou bien, un matin de manque, s’ouvrent les veines en silence avec une lame bricolée en douce ?

Et dénoncer cette urgence, c’est aussi garder présent à l’esprit le fait qu’une des causes premières de l’exclusion qui frappe les UD, ce n’est pas on ne sait quelle malignité du produit, mais plutôt l’alliance scellée sur l’autel de la prohibition entre l’ordre moral cher à nos flics et à nos matons et l’économie souterraine du trafic. Un mariage d’intérêt dont la cheville ouvrière reste l’infernal besoin d’argent du toxico pour se procurer un produit dont la prohibition assure artificiellement la rareté – donc la cherté – tout en créant sur mesure un délit à coller sur les épaules des déviants et des rêveurs. De quoi remplir à la fois les poches des uns et les cellules des autres. Mafia et répression même combat !

Il s’agit là d’une véritable machine à fabriquer de l’exclusion. Et qui fonctionne avec, au bout de la chaîne, son produit logique : l’usager exclu,marginalisé, entraîné vers une déchéance physique et sociale inéluctable. Le fameux engrenage marginalité – clandestinité – délinquance … Une mécanique bien huilée dont le fonctionnement exclut la notion même de prévention – qu’il s’agisse de celle du SIDA, ou de n’importe laquelle de ces calamités physiques comme sociales qui font crever l’usager de drogue. A petit feu ou d’un seul coup, au hasard des emballements et des à-coups de la machine infernale.

STOP

Alors il faudrait poser carrément la question aux Pouvoirs Publics : est-ce qu’on arrête tout ça oui ou non ? Est-ce qu’on stoppe le système exclusion – répression – SIDA ? Ou bien va-t-on attendre que le problème se règle tout seul par l’extermination des toxs jusqu’au dernier ? En bon français, ça s’appelle la solution finale.

Et, en radicalisant le problème jusqu’à la monstruosité, la condition des UD (surtout séropo ou malades) en taule a le mérite de proposer une alternative claire : ou bien “ça”, la solution finale, ou bien le dialogue et la concertation avec l’usager. L’usager considéré non plus comme un délinquant, mais comme un citoyen conscient, responsable, avec ses idées et son mode de vie à lui. Un mode de vie que, même malade, même crevant de manque au fond de la plus noire cellule, il reste prêt à échanger contre la promesse de cette mort annoncée.


1Art. 4 du préambule de la déclaration universelle des Droits de l’Homme : “La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui”

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