Auteur/autrice : Bernard Bertrand

Salle de consommation : revue de littérature internationale

Apparues au Royaume-Uni et aux Pays-Bas dans les années 1960, les Salles de consommation de drogues à moindres risques (SCMR) telles que nous les connaissons aujourd’hui ont pris forme dans le milieu des années 1980. D’abord en Suisse (1986), en Allemagne (1994) et aux Pays-Bas (1996), puis dans d’autres pays comme l’Espagne, le Luxembourg, la Norvège, l’Australie et le Canada dans les années 20001. Différentes publications permettent désormais d’en démontrer l’efficacité.

De nombreux documents examinés par des pairs ou issus de la littérature grise2 – notamment Suisse et Canadienne –présentent ou évaluent des études sur le fonctionnement et l’incidence des SCMR. Nous nous sommes principalement intéressés à 3 évaluations internationales basées sur les revues de la littérature et des statistiques internes de ces SCMR : celles de l’European Monitoring Centres for Drugs and Drug Addiction3, du National Drug and Alcohol Research Centre d’Australie4 et de l’Institut national de santé publique du Québec5. Nous avons également étudié les évaluations nationales existant sur les SCMR de Genève, Bâle et Bienne (Suisse), Berne (Allemagne), Vancouver (Canada), Sydney (Australie) et Oslo (Norvège).

Réduire les risques…

D’après K. Dolan et al. (2000), D. Hedrich (2004) et L. Noel et al. (2009), la population visée par les SCMR a été atteinte dans tous les pays où elles ont été implantées. Il s’agit surtout de consommateurs de drogues de longue date, de ceux qui consomment leur substance dans les espaces publics ou semi-publics, de consommateurs « sans chez eux » ou ayant recours à la prostitution. Les SCMR permettent également de toucher une partie de la population vieillissante des consommateurs de drogues. Certaines salles suisses possèdent des prestations spécialement destinées aux femmes avec plages horaires spécifiques et possibilité de consulter un gynécologue, par exemple. Enfin, les SCMR reçoivent de nombreuses personnes n’ayant jamais eu de contact antérieur avec des structures de soins et permettent de créer un contact avec une population qui n’aurait pas forcément recherché d’aide. Elles permettent d’avoir accès à une médecine de premier recours et aux systèmes de soins. De nombreuses études démontrent en outre un effet positif en matière de « ré-insertion » sociale : de nombreux consommateurs restaurent en effet leur identité et leurs liens sociaux grâce au sentiment d’appartenance à un groupe ou au contact et aux échanges constructifs avec les intervenants (F. Benninghoff et al., 2003).
En favorisant l’accès à l’information, à l’éducation et à du matériel stérile, les SCMR aident par ailleurs à réduire les conduites à risque et la mortalité liée aux overdoses. La grande majorité des consommateurs estime ainsi avoir amélioré ses conditions de consommation et selon l’évaluation réalisée au Quai 9 (Genève), seule une fine minorité de consommateurs persiste dans des pratiques à risque. Si la prévalence du VIH a considérablement diminuée, il n’existe à ce jour très peu d’études épidémiologiques sur le lien SCMR/diminution de la prévalence VHC6. Le MSIC Evaluation Committee (2003) montre toutefois que les nouveaux cas d’hépatite C (diagnostiqués entre 1998 et 2002) ont continué à augmenter dans tout Sydney, sauf dans le quartier d’implantation de la SCMR !

… et les nuisances

Les SCMR permettent une diminution des consommations dans les lieux publics ou semi-publics. Dans un sondage effectué auprès de consommateurs de salles allemandes, 31% des répondants estimaient que cet aspect était l’un des principaux points positifs des SCMR et qu’ils aimeraient ne plus avoir à consommer dans des scènes ouvertes. Ce type de structures était le lieu de consommation principal de 64% d’entre eux (D. Hedrich, 2004). Un questionnaire passé auprès de consommateurs de structures bas seuil sans SCMR dans la ville de Lausanne a démontré, à l’inverse, que 60% des répondants consommaient à domicile (T. Huissoud, S. Arnaud et F. Dubois-Arber, 2005). Une étude française sur la perception de l’utilité des SCMR (B. Bertrand, 2001) révèle pour sa part que 56,6 % de la population interrogée est favorable à ce type de structure.
Des enquêtes réalisées auprès du voisinage, de différents acteurs politiques et de policiers montrent une diminution des nuisances publiques, et notamment du nombre de seringues souillées laissées sur la voie publique. N. Boyd (2008) a démontré que la délinquance (trafic, incivilité, prostitution, crimes violents, etc.) avait diminué après l’installation d’Insite (Vancouver). À noter, que les auteurs insistent sur le fait que les SCMR ne peuvent pas à elles seules enrayer les différents processus menant les consommateurs de substances à la commission d’actes délictueux.
Dr. A. M. Bayoumi (2008) a établi l’existence d’un lien de cause à effet entre Insite (Vancouver) et la question économique pour la cité. Les économies s’élèveraient ainsi à 10,3 millions d’euros et 920 années de vie gagnées en dix ans, en supposant que le seul effet d’une SCMR soit de réduire le partage de seringues, 14,7 millions d’euros et 1 175 années de vie gagnées si on estime que les SCMR ont également un rôle dans l’éducation à l’injection, donc sur la santé globale des personnes.

Meilleure gestion des consommations

Parmi les arguments s’opposant à l’idée même de l’ouverture d’une SCMR, D. Hedrich (2004) évoque la banalisation hypothétique de la consommation de drogues qui pourrait, selon certains, aboutir à un maintien ou à une augmentation de la consommation, voire à une augmentation du taux de mortalité. En réalité, aucune étude ne démontre ce risque (F. Zobel et F. Dubois-Arber, 2004). Dans l’évaluation de Quai 9 (Genève), F. Benninghoff et al. (2004) montrent un lien de cause à effet entre d’une part, une meilleure gestion ou une diminution de la consommation et d’autre part, l’espace créé par les échanges avec les intervenants, le temps d’attente pour entrer en salle de consommation et une plus grande tranquillité dans l’acte de consommer.
Autre hypothèse soulevée par ces auteurs : rendre la consommation aussi confortable pourrait créer une habitude à fréquenter ces locaux et entraver ainsi la volonté des usagers d’accéder à l’étendue des offres médicales existantes ou de débuter un traitement. La majorité des utilisateurs des SCMR sont pourtant en traitement, et il n’y a pas d’impact négatif sur le maintien de celui-ci (F. Zobel et F. Dubois-Arber, 2004).Le MSIC Evaluation Committee (2003) montre au contraire que les demandes de sevrage et de traitement de substitution ont augmenté de 30% depuis l’ouverture d’Insite (Vancouver).

Alors que les oppositions françaises à l’implantation expérimentale de SCMR reposent plus sur un discours moralisateur que sur les résultats de recherches scientifiques, l’analyse de la bibliographie sur les SCMR démontre qu’il n’y a aucun effet néfaste sur les personnes et sur l’environnement. Comme le soulignent L. Noel et al. (2009), les SCMR sauvent des vies à court terme et permettent à long terme une réinsertion dans un mode de vie plus « classique ».


1) On compte aujourd’hui 78 SCMR officielles réparties dans 44 villes dans le monde, la majorité sur le sol européen (31 aux Pays-Bas, 17 en Suisse, 20 en Allemagne, 6 en Espagne, 1 au Luxembourg, 1 en Australie, 1 au Canada et 1 en Norvège).
2) La littérature examinée par des pairs fait référence à des documents soumis à des experts du domaine qui les évaluent avant leur publication. La littérature grise fait référence à des documents qui ne transitent pas par le circuit habituel de la recherche universitaire (documents gouvernementaux, thèses, rapports scientifiques…). Bibliographie disponible sur www.salledeconsommation.fr / rubrique Littérature.
3) Dagmar Hedrich, European report on drug consumption rooms, OEDT, 2004.
4) Kate Dolan et al., Drug consumption facilities in Europe and the establishment of supervised injecting centers in Australia, Drug and Alcohol Review n°19, 2000, p.337-346.
5) Lina Noel et al., Avis sur la pertinence des services d’injection supervisée. Analyse critique de la littérature, INSP Québec, juin 2009.
6) Les SCMR ont été mises en place pour lutter contre le VIH à une époque où les hépatites étaient encore mal connues. L’attention était portée sur le non-partage de seringues, pas sur celui du petit matériel (cuillère, filtre, eau…), ce qui est chose faite aujourd’hui. Il faudra attendre de nouvelles études scientifiques pour valider l’hypothèse que les SCMR ont une incidence réelle sur la prévalence des hépatites.

« Vous allez crever avec votre drogue… mais proprement ! »

Bernard Bertrand, créateur du site salledeconsommation.fr, nous fait part des messages qu’il a reçu sur son site suite à l’action « une salle de consommation à moindre risque à Paris », organisée le 19 mai dernier par le collectif « Asud, Anitea, ActUp Paris, Gaia, Safe, SOS Hépatites Paris, salledeconsommation.fr »

« Vous allez crever avec votre drogue… mais proprement ! »
Cette phrase édifiante, fut envoyée par un auteur anonyme sur le site http://www.salledeconsommation.fr suite à l’ouverture d’une salle de consommation à moindre risque (SCMR) à Paris lors de la journée mondiale des Hépatites.

Dire d’abord que les SCMR entretiennent la consommation de drogues car c’est bien de cela qu’il s’agit, c’est remettre en cause la politique de Réduction des risques alors que les résultats plus que positifs ne sont plus à démontrer.
Les SCMR font partie intégrante de cette politique, pragmatique qui vise à minimiser les dommages sanitaires et sociaux, alors même que les personnes sont encore dans une phase de consommation. En d’autres termes, il s’agit de maintenir et de préserver l’état de santé et l’intégration sociale des personnes consommatrices.

En France et ailleurs dans le monde, il existe d’autres offres qui s’inscrivent dans ce cadre : on peut mentionner la possibilité de manger gratuitement, de se laver, de dormir pour une somme modique, etc. Ces mesures s’adressent à toute personne – toxico-dépendante ou non – qui se trouve dans une situation de grande précarité. Ces offres font partie des mesures traditionnelles que propose un pays pour venir en aide aux plus démunis et ne sont pas contestées.

La question des SCMR est plus délicate, car elle s’adresse spécifiquement à des consommateurs de drogues et, c’est là que le bât blesse, car soutenir l’ouverture de SCMR demande l’acceptation, dans notre société (comme dans toutes les autres) de l’existence de personnes qui consomment des drogues. Cela demande également d’accepter, dans l’immédiat, notre impuissance à « aider » et à « guérir », ainsi que notre colère devant cette souffrance visible. La répression ne peut, à elle seule, répondre à cette problématique. Alors que faire ?

Nous, professionnels, soutenons qu’il faut être avant tout réaliste pour préserver la santé des consommateurs de drogues et leurs liens avec les dispositifs socio-sanitaires. Cette approche, qui repose sur le postulat que l’on ne peut contraindre une personne à entreprendre une sortie de dépendance, implique qu’il faut accepter les toxicomanes et les aider lorsqu’ils le demandent. Dès lors, pourquoi leur refuser des conditions décentes de consommation ?

Ensuite, il est curieux n’est-ce pas, comme chacun d’entre nous a un avis, en général bien tranché et assez simpliste, sur ce qu’il convient de faire ou pas faire pour les toxicomanes ?
La question des SCMR commence à susciter beaucoup de fantasme de ceux qui font de la guerre à la drogue, une guerre aux drogués.
Notre position individuelle ou collective sur la question des dépendances ne doit pas être liée à notre position vis-à-vis des personnes toxico-dépendantes. La question n’est pas tant d’être « pour ou contre les drogues » – sur cette question nous sommes majoritairement tous d’accord – mais plutôt de nous interroger sur notre capacité à tolérer des toxicomanes dans notre société. Cette position est certes plus délicate et mérite d’être débattue, mais elle permet d’être contre la consommation de drogues sans pour autant être contre les toxicomanes.
Il faut s’y faire, même si l’on souhaite l’abstinence et la réinsertion pour tous les consommateurs de drogues, ceci ne se fait pas en un « claquement de doigts » et cette démarche prend du temps. Pendant ce temps, autant que les pratiques de consommation soient le moins dommageables possible. Alors OUI aux salles de consommation à moindre risque, à comprendre comme une mesure intelligence, pragmatique, un outil supplémentaire à apporter dans le dispositif français pour les toxico-dépendants qui vise à permettre aux plus vulnérables d’accéder à des structures d’aide, d’accompagnement et de soins.
Encore un peu et l’auteur anonyme en question va m’accuser de faire de la psychologie de bas étage, mais si la réponse aux problèmes que pose la toxicomanie était simple, cela se saurait depuis longtemps !

Rappel

Les Salle de Consommation de drogues à Moindre Risque (SCMR) permettent de :
1) Réduire les problèmes de Santé pouvant découler de la consommation de drogues :

  • Limiter l’incidence de la transmission des Hépatites virales (VHB et VHC), du VIH et autres virus transmissibles par le sang ;
  • Réduire le développement d’abcès, d’endocardites et d’autres problèmes de santé pouvant résulter de la consommation de drogues lorsque celle-ci se déroule dans un cadre non-hygiénique (Cage d’escalier ; Entrée d’immeuble ; Shooting galleries ; Pîqueries ; Squats ; Toilettes publiques ; Square…).

2)Réduire les nuisances associées à l’usage de drogues dans les lieux publics et semi-publics :

  • Réduction de la visibilité de l’usage ;
  • Réduction de la criminalité ;
  • Réduction du nombre de seringues usagées laissées à la traîne dans l’environnement (Réduction de l’incidence de la transmission de maladies virales et les accidents par piqûre accidentelle).

3)Améliorer l’accès aux services socio-sanitaires et thérapeutiques chez les consommateurs de drogues les plus marginalisés :

Il s’agit d’améliorer l’accès aux soins et de toucher les consommateurs qui n’utilisent pas les services socio-sanitaires et/ou thérapeutiques.

4)Promouvoir l’éducation aux risques liés à l’usage de drogues :

Les SCMR permettent une éducation et information sur les pratiques de consommation à moindre risque directement au moment de l’acte. Cette éducation et cette information sont adaptées aux risques observés contrairement aux programmes d’échange de seringues qui envoient un message sibyllin : « Nous savons que certaines personnes consomment des drogues et afin de diminuer les risques sanitaires, nous leur donnons des seringues et autres matériels stériles, mais en revanche, nous ne voulons pas les voir consommer devant nous et encore moins dans nos structures ».

5) Réduire les coûts des services de Santé liés à la consommation de drogues :
Le rapport coût-efficacité avantageux de l’instauration de SCMR doit inciter les décideurs politiques à l’action :
Outre la perte tragique et coûteuse de vies humaines, certains méfaits peuvent être évités ou atténués et entraîner des gains sur le plan économique en soins de la Santé (traitement pour maladies chroniques, services d’urgence…) à l’instar de la mise en place des programmes d’échange de seringues pour limiter la propagation du VIH.
Les coûts d’application de lois répressives de lutte contre la délinquance et de la toxicomanie peuvent également diminuer : ces ressources pourraient alors être consacrées à la prévention, au traitement et aux soins de Santé.

Salle de consommation à moindre risques : et la France ?

Les premières salles de consommation à moindre risque (SCMR) ont été implantées en Suisse à la fin des années 80. Aujourd’hui, il en existe aussi aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne, en Australie, au Canada, en Norvège, et depuis juillet 2005, au Luxembourg, le neuvième pays à ouvrir une SCMR pour usagers de drogues.
Actuellement, ce sont donc 78 structures dans 45 villes du monde qui ont opté pour ce type de programme.
Et la France ? Un dossier concocté par Bernard Bertrand.

Les salles de consommation à moindres risques sont des lieux où les personnes qui consomment des drogues ont la possibilité de le faire au moyen de matériel stérile, sous encadrement de professionnels formés. Aucune drogue n’est fournie sur ces lieux et les professionnels n’aident pas à son administration.
Elles ont pour objectifs de :
– réduire les problèmes de santé pouvant découler de la pratique de consommation (contamination par le VIH et les hépatites, abcès, surdose, etc.);
– réduire les nuisances associées à la consommation de drogues illicites dans les lieux publics et semi-publics ;
– améliorer l’accès aux services socio-sanitaires et thérapeutiques;
– et offrir un contexte de consommation qui libère de toute crainte d’appréhension policière et de violence.
Aujourd’hui, les associations d’autosupport, de réduction des risques et de lutte contre le sida, certains élus, les professionnels du champ sociosanitaire, différentes instances d’experts comme le Conseil national du sida, le Comité stratégique du programme national hépatites virales, l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (des instances créées par l’État français), le Conseil de Senlis (centre de réflexion qui regroupe des experts internationaux) et le Réseau des bases factuelles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) demandent de passer à cette nouvelle étape. Dès 2004, le rapport de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) sur les salles de consommation (1) reconnaissait que celles-ci « remplissent leur objectif» et mettait en évidence qu’elles «parviennent à établir un contact avec un groupe hautement problématique de consommateurs de drogues et à promouvoir l’accès de ceuxc-i à des soins de santé primaires dont ils ont grandement besoin ainsi qu’aux services sociaux et de traitement. Le taux de morbidité et les risques de mortalité, ainsi que la nuisance suscitée par consommation de drogue en public, sont consommateurs de drogue à un matériel
d’injection. »

Question d’éthique

L’ouverture ou non des salles de consommation à moindres risques ne semble désormais qu’une question éthique puisque le décret n° 2005-347 du 14 avril 2005 ouvre la possibilité d’expérimenter des salles de consommation(2). C’est d’ailleurs ce que le président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), Didier Jayle, tente de nous expliquer : «Organiser officiellement l’injection de produits illicites pose un problème éthique.» Les politiques de lutte contre la toxicomanie menées sous l’égide de la loi du 31 décembre 1970 n’en soulèvent-elles pas? Est-il éthique d’empêcher l’accès à des mesures de réduction des risques telles que les salles de consommation à moindre risque, en présence d’une somme considérable de résultats d’autres pays qui en démontrent l’efficacité ? Est-il éthique, comme le souligne David Roy (3), «de conserver des approches fondées sur la criminalisation pour contrôler l’usage de drogues alors que ces stratégies échouent à rencontrer les objectifs pour lesquels elles avaient été conçues [Voir également les propos tenus en décembre dernier par Nicolas Sarkozy qui, pour lutter contre les trafiquants, veut s’attaquer aux clients] ; qu’elles engendrent des maux qui sont d’ampleur équivalente à, ou pire que, celle des maux qu’elles sont supposées prévenir ; qu’elles intensifient la marginalisation de personnes vulnérables et qu’elles favorisent la montée au pouvoir d’empires violents et socialement destructeurs? Est-il éthique de continuer de tolérer avec suffisance l’écart tragique entre ce que l’on peut faire et devrait faire, dans l’ensemble des soins aux utilisateurs de drogues, et ce qui est fait dans la réalité, devant les besoins fondamentaux de ces personnes? Est-il éthique de conserver des politiques et des programmes qui insistent sur l’abstinence de l’usage de drogues d’une manière si unilatérale et si utopique qu’on laisse de côté l’urgence qui appelle une attention plus immédiate : celle de réduire les souffrances des utilisateurs de drogues et d’assurer leur survie, leur santé et leur croissance vers la liberté et la dignité? Et n’est-il pas impératif de reconnaître, avec toutes les conséquences éthiques de cette réalité éthique, que les personnes qui font usage de drogues possèdent la même dignité que tous les autres êtres humains?»
La question éthique fondamentale n’est-elle pas l’impératif de prendre adéquatement soin des utilisateurs de drogues ? Inaction consternante Les consommateurs de drogues frontaliers, notamment avec la Suisse, ont compris l’importance de cet outil de réduction des risques et des dommages et l’utilisent. Une étude menée en 2003 par un collectif d’intervenants en toxicomanie de Mulhouse montre que 73,6% des consommateurs sont favorables à l’ouverture d’une salle de consommation à moindres risques(4). Cette étude mulhousienne concluait par : «On ne peut pas se permettre de retarder encore une action qui se fait attendre depuis déjà trop longtemps en continuant à faire des enquêtes qui nous montrent toujours les mêmes résultats, en parlant d’actions pragmatiques que d’autres pays ont déjà faites et évaluées depuis des années. La tragédie sociosanitaire et psychologique parmi les utilisateurs de drogues va se poursuivre encore pendant plusieurs années – en sachant que l’on aurait pu en prévenir au moins une partie si les gouvernements étaient allés au-delà de stratégies électives, au profit d’une réelle action pour faire face aux problèmes immédiats. Jusqu’ici, l’inaction est consternante.
En attentant, sans une action immédiate remédiant à cette situation, de nombreux usagers de drogues continuent de contracter des infections mortelles. »

Note :
(1) Hedrich D., 2004 (february), European report on drug consumption rooms, European Montoring Centre for Drugs and Drug Addiction. Site Web : <http://www.emcdda.eu.int/>.
(2) JO du 15 avril 2005, approuvant le référentiel national des actions de réduction des risques en direction des usagers de drogue et complétant le code de la santé publique.
(3)Roy D., 1999, L’injection de drogue et le VIH/sida : questions juridiques et éthique, Documents de fond, Réseau juridique canadien VIH/sida.
(4)Bertrand B., Sartori M. et Gérome M.L., 2003, Vers l’ouverture d’une structure d’accueil et de consommation à Mulhouse. Résultat de l’enquête interassociative, Mulhouse, ARGILE.
(5)Selon la littérature, une pîquerie est une salle de consommation non autorisée gérée par les consommateurs de drogues.

La « salle de shoot » d’Asud Montpellier

En mai 1994,Asud-Montpellier mettait les autorités françaises dans l’embarras avec l’ouverture d’une salle d’injection… de médicaments prescrits par des médecins (Temgésic®, Orténal®, Monscontin®, etc.).
Officiellement inaugurée le 7 octobre 1994 en présence du maire de la ville et de nombreux médecins et pharmaciens
lors d’une réception offerte par Bernard Kouchner, la petite maison de la rue du Pont-des-Lattes aura permis à une vingtaine de personnes de s’injecter à moindre risque.

Située derrière la gare ferroviaire de Montpellier, en face d’une usine à gaz, la «maison d’accueil » affichait sur sa porte d’entrée la liste des pharmaciens de garde. La salle d’injection était une pièce de 10 mètres carrés avec une table, des chaises, un lavabo, des plantes vertes et un conteneur pour les seringues usagées. Aux murs, des affiches de prévention en plusieurs langues, des articles de presse, une affiche de Bob Marley et des étagères où étaient stockés seringues, cuillères, tampons alcoolisés, etc. Un règlement rappelait l’utilisation de la salle : «Casser les aiguilles de seringues après usage et les jeter dans la poubelle prévue à cet effet ; Garder le lieu propre et ne pas y pénétrer à plus de deux. » Pas de consommation d’héroïne ni de cocaïne, mais uniquement de traitements prescrits par des médecins. À l’étage, les bureaux d’Asud avec 5 salariés et des bénévoles.

Le 1er décembre 1994, le préfet de l’Hérault, Charles-Noël Hardy, déclarait que la salle d’injection « n’était pas illégale » car « si la substitution par injection est répréhensible aux yeux du code de la santé… elle ne l’est pas à ceux de la loi». Pour le commissaire de police Parat, «l’association ne troubl[ait] pas l’ordre public» et « nous n’av[i]ons pas constaté d’infraction, il n’y a[vait] donc pas de raison d’intervenir ».
Mais malgré le soutien des médecins, des pharmaciens, d’associations comme Aides, Médecins du monde, Ensemble contre le sida, et du maire, Georges Frêche, qui estimait que « […] cette salle [devait] continue[r] de fonctionner comme premier sas d’accueil de toxicomanes candidats à la substitution», la Direction générale de la santé (DGS) mis fin à la salle d’injection au courant de l’été 1995 (1).

L’auto-évaluation d’Asud-Montpellier chiffre à 594 le nombre de visites à la «maison d’accueil » durant les 3 derniers mois de 1994. 364 injections de Temgésic®, 32 d’Orténal® et 57 de Monscontin® ont été dénombrées pendant cette période dans la salle d’injection propre fréquentée par une vingtaine de personnes
par jour (2).


ERLI – Fabrice Olivet, ASUD – L’expérience de Montpellier par AFRdR

(1) Sources : Revue de presse ASUD National, 1994-1995.
(2) Montaucieux C., La « shootéria » de Montpellier s’impose sans convaincre, Le Journal du Sida, n° 70-71, p. 22, 1995 (février-mars).

© 2020 A.S.U.D. Tous droits réservés.

Inscrivez-vous à notre newsletter