Auteur/autrice : Pierre Chappard

Sur internet la Prohibition c’est (presque) fini

Les nouveaux produits de synthèse (NPS), comme le Darknet sont issus de la prohibition : c’est parce que la prohibition existe que le Darknet existe et que les nouveaux produits de synthèse existent. Après les libraires, la musique et même les taxis, les drogues sont en train de faire leur révolution Internet.

Pierre Chappard est coordinateur du Réseau Français de Réduction des risques et président de PsychoACTIF. Avant ça il a été entre autre président d’Act Up – Paris et de Keep Smiling, mais aussi chargé de projet à ASUD de 2007 à 2012 pour représenter les usagers et s’occuper du forum.

Pécho sur le net
Cet article fait partie du dossier « Pécho » sur le net.

Les NPS ont été créés pour contourner les lois existantes. Leur apparition médiatique remonte à la fin des années 2000, surtout en France avec la méphédrone et le spice.

Un marché en train d’exploser

Seules quelques dizaines de NPS sont vraiment intéressantes mais le marché est en train d’exploser : 154 NPS identifiés en France depuis l’an 2000, dont 80 % ces cinq dernières années, selon l’OFDT. Aujourd’hui, chaque classe de drogue habituelle a son équivalent en NPS. On comptait plus de 600 sites de vente en 2012, des sites faisant des promotions et du service après-vente comme pour n’importe quel autre produit. Après l’interdiction de l’éthylphénidate le 9 avril 2015 en Angleterre, on pouvait en trouver à mille euros le kilo. Les produits ne sont pas chers (entre 10 et 20 € le gramme) et leur prix baisse très vite selon la quantité.

Promo éthylphénidate

Un exemple de promotion publique sur un shop « officiel » anglais suite à l’interdiction de l’éthylphénidate.

Que la plupart ne soient pas illicites ne veut pas pour autant dire qu’ils soient légaux car ils ne sont pas autorisés à la consommation humaine. C’est pour ça qu’ils sont vendus comme « Research Chemicals » (RC), qui veut dire « produits chimiques de recherche » pour contourner les lois sur la consommation.

Les produits vendus sur le Darknet (Lire Darknet, mode d’emploi) vont même jusqu’à imiter la forme des drogues, pas seulement leurs effets. On trouve par exemple de la fausse herbe saupoudrée aux cannabinoïdes de synthèse, des buvards qui imitent le LSD… Nous n’avons à l’heure actuelle pas de recul sur les NPS quant à leurs effets à moyen et long terme [Ndlr : et parfois même à court terme !]. Un des gros problèmes des RC. Autre souci : les produits ne sont pas contrôlés, sachant que beaucoup d’entre eux sont fabriqués en Chine, en Inde et au Pakistan et sont parfois encore plus dangereux (Lire Les pièges de l’achat de drogues en ligne).

« Faire de la RdR sur des produits comme ça est ce qu’il y a de plus dur parce que définir un dosage ou un protocole d’administration quand on ne connaît ni la molécule ni les proportions qu’il peut y avoir dedans… On est plutôt dans l’anti-RdR parce qu’on ne peut pas prévenir quelque usager que ce soit des effets secondaires ou des dosages. »

(Nicolas Urbaniak, Not For Human)

4 types de consommateurs

L’OFDT a repéré 4 types de consommateurs (bien qu’il n’y ait toujours pas de réelle étude en France) :

  • le milieu festif gay (notamment les slammeurs avec les cathinones) ;
  • les usagers avertis qui fréquentent les forums (et qui font notamment des trip reports, des témoignages minutés des effets secondaires d’un produit disponibles sur les sites de consommateurs, une manière de reprendre le pouvoir pour les consommateurs) ;
  • les jeunes adultes du milieu festif tekno (qui ne savent pas forcément qu’ils ont pris des RC si on leur a vendu pour un autre produit) ;
  • et depuis 2012, des jeunes qui consomment tout et n’importe quoi et surtout, qui ne connaissent pas la réduction des risques, à la différence des groupes précédents.

Les seules infos disponibles concernant la prévalence des RC en France ont été recueillies par l’association Safe qui gère des automates distributeurs de kits d’injection (Lire Safe, agence tous risques…). Son étude sur l’analyse des fonds de seringues a montré la présence de cathinones dans 25 % des cas et dans tous les lieux de collecte. L’usage se développe donc et quand les Caarud commenceront à poser la question à leurs usagers, ils découvriront que les RC sont aussi présents.

Ne pas se faire « uberiser »

Si leur consommation est encore assez faible malgré leur bruit médiatique, les NPS remettent en cause la politique des drogues parce que les gouvernements ne savent pas comment faire. On trouve très facilement sur Internet les cathinones, qui ont été interdites mais qui sont aussi de plus en plus consommées. Certains pays ont du coup commencé à changer leur législation, notamment la Nouvelle-Zélande qui vient récemment de classer les NPS selon leur risque (faible, moyen, fort) et de légaliser les cannabinoïdes à faible risque. La Commission européenne tente d’élaborer une loi classant de même en risque « faible », « moyen » et « fort », et pénalisant les vendeurs mais pas les consommateurs. Un énorme changement si les usagers ne sont plus pénalisés.

Sur PsychoACTIF, on voit des jeunes usagers qui n’ont jamais acheté dans la rue et toujours commandé sur ces sites. Et on se dit que dans dix ans, il n’y aura plus que ceux-là (Lire L’avenir de la consommation de drogues est en ligne). Il faut se mettre à la page pour ne pas se faire « uberiser », un terme de geek pour dire se faire dépasser.

« Les salles de consommation ne se feront pas sans les élus locaux »

L’association Élus, santé publique & territoires (ESPT) s’est vu confier par la mairie de Paris et le Conseil régional d’Île-de-France l’organisation d’un séminaire destiné à éclairer les élus locaux sur les salles de consommation à moindres risques. Entretien avec Laurent El Ghozi, le président d’ESPT.

Pouvez-vous présenter votre association ?
Financée par la Direction générale de la santé (DGS) et par le Secrétariat général du comité interministériel des villes (SG-CIV), ESPT est une association créée lors des Assises pour la Ville en avril 2005, avec pour objectifs la réduction des inégalités de santé, l’accès aux soins et à la prévention, et la reconnaissance du rôle des communes dans la mise en œuvre des politiques territoriales de santé. L’association compte plus de 60 villes adhérentes (représentant plus de 7 millions d’habitants) très variées, à la fois par leur taille et leur couleur politique : des grandes villes (Lille, Paris, Marseille), des villes moyennes (Strasbourg, Toulouse, Reims), des villes de banlieues (Saint-Denis, Fontenay-aux-Roses, Clichy-sous-Bois, Nanterre), toutes ayant pour point commun que leurs élus pensent que la santé fait partie intégrante des responsabilités de la ville. Et à partir du moment où les villes s’intéressent à la santé, il y a une vraie convergence entre celles de gauche et celles de droite.
Notre méthodologie est de favoriser l’échange de pratiques et la réflexion entre les différents élus chargés de la santé et de prendre des positions publiques pour peser dans le débat, notamment en organisant chaque année 2 journées nationales d’études sur différents thèmes. L’année dernière, nous avons par exemple réalisé une journée nationale d’étude sur « santé mentale, sécurités, libertés ».

Pourquoi ce séminaire ?
Nous avions déjà un projet de travail sur la toxicomanie avec le Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU), qui est un peu l’équivalent d’ESPT pour la sécurité urbaine. Puis il y a eu la prise de position du Collectif et celle de Jean-Marie Le Guen, maire-adjoint chargé de la santé à Paris, qui nous a missionné pour mettre en place ce séminaire destiné à éclairer le débat public sur les aspects juridiques, éthiques et sociosanitaires, et à fournir des informations ciblées et pédagogiques aux élus locaux pour leur permettre de décider en toute connaissance de cause sur la réduction des risques, et en particulier sur les salles de consommation. Avec ce séminaire, nous sommes dans le concret. Ce que les élus veulent savoir, c’est si les salles de consommation peuvent améliorer l’état de santé des usagers et du quartier, et si oui, comment on fait. Car quelles que soient les décisions du gouvernement, les salles de consommation ne se feront pas sans les élus locaux.

Comment va-t-il se passer ?
Huit villes de gauche comme de droite (Paris, Lille, Marseille, Le Havre, Mulhouse, Annemasse, Saint-Denis et Bordeaux) se sont inscrites à ce séminaire, auxquelles il faut ajouter le Conseil régional d’Île-de-France et peut-être le Conseil général de Seine-Saint-Denis. Il y aura donc les 3 niveaux de collectivités territoriales, et un échantillon de villes très diverses. Un séminaire d’une trentaine de personnes, avec une quinzaine d’élus chargés de la santé dans ces collectivités territoriales et leurs collaborateurs. Il y aura notamment 8 élus de la ville de Paris de toutes les couleurs politiques.
Le séminaire se déroulera en 3 temps : 2 journées entières d’audition d’experts et de personnalités incontestées de différents champs avec des points de vue complémentaires, voire opposés, 2 voyages dans des villes d’Europe ayant déjà des salles de consommation (probablement Bilbao et Genève) afin de rencontrer à la fois les élus de ces villes et les opérateurs, et enfin une restitution publique finale en septembre 2010 à la mairie de Paris dans laquelle les élus rendront compte de leurs travaux et prendront publiquement une position argumentée et éclairée.

Salle de consommation : un Ovni dans la réduction des risques

Qui aurait pu se douter, lors de l’installation de la vraie-fausse salle de consommation du 19 mai, que les salles de consommation prendraient autant d’importance dans le champ de la réduction des risques ? Un Ovni médiatico-politico-addictologique qui fait poindre l’espoir qu’une vraie salle voit le jour à Paris fin 2010.

Pour marquer la Journée mondiale des hépatites, un collectif d’associations dit « Collectif du 19 mai » (Asud, Anitea, Act Up-Paris, Gaïa-Paris, Safe, Sos Hépatites-Paris, salledeconsommation.fr) installe une salle de consommation à moindres risques (SCMR) dans les locaux d’Asud. Une vraie salle, équipée en matériel stérile et tenue par des professionnels de santé… mais sans consommation de drogues, pour ne pas mettre les usagers en danger avec la loi. Un symbole destiné à faire parler de ce que le plan national de lutte contre les hépatites a sciemment évité : l’acte de consommation. L’effet médiatique est au rendez-vous, inespéré : de très nombreuses visites et près d’une trentaine d’articles et reportages, dans les journaux, les gratuits, à la radio, la télé, et sur la toile.

VRP des SCMR

Grâce à ce premier résultat et armés de dizaines d’études compilées par « The specialist » Bernard Bertrand , nous nous changeons en VRP des SCMR et allons taper aux portes des politiques : Jean-Marie Le Guen (député PS, adjoint au maire de Paris chargé de la santé), Michel Heinrich (député-maire UMP d’Épinal), Francine Bavay (vice-présidente du Conseil régional d’IdF chargée de la santé), Annick Lepetit (députée PS), Véronique Dubarry (adjointe au maire de Paris), Dominique Demangel (élue du XVIIIe arrondissement de Paris), Anne Souyris (conseillère régionale IdF), Jean-Luc Romero et la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, répondent présents et vont jouer un rôle dans la suite des évènements.

Interrogée le 4 novembre par Michel Heinrich qui lui demande, lors de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances 2010, « si elle est prête à tenter une expérimentation » de SCMR, la ministre de la Santé répond que « les associations Asud et Anitea ont déjà été reçues à cette fin » et que « la décision d’ouvrir ou non, à titre expérimental, une salle de consommation sera prise au vu des conclusions de l’expertise collective sur la réduction des risques menée par l’Inserm » (voir encadré). Les résultats de cette expertise, dont une partie est consacrée aux SCMR, sont attendus pour le mois de juin. Passée relativement inaperçue, cette déclaration de Roselyne Bachelot est pourtant intéressante à double titre. D’abord, parce qu’il ne s’agit pas d’une fin de non-recevoir et que sa réponse est suspendue à des études scientifiques, ce qui l’affranchit des barrières idéologiques. Ensuite, parce que la ministre cite Asud à l’Assemblée nationale, ce qui n’est pas rien quand on se souvient de l’attaque frontale lancée en 2005 contre l’association par 78 députés UMP…

Emballement médiatique

Le 14 décembre, Jean-Marie Le Guen fait voter au Conseil de Paris une subvention de 26 000 € pour permettre à l’association Élus, santé publique et territoire (ESPT) d’organiser un séminaire d’élus locaux sur la question de l’ouverture des SCMR. Outre le vote, qui n’est qu’une formalité, Mr Le Guen a tout minutieusement préparé pour que le débat soit mis sur la place publique.
Le premier coup est lancé dans Le Parisien avec une interview du maire-adjoint chargé de la santé intitulée « Bientôt des salles de shoot en France ? ». Reprenant habilement l’argumentaire sur les SCMR, que ce soit au niveau de la réduction des risques – « il faut que les toxicomanes apprennent à gérer leur shoot car ces populations sont toujours victimes du sida et de l’hépatite C » – ou de la politique de la ville – « Ces lieux permettront d’éviter les effets portés à l’environnement. Les habitants confrontés aux drogués en ont assez de cette promiscuité » –, le discours de Le Guen est ciselé. Durant la semaine qui suit, c’est un nouveau déluge de reportages et d’interviews, non seulement du député PS mais aussi de membres du Collectif dans toute sa pluralité et sa complémentarité : un débat sur Public Sénat pour Jean-Pierre Couteron (Anitea), une interview de Jean-Louis Bara (Safe) sur BFM TV, de Safia Soltani (Act Up-Paris) dans Le Figaro, un passage dans l’émission « Revu et corrigé » de Paul Amar sur France 5 pour Pierre Chappard (Asud) et Élisabeth Avril (Gaïa)… (voir la revue de presse sur le site d’Asud).

De droite comme de gauche

Pour nos soutiens comme pour nos opposants, c’est aussi l’occasion de sortir du bois. Côté soutiens : Cécile Duflot, secrétaire des Verts, et William Lowenstein (clinique Montevideo) sur RTL, Patrizia Carrieri (Inserm) dans Libération, ou Anne Hidalgo (première adjointe au maire de Paris) sur Direct8. Côté opposants, c’est malheureusement sans surprise qu’Étienne Apaire, le président de la Mildt, s’oppose à la création de SCMR, « une forme de désespérance » qui revient, selon lui, « à baisser les bras » (LeMonde.fr), un discours qui rappelle celui des opposants à la réduction des risques. Prétendant qu’il n’existe « aucune étude permettant d’avancer que ce genre d’infrastructures aient un effet positif », il n’hésite pas à employer des arguments fallacieux. Opposants qu’on retrouve également du côté de l’UMP parisienne et de leurs chefs de file, Philippe Goujon (député-maire du XVe arrondissement) et Jean-François Lamour (président du groupe UMP de Paris) qui, suite au vote du Conseil de Paris, publient sur LeMonde.fr une tribune intitulée « Salle de shoot de la mairie de Paris, le raisonnement par l’absurde », dans laquelle ils déploient avec des mots chocs le même argumentaire réactionnaire que Mr Apaire, n’hésitant pas à comparer les SCMR à des « antichambres de la mort ».
La semaine s’achève en beauté le 18 décembre avec le vote du budget 2010 du Conseil régional au cours duquel les Radicaux de gauche (Rageap de Jean-Luc Romero) et les Verts (emmenés par Anne Souyris) demandent 500 000 € pour construire une SCMR en Ile-de-France. Sous pression, l’exécutif fait voter une subvention de 20 000 € supplémentaires pour le séminaire organisé par ESPT. Si le débat sur la subvention à la mairie de Paris était clivé politiquement entre la gauche et la droite, au Conseil régional d’Ile-de-France, tous les groupes politiques (PS, Rageap, Verts, Modem, UMP, Nouveau centre) votent en faveur de la subvention à l’exception, bien sûr, des partis d’extrême droite (Front national et Nationaux indépendants).

L’effet « boule de neige »

La trêve des confiseurs n’arrête ni le débat ni le travail du Collectif du 19 mai qui dépose, début janvier, un projet de SCMR à Paris au ministère de la Santé, projet qui devrait être étudié dans les prochains mois, en particulier sur ses aspects juridiques. Du côté de la presse, l’Agence de presse médicale (APM) révèle le 12 janvier que la « Commission nationale Addiction a pris position en faveur des salles d’injection » dans des recommandations visant à compléter le plan national de lutte contre les hépatites pour lequel elle avait rendu un avis négatif en mai 2009. Le même jour, le site d’Asud publie une « Lettre ouverte à M. Jean-François Lamour » de Christophe Mani, directeur de la SCMR Quai 9 à Genève, répondant à la tribune du député UMP sur Lemonde.fr. Enfin, le 21 janvier, LeMonde.fr publie un « Appel pour l’expérimentation d’espace d’accueil et de consommation de drogue à Paris », fruit de plus de trois mois de travail et de contacts du Collectif du 19 mai, signé par des responsables associatifs, dont Nicole Maestracci (présidente de la Fnars et ancienne présidente de la Mildt), et par des responsables politiques de droite comme de gauche : Jean-Marie Le Guen (PS), Noël Mamère (député Verts), Michel Heinrich (UMP) et Christian Saint-Étienne (conseiller régional IdF et conseiller Nouveau centre de Paris).
Ayant permis de continuer à convaincre un certain nombre de personnes supplémentaires en dehors du milieu habituel de la réduction des risques, cet appel est un des éléments de l’étonnant effet « boule de neige » qui fait la force de cette action : il est n’est pas rare de rencontrer quelqu’un qui a repris à son compte l’action du Collectif et qui raconte comment il en a parlé à tel médecin, responsable politique ou administratif. Pour preuve, les signatures qui continuent à arriver sur la pétition de soutien mise en place sur le site d’Asud : Alain Rigaud (président de l’Anpaa), Michel Kokoreff (sociologue), Xavier Aknine (président de l’Angrehc) ou encore le Pr Jean-Luc Vénisse qui s’ajoutent aux 900 signataires.

Même si tout reste suspendu à la décision du ministère de la Santé, le débat sur les SCMR est donc, au-delà de nos espérances, toujours sur la place publique six mois après le 19 mai. Mais face aux arguments déployés par leurs partisans et leurs détracteurs, on voit bien que quinze ans après l’avènement de la réduction des risques, sa philosophie est toujours mise en cause. Preuve s’il en est qu’il nous faut encore convaincre, tant le grand public que le politique avec le relais des médias… Et si par manque de volonté politique des salles de consommation ne voient pas le jour dans les prochains mois, le grand mérite de cette action aura été de relancer le débat sur cette pratique, philosophie et politique publique encore trop peu connue qu’est la réduction des risques.

Aides Grand-Ouest : un week-end en famille

Imaginez un Caarud organisant un week-end à la campagne pour qu’usagers et intervenants partagent des moments conviviaux en discutant usage de drogues. Impossible ? C’est pourtant ce qu’a fait la délégation Aides Grand-Ouest en novembre dernier. Intrigué par cette initiative bien loin de l’image habituelle des structures de réduction des risques ou du soin, où la sacro-sainte distance entre usagers et intervenants est souvent posée comme un dogme, Asud a accepté l’invitation.

Après une bonne demi-heure de voiture, nous arrivons par un froid « breton » dans un gîte en rase campagne. Une quinzaine de personnes nous accueillent chaleureusement, avant d’embrayer sur une rapide présentation du week-end où chacun exprime ses attentes : envie de se poser, de rire, de ne plus être seul, reviennent le plus souvent. À la fin, un animateur nous présente tout le matériel de réduction des risques mis à disposition durant le week-end : préso, « Roule ta paille », kit d’injection, récupérateur… Une excellente surprise que la théorie soit ainsi mise en pratique ! Moment d’échanges autour d’un verre, puis l’assemblée se disperse en petits groupes qui continuent la soirée dans les chambres.

Le lendemain matin, c’est l’heure de parler du VHC, un sujet malheureusement à la mode. Parmi les présents, nous sommes nombreux à être contaminés… En parlant techniquement de l’action du virus, du dépistage, les langues se délient. Jimmy confie « sa peur de la biopsie », Farida raconte l’histoire d’une prise de sang « boucherie » qui a duré plus de trois quart d’heure parce que l’infirmière ne trouvait pas sa veine, G. ses « 6 mois de traitement qui n’ont pas marché ». Mal accompagnée par son médecin, elle a eu l’impression que de n’être « qu’une bouche à cachetons ». Un manque d’information et d’écoute de la part des médecins repris en chœur par l’assemblée : beaucoup se sont renseignés tout seuls, d’autres ont consulté plusieurs médecins pour essayer de comprendre quelque chose et avoir un minimum d’attention… Toujours la même histoire…
L’après-midi est consacré au film support à la parole 17’10 pour une injection à moindre risque, chacun racontant ses recettes, ses erreurs, ses exploits. Entre théorie et pratique, intervenants et usagers apprennent l’un de l’autre.

Se voir autrement

Mais le moment le plus fort a sans doute été le lendemain matin, lorsque chacun a expliqué comment il avait pu concilier – ou pas – usage de drogues et vie sociale et affective. L’occasion rare de pouvoir raconter son parcours sans aucun jugement. Des histoires de couples, d’abord, Yves révélant que c’est l’usage de drogues qui réunit son couple depuis plus de dix ans. Une parole qui casse tous les stéréotypes mais qui n’es pas isolée, puisque Paul rajoute que ce sont notamment les drogues qui ont permis à son couple de se construire. Catherine évoque, elle, la difficulté d’être dans un couple « psychodifférent », où l’un consomme et l’autre pas.
Mais la vedette a incontestablement été le milieu de la restauration et des boîtes de nuit, où la dureté du travail fait des ravages : on consomme pour tenir, et on tient pour consommer. Un cercle infernal, comme pour Albert, gay, ancien serveur à Paris, qui tenait à coup d’ecsta pour bosser, avant de prendre de la coke pour sortir en boîte et s’envoyer en l’air sans protection. Jusqu’à ce que le sida le rattrape… L’Efferalgan® codéiné était la seule chose qui soulageait le mal de tête de Stéphanie, jusqu’à ce qu’un médecin la mette sous Subutex® pour lui éviter une hépatite liée au paracétamol. Après avoir découvert l’injection de Subutex® dans le milieu de la restauration, elle envisage désormais de passer à la métha pour se débarrasser de l’injection. Jimmy, lui, tenait une boîte de nuit et prenait un cocktail d’héro et d’alcool pour tenir 18 heures par jour. Marre de courir après les dealers, il est passé au Subutex® qu’il injectait, jusqu’à ce qu’il fasse une pancréatite aigue…

Puis c’est le moment du départ. Les échanges ont été riches et chacun – usagers comme intervenants – a appris quelque chose. Comme Cécile, intervenante, qui a « réinterrogé sa perception et sa relation aux usagers ». Effet collatéral, mais non des moindres, des intervenants usagers de drogues ont également pu, pour la première fois, parler de leur usage au sein d’Aides et évoquer cette position parfois schizophrénique, qui reste la base de la santé communautaire. Et rien que pour cela, ce week-end a eu le mérite d’exister. Grâce à Aides, la santé communautaire n’est pas morte dans les Caarud !

PS : Les prénoms ont été changés pour respecter l’anonymat.

Collèges : descentes de « prévention »
les élèves traités en délinquants

Fin 2008, policiers et gendarmes ont investi plusieurs établissements scolaires en quête de stupéfiants. Chiens, fouilles au corps … ces « opérations de prévention antidrogues » ont suscité un tollé chez les parents et les enseignants, qui ont fini par faire reculer le Ministre de l’Education. Mais le 11 février 2009, les policiers remettent le couvers dans les Pyrénées-Atlantiques… Retour sur le non-sens de la prévention par le feu.

Le 19 novembre 2008 dans le Gers, des gendarmes accompagnés d’un chien « antidrogue » font irruption dans un lycée. Ils passent dans les classes, font sortir des élèves et les fouillent à corps, ironisant sur « leurs têtes de camés ». Sept jours plus tard, une quinzaine de policiers déboulent dans le dortoir du lycée Castelnaudary dans l’Aude. Le 15 décembre, à 7H30, des gendarmes interceptent les élèves du collège de Vendres (Hérault) à la sortie du bus scolaire, les mettent face contre mur et les fouillent, tandis que les chiens antidrogue reniflent leur cartable. Bilan des opérations : quelques grammes de shit. Pour les forces de l’ordre, « tout c’est bien passé, et ces opérations de prévention antidrogues ont été un succès.»
Mais à Vendres, Daniel Guichard se met en pétard, choqué par ce « spectacle affligeant » des enfants face contre mur. Dans le Gers, un professeur raconte, effaré, l’intervention des gendarmes, suivi par un père qui met en ligne le récit d’une jeune élève fouillée à corps, et traitée de « camée » par les représentants des forces de l’ordre. Ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos tente alors de calmer l’indignation des parents en chargeant la procureur de la république du Gers qui… s’empresse de renvoyer la patate chaude au principal de l’établissement. L’ANITeA se fend d’un communiqué de presse intitulé « Quand le remède est pire que le mal… », et Darcos finit par désavouer la procédure, en appelant à faire la différence entre répression et prévention.

A la stupeur générale,les policiers remettent ça le 11 février 2009 dans un collège d’Arthez-de-Béarn, dans les Pyrénées-Atlantiques. Ces actions contraires à l’annonce du gouvernement sont un désaveux pour Darcos mais aussi pour Etienne Apaire, le président de la MILDT, qui avait dit sur France Inter le 4 février à l’émission « le téléphone sonne » que ces opérations n’étaient en aucun cas de la prévention…

Plus fondamentalement, ces descentes dans les établissements scolaires posent la question de la prévention et en miroir, celle de la répression. Comment peut-on encore croire que la politique de la peur et de la désinformation peut faire office de prévention, et aider les usagers de drogue à ne pas abuser ? Comment peut-on aider les parents et les professeurs à parler drogues avec leurs enfants et leurs élèves quand on traite ces derniers comme des délinquants ?
La dramatisation des dangers des drogues illicites ne fait que renforcer la fracture générationnelle et ridiculise les parents face à leurs enfants. Dire que les drogues sont interdites parce qu’elles sont dangereuses ne tient pas pour les ados qui voient leurs parents consommer de l’alcool et les dégâts que provoque cette drogue. Elle ne tient pas non plus scientifiquement. Aucun rapport scientifique n’a pu prouver le bien-fondé d’un classement séparant drogues licite et illicites. De plus, en pénalisant et en stigmatisant l’usage, la loi de 70 empêche les ados emprunts de culpabilité et de honte de revenir vers leurs parents quand la consommation dérape. Quand les parents s’en rendent compte, il est souvent trop tard et l’usage a déjà basculé dans l’abus ou la dépendance.

Ce que ces parents indignés découvrent, c’est que leurs enfants sont considérés comme de potentiels délinquants. Ce qu’ils ressentent, c’est l’absurdité et la brutalité de la répression. . Redonner l’autorité aux parents sur la problématique des drogues, c’est pouvoir leur expliquer sans dramatiser ce que sont les drogues licite et illicites, c’est pouvoir comparer la dangerosité de l’alcool et du cannabis en montrant que le statut légal n’a pas grand chose à voir, et finalement, c’est dépénaliser l’usage. Tant que la loi sera injuste et basée sur un non-sens, elle ne sera pas un interdit symbolique, et les parents, qui en sont les relais, seront dans l’impossibilité de pouvoir la justifier. Nous ne sommes plus en 1950, quand la figure d’autorité parentale était censée suffire à définir la règle. De nos jours, les parents se doivent d’expliquer, de donner du sens à ce que vivent leurs enfants.
Dans une société qui devient de plus en plus addictogène, il est temps d’en finir avec cette politique démagogique qui fait de la loi le seul rempart contre l’usage de drogue. Une politique de « rupture » – pour employer un mot à la mode – devrait privilégier l’éducation à la peur, la santé à la morale, et la responsabilisation à l’autoritarisme.

15 ans de réduction des risques, tout changer pour que rien ne change ?

Pour démarrer cette nouvelle année, Asud vous offre un voyage dans le temps : un « best-off » des 15 premiers numéros, couvrant la période de 1992 à 1998.

C’est pendant ces années que la réduction des risques telle qu’on la connait en France s’est pensé et créé. C’est dans cette période qu’une alliance « usagers de drogues-militant de la lutte contre le sida-professionnels de la tox » du nom de « Limiter la casse » s’est scellée pour faire changer la donne et arrêter l’hécatombe du sida.
Dans ce numéro, vous pourrez vous passionner de la mise en place des programmes d’échange de seringues, des boutiques et de la salle de shoot d’Asud Montpellier, vous enthousiasmer de l’avènement de la substitution à la méthadone et au subutex, vous enflammer de la multiplication des Asud et de l’espoir d’une dépénalisation prochaines des drogues. Vous trouverez des cris, des pleurs, de la rage, de l’urgence, de l’espoir. La certitude que l’histoire est en marche et que rien ne sera jamais plus comme avant.

Mais que reste il aujourd’hui de cette vague nommée réduction des risques, qui a opéré son reflux à partir de 98 : Limiter la casse s’est dissout faute de combattant et le nombre d’Asud en France a fondu comme neige au soleil ; le skénan est interdit de substitution et l’héroïne toujours pas médicalisée ; la salle de shoot de Montpellier a disparu et les nouvelles expériences ne se bousculent pas au portillon ; la dépénalisation n’est plus qu’un souvenir et l’état a même renforcé la loi de 70 en créant des stages/punition pour rééduquer les délinquants fumeurs de cannabis ; la stigmatisation et la maltraitance des usagers est toujours aussi forte en particulier dans le système de soins ; il n’y a toujours aucune réduction des risques en prison ; nombre de boutiques se sont transformées en centre sociaux avec option réduction des risques et les avancées comme le programme ERLI (Education au Risques Liés à l’Injection) sont bloquées…La liste est si longue…
Comme si les progrès des années 92-98 n’avait été qu’une aumône pour les morts du sida, un cache-sexe pour la morale des bien-pensants.

Le frein principal au progrès de la RdR aujourd’hui est en effet toujours le même qu’hier : la morale, qui malgré les apparences et les catastrophes, n’a pas changé, elle aussi. Celle qui dans les années 80 a refusé de donner des seringues aux drogués. Celle qui continue sa croisade et qui cherche à éradiquer l’usage de drogue comme on éradique une maladie. Celle qui s’oppose aux résultats scientifiques et aux pratiques de terrain des intervenants du secteur, qui sont quand même bien placés pour élaborer de nouvelles et nécessaires actions.

Devant l’aveuglement des hommes politiques sur les dégâts du VHC/VHB, ces épidémies sourdes et muettes qui font plus de morts que les accidents de voiture, nous avons, usagers de drogues , militants et professionnels, une responsabilité : renouer une alliance et remettre la pensée en mouvement. Ne nous endormons pas sur nos lauriers institutionnelles et profitons au contraire de cette chance pour enfoncer le clou !

Bonne année !

La substitution aux opiacés : le point de vue des usagers

Qu’est que la substitution ?

Ce sont des traitements mis à disposition des usagers dépendants aux opiacés pour réduire les risques liés à la consommatio d’opiacés illicites. Réduire les risques voulant dire ici, soit arrêter ou baisser la consommation de produits illicites, arrêter ou baisser l’injection, ou aider à gérer l’usage de drogues. Au final, c’est pour aider ces usagers à aller mieux et à pouvoir gérer leur vie.

Il y a en effet deux types de substitution : la substitution « sevrage », qui à plus ou moins long terme vise l’abstinence de toute drogue, y compris parfois des traitement de substitution, et la substitution « maintenance » qui permet aux usagers de gérer leur consommation de produits illicites.
La première est surtout connu en France, y compris par les professionnels du soin. La deuxième est plus utilisée par les usagers qu’on peut le croire… ce qui peut être la source de tensions et de malentendus entre usagers et professionnels du soin, comme nous le verrons plus tard. Elle est pourtant très pratiquée comme telle dans les pays anglo-saxons. Il faut aussi noter que les usagers ne se cantonnent pas à l’une ou l’autre, mais font des aller et retour entre les deux.

Au niveau des produits de substitution proprement dit, il y en a 4 en France, 2 officiels, 2 officieux. Les officiels sont bien sur la buprénorphine Haut dosage (BHD) et la méthadone, et les officieux sont la morphine (skénan et moscantin) et la codéine (Néo-codion, codoliprane….). Les chiffres sont de 120000 pour la BHD (avec 30% de générique), de 20000 pour la méthadone, de 5 à 10000 pour la codéine et de 3000 pour la morphine, ce qui n’est pas négligeable.

Pourquoi ces substitutions officieuses ?

Avant d’expliquer cela, il faut rappeler le cadre de prescription de la buprénorphine et de la méthadone. La buprénorphine peut s’obtenir chez tout médecin généraliste, pour 28 maximum, sans contrôle urinaire. La méthadone ne peut être primo-prescrite que dans les centres de soin, pour une période de 14 jours maximum, avec un cadre souvent très stricte, qui comprend les contrôles urinaires et parfois des « punitions » si l’usager consomme des produits illicites.
Ces substitutions officieuses ont perdurées parce qu’il n’y a pas adéquation entre l’offre de soin et la demande des usagers.
L’avantage de la codéine est qu’elle est en vente libre en France, et qu’elle sert à tout une catégorie d’usagers qui ne sont pas prêts (ne peuvent pas ou ne veulent pas) à rentrer dans le système de soin. Elle sert au coup par coup, pour combler le manque entre deux arrivages d’héro, comme dans les années 80. Mais elle sert aussi à de vieux usagers des années 80 qui avait créer leur substitution avec le Néo-Codion et qui n’ont pas arrêté depuis. Son principal inconvénient, c’est que les cachets (mis a part le Néo-Codion) sont souvent associés à du paracetamol, ce qui peu provoquer des hépatites fulgurantes à hautes doses (4g).Pour la morphine, qui peut être prescrite par les médecins généralistes, principalement sous forme de Skénan, c’est très différent. Ce sont des usagers, qui ne trouvent pas leur compte ni dans la buprénorphine, qui n’est pas assez « forte » pour eux, ni dans la méthadone, dont le cadre est trop stricte.

Qu’est ce que la substitution apporte aux usagers d’opiacés et à la socièté ?

Obtenir un traitement de substitution, c’est arrêter de dépenser son temps et son argent pour l’obtention d’opiacés illicites, c’est arrêter de prendre des risques avec la loi, c’est diminuer les injections et prendre moins de risque de contamination VIH/VHC, c’est pouvoir avoir accès au soin.
C’est pourquoi la substitution en France a été un succès pour la santé publique : une réduction des overdoses de 80% en quelques années, une diminution de la consommation d’héroïne, les injecteurs ne se contaminent plus avec le VIH (moins de 3% de taux de prévalence), la durée de vie des usagers a augmenté, les usagers ont pu rentrer dans le système de soin. Sur ce dernier point, il faut rappeler qu’au début des années 90, les usagers d’héroïne n’avaient pas accès au soin, puisque les soignants, en particulier à l’hôpital, leur demandaient de faire un sevrage avant d’être pris en charge pour n’importe quelle maladie. La substitution a changé complètement la donne.
Mais ce n’est pas qu’un succès de santé publique, c’est aussi un succès économique et social. Non seulement, les usagers travaillent plus et vont moins en prison, mais ce qui n’est pas dit souvent, c’est que la substitution fait économisé à la société française des centaines de millions d’euro (cf conférence de consensus sur les traitement de substitution) : moins de maladie ou d’overdose, moins d’Infraction à la Législation sur les Stupéfiants pour Héroïne et de prison, plus de travail et plus d’impôts payés…

Le cas de la buprénorphine haut dosage

Le Subutex a beaucoup été décrié ces dernières années, mais c’est grâce à lui que la substitution a été un succès en France. Son cadre libéral a permis aux usagers d’avoir accès à la substitution en nombre et de rentrer massivement dans le système de soins. Dans d’autres pays comme au Canada, qui n’ont pas accès à une substitution libérale, les taux de prévalence VIH et les overdoses à l’héroïne baissent beaucoup moins vite que chez nous.
Mais ce cadre libéral à des effets secondaires.
Premièrement, la buprénorphine a remplacé l’héroïne dans la rue, prouvant si il le fallait, que la buprénorphine est bien une drogue avec des effets psychoactifs. Si on peut le déplorer, notamment parce que cela peut mettre en danger le dispositif, il faut analyser le pourquoi et différencier le trafic, qui doit être combattu, de ce que les usagers peuvent trouver au marché noir. C’est le cas par exemple, des usagers qui ne peuvent pas ou ne veulent pas rentrer dans le système de soin et qui peuvent trouver de la buprénorphine au marché noir. Il peut en effet être très dur d’aller voir un médecin et un pharmacien, et cela peut etre vécu comme une épreuve. (Ceci plaide pour la multiplication des bus à bas seuil d’exigence, type Gaia à Paris, pour aller aller à la rencontre de l’usager sur son lieu de consommation.) C’est aussi le cas des usagers que le médecin a sous-dosé par méconnaissance ou par punition qui peuvent ainsi compléter leur traitement.
Deuxièmement, la buprénorphine est «mésusée» que ce soit en injection, en sniff ou en la fumant. Nous n’appelons pas cela mésusage, très connoté péjorativement, mais «usage alternatif» de la substitution. En effet, pour nous, si des usagers s’injectent ou sniffent de la buprénorphine, c’est que leurs besoins ne sont pas en phase avec l’offre de substitution. Ainsi, si le Subutex est injecté, c’est qu’il n’existe pas en France de traitements de substitution injectables pour répondre aux besoins des usagers qui ne peuvent pas arrêter l’injection, contrairement à la plupart des pays européens voisins.
Troisièmement, c’est la question de la primo-dépendance à la buprénorphine. Des usagers qui n’ont jamais gouté l’héroïne se retrouvent dépendants à la buprénorphine au marché noir. Si encore une fois, on peut le déplorer, est ce qu’il ne vaut mieux pas que ces nouveaux usagers commencent par la buprénorphine, beaucoup moins dangereux que l’héroïne. Il sera en outre plus facile pour eux d’entrer dans le système de soin parce que le produit auquel ils sont dépendant et le même que celui que celui qui est proposé dans ce système.

La question du sevrage

Contrairement aux idées reçus, la substitution ne s’oppose pas au sevrage. Ce sont deux outils différents pour aider les usagers. La question est de savoir quand le faire, qui décide de le faire et comment le faire.
Sur le terrain, nous voyons souvent des usagers ayant arrêté leur traitement de substitution, reprendre de l’héroïne en prenant le risque de l’overdose, puisqu’il ne sont plus aussi tolérants. De même, de nombreux usagers sont devenus dépendants à l’alcool après avoir arrêté leur traitement. De plus, le commentaire d’Andrew Byrn sur l’étude « Loss of tolerance and overdose mortality after inpatient opiate detoxification: follow up study » prouve que les héroïnomanes sevrés de toute opiacés, y compris des traitements de substitution, ont une durée de vie plus courte que les personnes sous substitution. Ceci nous confirme que le traitement de substitution ne doit pas être arrêter à la légère. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se sevrer des traitements de substitution, mais surtout que c’est aux usagers et non aux médecin de prendre la décision de baisser et d’arrêter les traitements.
Enfin, il y a un vrai problème sur les sevrages des traitements de substitution en France. Il n’y a pas de clinique du sevrage des traitements de substitution. Le dispositif est adapté pour les sevrage à l’héroïne mais pas pour la substitution, dont le sevrage est plus progressif et dur plus longtemps. Les usagers qui sortent du sevrage au bout de 10 jours n’en ont pas encore terminé et la rechute n’est pas loin. C’est aussi ce qui explique que beaucoup d’usagers vont tenter leur chance dans la clinique de l’escroc Dr Waissman en Israel avec son sevrage NRO ultra-rapide à 8000 euros. Il faut redéfinir en urgence une clinique du sevrage.

Les relations médecin-usager et pharmacien-usager

On ne peut pas affirmer que les relations usagers-soignants vont mal. Mais, à cause de la différence entre le besoin de l’usager et l’offre de soin, et parce que les soignants sont mal formés (voire pas formés du tout) à la toxicomanie, elles sont souvent un dialogue de sourd. France Lert dans une étude sur les représentations qu’ont les usagers de leur médecin traitant, fait ressortir quatre types de représentations : le dealer en blouse blanche, le médecin paternaliste et autoritaire, le médecin focalisé sur les dosages, et le spécialiste focalisé sur la personne. Elle conclue son étude en montrant que dans tout les cas, quand il y a rechute ou «usage alternatif», il est très difficile d’en parler à son médecin. Nous pouvons affirmer la même chose pour le pharmacien, ce qui laisse les usagers seuls face à leurs problèmes puisque le médecin et le pharmacien sont souvent les seules personnes à qui ils peuvent parler de leur traitement.
Dans ce dialogue de sourd, on peut néanmoins souligner deux types de problèmes qui témoignent d’une conception différente des addictions. Il y a des médecins qui veulent à tout prix baisser le traitement dès que l’usager a commencé. Cela conduit l’usager à la rechute, ou à aller compléter son traitement au marché noir. Inversement, certains médecins ne veulent pas baisser le traitement, même si l’usager en a envie, considérant que de toute façon celui-ci va rechuter. Ceci conduit l’usager a tenté tout seul de décrocher, sans pouvoir s’appuyer sur les compétences du corps médical.
Ces deux exemples montrent bien à quel point les pratiques sont hétéroclytes et surtout à quel point parfois le traitement n’est pas négocié avec l’usager. Hors, la négociation du traitement doit être au coeur de la prescription du médecin. Pour responsabiliser l’usager autant que pour répondre à ses besoins.

Conclusion

La substitution à la française a été un succès sanitaire, économique et sociale, en particulier grâce au cadre libéral de la prescription de la buprénorphine. Mais il a oublié des usagers aux bords de la route, notamment les plus précarisé, parce que leurs besoins ne sont pas en adéquation avec l’offre du système de soin et parce que les professionnels du soin ne sont pas assez formés. Certaines mesures à prendre sont simples : élaborer une clinique du sevrage, pouvoir prescrire de la méthadone en médecine de ville comme le font les belges, légaliser la prescription de morphine, inclure des formations sur l’usage de drogues dans les cursus de pharmaciens ou de médecins. D’autres sont plus compliqués, plus à cause de tabous qui résistent que de questions techniques, comme mettre sur le marché un subutex injectable pour ceux qui ne peuvent se passer de l’injection ou élaborer un protocole d’héroïne médicalisée.
Dans tout les cas, il est nécessaire d’écouter les besoins des usagers si l’on veut diminuer les dysfonctionnement du système, comme le marché noir et les « usages alternatifs».

Références

Commentaire d’Andrew Byrne sur l’étude : Loss of tolerance and overdose mortality after inpatient opiate detoxification: follow up study. Strang J, McCambridge J, Best D, Beswick T, Bearn J, Rees S, Gossop M. BMJ. 2003 May 3;326(7396):959-60

Tendances en matière de réduction des risques chez les usagers de drogues par voie IV – Julien Emmanuelli, InVS, 2001

Conférence de consensus : Stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes des opiacés : place des traitements de substitution (23 et 24 juin 2004 – Lyon)

Buprenorphine substitution treatment in France: drug users’ views of the doctor-user relationship – Anne Guichard,1* France Lert,1 Jean-Marc Brodeur,2 and Lucie Richard3

Les conduites addictives – Alain Morel et Jean-Pierre Couteron – 2008 – Edition Dunod

Asud, une association de malades de la drogue ?

Une polémique a éclaté pendant les Egus IV et les journées de la RdR. Asud, à cause de son nouveau statut « d’association de patients », serait devenu une association de malades ?

En 2007, l’association Asud est « agréée au niveau national pour représenter les usagers dans les instances hospitalières ou de santé publique » (J.O n° 285 du 8 décembre 2007 page 19914 texte n° 44). Cet agrément vient de la loi du 4 mars 2002 relative à la représentation des personnes malades et des usagers du système de santé, destinée à améliorer la qualité du soin.

Cette loi nous permet de représenter les usagers du système de santé dans les instances et établissement de santé public. Cela comprend en particulier les différents groupes de travail du ministère de la santé, les hôpitaux, mais aussi les CSST/Csapa, les centres d’addictologie, les caarud… Il devient également possible de nous porter partie civile, quand ces établissements causent, par imprudence, maladresse, négligence ou inattention, la mort d’autrui ou une incapacité totale de travail.

Comme vous le voyez, ce n’est pas rien, et pour la première fois, nous pouvons comptez sur la loi pour faire valoir nos droits de citoyens.

Mais ce n’est pas tout. Ce statut d’association d’usagers du système de soin nous donne aussi un statut légal : nous n’ oublions pas les mots d’Étienne Apaire, le président de la Mildt lors de notre rencontre mi-2007 : « je ne comprend pas comment vous avez pu vous constituer en association. Au regard de la loi, vous êtes des criminels ». Ces paroles ne sont pas isolées. C’est la même rhétorique qu’ont utilisé les députés en 2004, accusant la MILDT de laxisme, parce qu’elle finançait des asso d’usagers de drogues (Asud et Techno +).

Depuis un an, nous essayons de digérer ce nouveau statut et d’expliquer ce changement. En effet, tout ces avantages ne vont pas sans poser un certains nombres de questions d’ailleurs soulevées avec pertinence aux Journées de la rdr. « Association de patients, est ce que ça veut dire que vous êtes des malades de la drogue ». « Et que deviennent vos revendications sur l’usage de drogue, sur la liberté de consommer, sur la dépénalisation, sur la citoyenneté de l’usager de drogues ?»

Est-on des malades de la drogue ? Cette loi du 4 janvier 2004 s’adresse aux malades ET aux usagers du système de soin. Ces derniers peuvent être des personnes en maison de retraite, des femmes enceintes… ou des usagers de drogues ! Rien à voir avec des malades. Cette loi ne nous enferme pas dans la maladie !
De plus, pour les personnes substituées la maladie n’est pas un bon modèle. La médicalisation actuelles des addictions , qui voudrait faire des personnes dépendantes des malades du cerveau se trompe lourdement en oubliant le contexte de notre société addictogène. En pointant le dysfonctionnement du cerveau, elle continue à nous stigmatiser comme malade mentale et voudrait nous enlever tout pouvoir sur nous même. Or, nous croyons, que même si l’addiction est sévère, il reste à l’usager un espace qui peut lui permettre de sortir ou de gérer autrement son addiction. Et si il reste un tel espace, le modèle de la maladie devient obsolète…

Et notre combat pour la citoyenneté des usagers de drogues ? Cette loi de 2002 la renforce et permet de défendre le droit des usagers de drogues dans le système de santé. C’est certes restreint et la citoyenneté des ud ne s’arrêtent pas au soin… Mais pour nous, c’est un début, la santé étant un fil que l’on tire pour enrichir notre combat pour la dépénalisation et contre la stigmatisation. De plus, si nous employons moins les termes « liberté de consommer », c’est parce que ces termes empêchent tout débat dans cette société hygiéniste. Mais au fond, qu’est ce que la dépénalisation si ce n’est la liberté de consommer !

Finalement, ce que l’on pourrait nous reprocher à raison, c’est de faire passer ce statut d’usagers du soins avant celui d’usagers de drogues. C’est vrai si on se réfère au nombre d’actions développées par Asud. Mais nous avons entendu votre message. Et pour 2009, nous reprenons l’offensive et nous vous préparons des actions de pur drogués !

Y a t-il un intervenant pour sauver la réduction des risques ?

Une question absurde à première vue, face à la multiplication et à la pérennisation des Caarud découlant de l’institutionnalisation de la réduction des risques. Plus personne – ou presque – ne regrette, en effet, le temps où la survie des programmes d’échange de seringues et des « boutiques » dépendait de financements multiples et précaires.

Au-delà de cette seule santé financière, c’est pourtant la philosophie même du dispositif qui pose aujourd’hui problème. Car quand la parole et l’accompagnement sur les produits et les usages disparaissent au profit des actes sociaux (CMU, RMI…), et quand la distribution de seringues est le seul lien qui subsiste entre intervenants et usagers, c’est tout le dispositif qui se vide de son sens. Et c’est d’autant plus dramatique, qu’à l’heure où la lutte contre le VHC s’enlise et où le message sur la seringue unique ne suffit plus, il faudrait accompagner les usagers au plus près dans leurs pratiques d’injection. Demandez donc à un intervenant ce qu’il y a dans un Kit+ et comment l’utiliser précisément….

Il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur les Caarud, et encore moins sur leurs intervenants. Le problème est avant tout systémique et précède, pour partie, l’institutionnalisation de la RdR en 2004. Dès la fin des années 90, les conditions d’entrée « bas seuil » des boutiques ont, en effet, favorisé l’afflux d’une population d’usagers de drogues très précarisés. Demandeurs de services sociaux et d’aide à la survie, ces derniers avaient tout à perdre à parler de leurs consommations. Et les intervenants, trop occupés à palier les insuffisances du système de droit commun, ont été débordés par les demandes et l’engrenage de l’urgence et de la précarité. La parole et l’accompagnement sur les consommations se sont alors insidieusement délités tandis que, se bornant à évaluer le nombre de seringues distribuées et les files actives, les autorités incitaient à faire du chiffre.

Cependant, si rien n’est fait, l’institutionnalisation de la réduction des risques va mettre fin à ce qui devrait être le cœur de métier des Caarud : l’accompagnement et le conseil sur l’usage de produits psychoactifs. Pour satisfaire aux conditions d’homologation, les centres doivent désormais recruter des diplômés, en l’occurrence souvent des éducateurs. Qui, comme tous les travailleurs sociaux, n’ont acquis aucune compétence sur le conseil en matière de produits au cours de leur formation initiale, et qui n’iront certainement pas s’aventurer d’eux-mêmes sur ce terrain qu’ils ne maîtrisent pas, qui les met en défaut face aux usagers, et que la structure n’encourage pas.

Pour renverser la tendance, et en particulier pour pouvoir lutter efficacement contre le VHC, il est donc urgent de s’interroger sur le concept et la pratique de la réduction des risques dans ce nouveau système institutionnalisé. Urgent de repenser la place de l’accompagnement à l’usage, de redéfinir les métiers du social (par exemple celui d’éducateur dans un Caarud) et les compétences associées à ce nouveau contexte, mais aussi de construire des méthodes d’interventions, sans quoi les savoir-faire développés resteront conceptuels…

En signe d’espoir, les projets d’accompagnement à l’injection ou de conseils personnalisés, qui émergent dans certains Caarud novateurs, pourraient indiquer la voie à suivre. Encore faut-il trouver la volonté et les compétences pour pouvoir les étendre au reste du dispositif…

Safe, agence tous risques

Quel dispositif permet aux usagers injecteurs de produits psychoactifs d’avoir des Kit + 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 ? Les distributeurs de seringues (distribox), bien sûr ! Mais qui les installe, les approvisionne, les répare ? L’association Safe, qui développe et entretient ce dispositif en région parisienne, tout en aidant à l’installation de distributeurs dans toute la France. Récit d’une journée passée avec l’équipe pour voir l’envers du décor.

Lundi, 9h30. Chacun s’affaire à préparer la voiture pour la tournée, réparer un distributeur, ou à rentrer les chiffres des Kit + (version d’état du Stéribox®) écoulés la semaine passée. Autour d’un café, graphiques à l’appui, Stéfo, le coordinateur, me montre le nombre des Kit + écoulés. Safe est la structure qui en donne le plus en France : 140 000 en 2006, un chiffre en hausse constante depuis plusieurs années, qui varie selon les mois, avec un pic en été, lorsque tous les Caarrud sont fermés. Car Safe n’arrête jamais son activité, et il n’y a pas un jour de l’année sans que les distribox ne soient remplis, mois d’août et dimanche compris !

10h00. Yves, me presse pour démarrer la tournée en voiture en évitant les embouteillages. Au programme : une quinzaine de distribox à vérifier sur les 30 que compte Paris. Arrivés au premier, Yves prend un sachet d’une centaine de jetons (que l’on glisse dans les distribox en échange des Kit +) et se dirige vers la pharmacie. Que ce soit dans son réseau de pharmaciens, dans les Caarrud parisiens, ou dans les urgences des hôpitaux, Safe en distribue des milliers chaque année. Dans la pharmacie, je ne peux m’empêcher de poser la question qui fâche : « Vous avez des problèmes avec vos clients UD ? » Tout sourire, la pharmacienne me répond : « Vu que je leur rends un service (les jetons), ils sont très gentils avec moi. » Une preuve de plus, si il en fallait, que quand on donne un peu de considération aux UD, ça se passe bien ! Nous repartons remplir le distribox d’en face. Un usager nous interpelle et nous demande un kit et quelques jetons. Quand je lui demande pourquoi pas plus de kits au lieu des jetons, il me répond : « C’est pour les flics, pour ne pas avoir de matos sur moi »… Dans la rue, malgré leur tenue militaire de camouflage, ce sont toujours les UD les plus précaires qui prennent…

Trop fatigué, trop loin…Kit+ StériboxSafe logo crayonné

Quelques distribox plus tard, nous arrivons à la

gare du Nord. À l’heure actuelle, un gros point de fixation dans Paris. Le distributeur/échangeur est vidé tous les jours de ses 100 Kit +. Alors qu’Yves s’occupe de l’échangeur, un UD nous demande du désinfectant pour les mains et des seringues 2 cc pour « shooter le Skenan® ». Pendant qu’Yves, habitué à ces demandes, ouvre le coffre de la voiture et lui donne le matériel, je lui demande s’il connaît des structures de réduction des risques où il pourrait se procurer du matos. « Je connais le 110 les Halles, mais je ne peux pas aller là-bas, je suis trop fatigué et c’est trop loin. » Je comprends que ce distribox est pour lui la seule façon de ne pas réutiliser (échanger ?) ses seringues à l’infini…

Nous finissons notre tournée vers 17h00, après avoir réparé des distribox endommagés, nettoyé des tags, fait le plein de tous les distributeurs… et vu une dizaine d’usagers, pour des kits, des jetons, ou pour tout le matériel qui n’est pas dans le Kit + (Stérifilt®, seringue 2 cc, désinfectant pour les mains…).

Pierre Chappard crayonnéRentré à Safe, je me faufile dans le bureau de Catherine, la directrice, qui me parle du distribox du XVIe qui marche très fort, de celui du XVIIe qui n’existera jamais (merci Mme de Pannafieu), et de tous les problèmes rencontrés pour implanter ou même garder ces distributeurs. Elle est également très fière que certains salariés de Safe soient d’anciens UD, et que cela soit désormais intégré dans la pratique de la maison. Nous refaisons le monde… puis nous nous quittons vers 20h00. Sur le chemin du retour, je me surprends à murmurer la chanson du célèbre feuilleton qui colle si bien à Safe et aux UD que j’ai rencontrés aujourd’hui : « L’agence tous risques, c’est vraiment… la dernière chance… au dernier moment… »

De la défense du citoyen à celle de l’usager du système de soins

Après la défense de l’usager de drogues citoyen, Asud s’était, ces dernières années, attaquée à la défense des usagers au sein du système de soins. Un combat qui vient de connaître sa première victoire avec l’attribution par l’État du statut officiel d’association représentant les usagers de drogues du système de soins.
Retour sur les processus et les idéologies sous-jacentes qui ont mené à ce changement pour éviter tout malentendu.

Quand on regarde de plus près l’évolution d’Asud ces dernières années, 3 dynamiques sociopolitiques entre en jeu :

  •   La réconciliation avec le système de soin. Dans le cas des opiacés, la substitution nous met d’office à la place d’usager du système de soins : nous devons aller voir un médecin pour obtenir notre traitement. Mais l’avènement de la substitution nous permet également d’avoir tout simplement accès à tous les soins, sans avoir à être sevré d’office.
    Avec le développement de la réduction des risques, tous les usagers ont, par ailleurs, un accès facilité aux soins : les intervenants en RdR, médiateurs entre soignants et usagers, permettent à ces derniers d’intégrer le système de soins dont ils étaient auparavant « exclus ».
  •  L’addictologie et la pensée hygiéniste. Le médecin devient plus que jamais tout-puissant, et préserver son corps une obligation sacrée, qui prime sur tout, y compris parfois le bien-être. L’exemple du tabac, avec ses lois liberticides et la mise au ban de ses consommateurs, est un des avatars de cette pensée hygiéniste. Un sentiment renforcé par l’émergence d’un certain courant de l’addictologie, qui rend toute consommation suspecte, et tout consommateur (de drogues illicites ou pas) malade potentiel. L’hygiénisme rattrape les usagers de drogues pour les enfermer, non plus dans un statut de délinquants mais dans celui de malades.
  •  La loi de 2002. Suite aux abus constatés, notamment dans le système hospitalier, la loi du 2 janvier 2002 de rénovation sociale permet l’émergence d’associations destinées à représenter et défendre les droits des usagers du soin. C’est cette même loi qui vient de faire de nous des représentants officiels des usagers de drogue du système de soins. Un statut renforcé par le « Plan de prise en charge et de prévention des addictions 2007-2011 » qui parle, pour la première fois dans un document officiel, de « développer les associations d’autosupport : représentation, défense des droits et aide des usagers du système de soin ».

Trois dynamiques qui ont changé la relation des usagers de drogues avec le soin et naturellement rejailli sur Asud qui, à la défense des usagers de drogues citoyens-malfaiteurs ajoute désormais celle des usagers de drogue du système de soins.

Défense des usagers de drogue du système de soins : késako ?

Quand on parle des usagers de drogue du système de soin et de la défense de leurs droits, il faut d’abord définir de quoi il s’agit pour éviter les malentendus. L’usager de drogues peut entrer dans le système de soin de 2 manières : soit pour des raisons directement liées aux drogues (substitution), soit comme n’importe qui, pour se faire soigner. La défense des usagers de drogues du système de soins se fait donc à 2 niveaux : dans le premier cas, c’est non seulement défendre les droits liés au traitement de substitution, mais aussi une certaine éthique (non infantilisation, responsabilisation, traitement négocié entre l’usager et le médecin, sur la molécule, la dose…). Dans le deuxième cas, c’est s’assurer que la spécificité de consommateur ne constitue pas un obstacle aux soins (jugement, stigmatisation, médicament incompatible avec la consommation, adaptation des traitements…)
Mais attention, parler d’usager de drogues du système de soins n’est en aucun cas considérer l’usager comme un malade ! Si nous reconnaissons que l’usage de drogues – hors du contexte de leur illégalité – a un effet nocif sur la santé, cela ne veut absolument pas dire que l’usager de drogues, dépendant ou non, est un malade. Nous combattons d’ailleurs cette médicalisation à outrance de l’usage de drogue, qui fait aujourd’hui de tout usager de drogue un malade. En outre, à Asud, le débat est toujours ouvert sur la question de la dépendance et de la maladie. Peut-être, par exemple, pourrions-nous voir le traitement de substitution à la manière de la médecine chinoise : un traitement préventif pour justement ne pas tomber malade ?…
C’est pour toutes ses raisons que nous avons choisi le terme d’« usager de drogues du système de soins », plutôt que celui de « patient » ou même celui de « malade » pour les usagers dépendants. Toute personne peut en effet être usagère du soin sans être nécessairement malade (médecine préventive, grossesse, dentiste, check-up …).

Mais qu’en est-il de nos revendications premières, sur la loi de 70, la dépénalisation, le droit au choix de consommer, et quelles sont les nouvelles ?

  • Le droit au choix de consommer. Si le droit au choix de pouvoir consommer de manière éclairée (issu de la relative tolérance des années sida) est toujours une de nos revendications, elle n’est tout simplement plus supportable par la société hygiéniste des années 2000. Plus que cela, elle peut nous desservir : il est tellement facile de ne voir que ça en nous, et de s’en servir pour nous diaboliser et décrédibiliser notre discours. Bien que cette revendication soit sous-jacente à notre action, c’est donc une carte que nous abattons rarement, en attendant des jours meilleurs…
  •  L’abrogation de la loi de 70 et la dépénalisation. Si nous réclamons toujours que cette loi inique soit supprimée pour que les usagers de drogues puissent être des citoyens à part entière, notre position de représentant des usagers du soin nous permet d’envisager également cela sous l’angle de la santé. D’une part, parce que l’illégalité des drogues les rend plus dangereuses et plus nocives pour la santé (produits de coupe, problème de dosage et d’OD, liens avec le marché noir), d’autre part, parce que les UD se cachent pour consommer, ce qui n’aide en rien à ce qu’ils prennent soin d’eux et la mesure de leurs problèmes éventuels avec les produits…
  •  Des revendications citoyennes. La position de défenseur des usagers du système de soins n’est en fait pas antinomique de nos revendications initiales citoyennes. Mais surtout, ces 2 positions représentent finalement les 2 facettes du traitement socio-sanitaire de l’usage de drogues : soins et réduction des risques. En endossant ces 2 casquettes, nous affirmons haut et fort que le soin et la réduction des risques sont complémentaires, et que la vie d’un usager n’est pas linéaire : il peut naviguer entre les deux, selon les moments.

Ensuite, en défendant le droit des usagers du soin, nous défendons aussi le droit et la dignité des usagers de drogues. Ce qui nous donne un autre angle d’attaque et une légitimité complémentaire, qui nous permet, par exemple, de lier des partenariats inédits avec le soin, comme avec l’Association nationale des intervenants en toxicomanie (Anit). Sans pour autant nous renier, cela rend donc notre réseau beaucoup plus fort.
Ces 2 positions relèvent pour finir du même combat : que l’usager de drogues retrouve une place d’acteur de son soin, de sa consommation, et finalement de sa vie.

Conseiller n’est pas faciliter l’usage de stupéfiant !!!

C’est une précision de taille qu’a apporté la cour de cassation début 2007 : en rappelant que conseiller n’est pas faciliter l’usage de stupéfiant, elle a cassé le jugement du tribunal de Lons-le-Saunier. Celui-ci avait ordonné la dissolution d’une boutique associative de jardinage et condamné son président à une amende, parce que selon le tribunal, il avait « faciliter l’usage du cannabis » dans sa boutique en conseillant ses clients (Art 222-37 du code pénal puni de dix ans d’emprisonnement et 7 500 000 euros d’amende). Retour sur l’affaire qui ré-ouvre enfin le débat sur les drogues illicites en France…

Le 15 mars 2005, la police de Lons-le-Saunier perquisitionne la boutique associative de chanvre global 1001 jardins et met son président JC Memery, en garde à vue : elle lui reproche d’avoir fait l’apologie du cannabis dans son magasin et d’avoir incité à « l’usage de cannabis ».

Le mercredi 13 avril, le tribunal correctionnel de Lons-le-Saunier prononce la dissolution pure et simple de 1001 jardins et condamne JC Memery à 450 et 750 euros d’amende, pour « propos complaisant à l’égard du cannabis » et facilitation de «l’usage d’herbe de cannabis» en «fournissant des conseils et en vendant des objets ou ouvrages permettant et expliquant la culture du cannabis». L’instruction de cette affaire se base sur le témoignage d’une Lieutenant de police, venue à la boutique sans se présenter et en civil pour obtenir des informations sur le cannabis. Et JC Memery ne cache effectivement pas à ses clients qu’il est consommateur et cultivateur de cannabis, et leur donne des conseils avisés sur les moyens de cultiver cette plante.

Le 15 décembre, la cour d’appel de Besançon confirme le verdict.
JC Memery, véritable militant de la dépénalisation et partisan de la réouverture du débat sur la consommation thérapeutique et festive de cannabis, décide de ne pas en rester là. Avec son célèbre avocat Francis Cabalero, il décide de «résister à l’oppression, avec tous les recours possibles, tant que les droits fondamentaux des usagers de drogues illicites seront menacés par une police et une justice aveugles». Il décide de se pourvoir en cassation.

Le 23 janvier 2007, la chambre criminelle de la cour de cassation casse ce jugement : elle confirme que JC Memery à bien fait l’apologie du cannabis dans son magasin, mais ne constate pas l’accomplissement d’actes ayant pour objet ou pour effet d’aider concrètement les clients de son magasins à consommer du cannabis. Autrement dit, elle rappelle que donner des conseils sur la manière de cultiver la plante ou même faire l’apologie du cannabis n’est en aucun cas « aider à l’usage » de ce produit et ne dépend pas de l’article 222-37 du code pénal.

C’est une victoire à plus d’un titre :

  • D’abord pour JC Memery, qui, il faut le rappeler, à quand même perdu sa boutique et ses investissements dans l’affaire. Même si la boutique n’a pas été dissoute, plus personne n’ose venir à 1001 jardins, de peur d’être inquiété par la justice…
  • Pour toutes les boutiques de jardinage qui sont sans cesse attaquées et mises à mal par la justice, bien souvent pour le même prétexte de « facilitation d’usage du cannabis » (Mauvaises graines à Montpellier, Les pieds dans l’eau à Clermont-Ferrand, Le jardin de poche à Guingamp et à Rennes…). Cet arrêt, qui fait jurisprudence, a déjà permis la relaxe de deux d’entre elles ! Ces boutiques seront toujours exposées à l’article du code de la santé publique sur la présentation de stupéfiants sous un jour favorable ou sur l’incitation, mais ne pourront plus être inculpées de « facilitation de l’usage » ou de « trafic de stupéfiants ».
  • Pour les acteurs de la réduction des risques qui, en donnant des conseils sur la manière de consommer, sont susceptibles d’être inquiétés par le code pénal.
  • Enfin, pour tous les militants de la dépénalisation qui réclament, depuis des années, une « légalisation du débat » sur la place des drogues illicites dans notre société.

Il reste à démontrer que l’article L3421-4 du code de la santé publique qui punit la présentation des stupéfiants sous un jour favorable, et empêche tout débat, est contraire à l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression. Et le débat sur les drogues illicites pourra enfin s’ouvrir en France…

PS : Pour plus d’infos, vous pouvez consulter le site internet : http://www.1001jardins.circnordest.net

Interruption de l’échange de seringues en Cote d’Or

Des usagers du forum viennent de nous avertir qu’il n’y a plus d’échange de seringues en Côte d’Or.

Nous venons de contacter la SEDAP, la structure qui s’occupe du soin pour les toxicomanes et du programme d’échange de seringue sur Dijon et la Côte d’Or : le seul programme d’échange de seringues (CAARUD) en Côte d’Or est un programme d’échange de seringues en pharmacie (28 sur toute la Côte d’Or), entretenu à bout de bras par une seule personne ! 60 000 seringues ont été distribuées en 2006. Mais cette année, ce programme a déjà écoulé 50 000 seringues. Il se retrouve à cours d’argent pour en acheter d’autres, la DDASS de Dijon refusant par principe d’augmenter sa dotation, qui n’est pourtant pas exceptionnelle, loin de la, pour un département comme la Côte d’Or ! Total, il n’y a plus d’échange de seringues en Cote d’OR !

Nous dénonçons cette position réactionnaire de la DDASS de Dijon, qui consiste à croire que moins on donne de seringues, moins il y a d’injecteurs (la DDASS reproche par exemple à la Sedap de donner plus de seringues que dans le département voisin de la Nièvre). Cette position pénalise et met en danger les usagers de drogues injecteurs, qui sont, au final, toujours les grands perdants de cette pensée d’un autre temps.

Ne tirez pas sur le subutex !

Une fois de plus, les médias « grand public » parle du Subutex®, ce médicament de substitution à l’héroïne, pour dénoncer des pharmaciens trafiquants, des médecins corrompus, et des dealers non concernés par le système de soins! Une fois de plus, les journalistes ne voient que les trains qui n’arrivent pas à l’heure ! Ce procédé, privilégiant le sensationnalisme du contexte électoral, consiste à ne parler de substitution que lorsqu’ il y a des ratés. Cela nous paraît dangereux. Il stigmatise encore plus les patients sous substitution (qui ont déjà du mal à se défaire de l’étiquette de drogués), fait peur aux acteurs du soins qui voudraient s’engager dans la substitution, attise les foudres de l’opinion public qui ne comprend guère que l’Etat puisse « donner des drogues aux drogués » et met en danger l’ensemble du dispositif, qui bien qu’imparfait, demeure une réussite typiquement française

Pour faire balancier avec ce catastrophisme, il est alors grand temps de faire entendre la voix des personnes dépendantes aux opiacés et de rappeler que depuis le milieu des années 90, avec l’avènement de la politique de réduction des risques et la mise en place des traitements de substitution aux opiacés, notre vie a radicalement changé :

  • Nous avons pu en finir avec toutes les années de galère, sans cesse à la recherche de produits, et avons pu, enfin, nous poser pour reconstruire nos vies affectives, familiales et sociales, retrouver un emploi et un logement.
  • Pour beaucoup d’entre nous, elle nous a permis aussi d’éviter la prison, en disposant d’un traitement qui nous coupe du milieu du marché noir et du bon vouloir des dealers. Nous sommes passé ainsi du statut de délinquant à celui de malades, récupérant aux passage celui de citoyen, qui nous avez été confisqué en criminalisant l’usage de drogue.
  • Des vies ont pu être sauvées grâce à la réduction de la consommation d’héroïne et des risques liés à sa consommation (injections, sniffs). Par exemple, le nombre d’overdoses à l’héroïne à été divisé par dix.
  • Elle a permis que les personnes dépendantes aux opiacés aient accès aux soins : avant la substitution, l’accès a n’importe quel soins était conditionné à l’arrêt de la consommation de drogues et donc à un sevrage. Les personnes dépendantes, qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas se sevrer étaient donc exclus de tout dispositif sanitaire.
  • Combiné à la politique de réduction des risques (échange de seringues, information sur les produits), la substitution a permis que le taux de contamination par le virus du VIH des personnes usagères de drogues par voie intraveineuse chute de manière vertigineuse pour être aujourd’hui proche de zéro.
  • Enfin, la grande souplesse de prescription du Subutex® (qui peut être prescrit par tout médecin généraliste) est une force du système français, qui a permis un accès généralisé à la substitution. Nombre d’entre nous, n’aurait pas intégrer un programme de méthadone, dont les contraintes sont lourdes, et aurait préféré rester dans la clandestinité et l’illégalité, si le Subutex® n’avait pas été mis sur le marché de cette manière.

Ces bienfaits pour nous, le sont aussi pour le reste de la société : de la baisse de la criminalité, à la baisse du coût social de la consommation de drogue qui se chiffre en centaine de millions d’euros, la société entière est gagnante.

Bien sur le système n’est pas parfait et il a le défaut de ses qualités : la grande accessibilité de la buprénorphine haut dosage (le principe actif du Subutex®), permet à un petit nombre de personnes peu scrupuleuses d’en profiter, mettant en danger l’ensemble du dispositif. Et il est du devoir d’une association de patients de dénoncer ces dérives, qui sont d‘ailleurs plus le fait de médecins et pharmaciens véreux et de trafiquants non usagers, que des personnes dépendantes très attachés à la préservation de ce système qui a changé leur vie.

Mais dénoncer sans arrêt les dérives de ce système sans en souligner les énormes bénéfice tant pour les personnes dépendantes que pour la société, revient à le condamner, à le laisser en proie aux grands tenants du tout sécuritaire, ceux qui voulait déjà que le Subutex® soit classé comme un stupéfiant. Alors que pour faire baisser le marché noir, il nous semble aussi important de traquer ceux qui utilisent ce système comme des trafiquants que d’adapter l’offre de soin et d’élargir la palette des produits de substitution.

Le Subutex®, bouc émissaire de la substitution

Les journaux télévisés dénoncent le trafic de Subutex® et son coût. Dans la presse, il ne se passe pas une semaine sans qu’on nous répète que les usagers l’utilisent comme une drogue en le shootant ou le sniffant, et que la France est la plaque tournante de ce trafic alimenté par des médecins et des pharmaciens.
Dernièrement, Le Monde nous apprend même qu’un chauffard était sous Subutex® sans autre explication. Pas besoin d’en dire plus, tout est la faute au Subutex®

S’il faut bien reconnaître l’existence d’un marché noir et de mésusage/usage alternatif, la fougue avec laquelle on stigmatise ce médicament n’est-elle pas un peu disproportionnée ? Pourquoi ne pas stigmatiser les benzodiazépines dont une grande quantité est revendue dans les rues ? Pourquoi parle-t-on toujours des dérives sans jamais parler des bénéfices de ce traitement ? Le Subutex® concentre les frustrations, les méconnaissances, les fantasmes et les peurs. C’est un bouc émissaire.

Le bouc émissaire de la substitution, car il cache les attaques envers un groupe de personnes, les toxicomanes, et plus particulièrement les usagers de Subutex®. Alors, plutôt que de rappeler encore une fois les bienfaits de la substitution, il est temps de s’interroger sur le pourquoi de cette rhétorique.

Bloodi-jongle-Substitution-OuinLa faute au tox

Le tox, c’est l’autre, celui qui a pris du plaisir interdit et qui l’a bien cherché. Il a commis une faute et il est coupable. Et à tout coupable, il faut une punition. Dès lors, pourquoi donnerait-on une « drogue » payée par les contribuables ? Pourquoi lui ne devrait-il pas pointer tous les jours à la pharmacie, ne lui contrôlerait-on pas les urines pour voir s’il n’a pas récidivé ? Comme si, pour expier sa faute, l’accès aux soins devait être un chemin de croix. C’est ainsi que des journalistes de Libération se sont fait plusieurs prescripteurs dans une journée en dénonçant la facilité avec laquelle ils avaient obtenu le produit. Ce qu’on reproche au Subutex®, c’est son accès « trop facile » : pas de verrouillage CCST/hôpital, prescription de 28 jours, pas d’obligation de consultation psy ni d’analyses d’urines.

Parler de laxisme sans parler de l’accès au traitement, et encore moins de la question morale, c’est méconnaître la substitution et les addictions. Bref, c’est une erreur. Plus l’accès sera facile, plus il y aura de personnes dépendantes aux opiacés qui franchiront le pas de la substitution et du soin.

Mais même avec la meilleure volonté du monde, cette facilité d’accès entraînera des dérives qu’il faudra contrôler, voire aménager. Par exemple, avec une substitution à la buprénorphine injectable, pour que le « mésusage » devienne traitement et que les injecteurs de Subutex® soient traités comme des patients.

La peur de l’avenir

Le Subutex® a remplacé l’héroïne comme produit de rue, et la caricature de l’usager de Subutex® celle du junky à l’héroïne. Fini l’héroïnomane, voilà les usagers de Subutex®, en bande, oisifs, accompagnés de chiens, habillés de couleurs militaires, décorés de piercings, qui achètent leur Sub au marché noir et qui l’injectent. Avec le deal de rue et les seringues qui traînent, ils sont devenus la partie visible des personnes sous Subutex®.

Une population qui fait peur à la société. On ne compte plus les pétitions de quartier contre l’installation de centres d’accueil. Mais de quoi a-t-on peur ? Ces marginaux n’illustrent-ils pas une série d’échecs ? Échec de la lutte contre la drogue, dont le Subutex® est un avatar, échec de la Sécu, qui n’arrive pas à renflouer ses comptes, échec de la valeur travail si chère à notre Président, mais aussi et surtout échec d’une société plus juste, qui laisse une partie de ses enfants sur le bord de la route. L’insécurité qu’ils représentent, c’est la crise des valeurs et la peur de l’avenir !

Notre responsabilité est de militer pour une plus grande tolérance envers l’autre et ses différences, et non de bâtir une société plus propre à défaut d’en faire une plus juste.

« Correlation », vers un réseau européendes usagers de drogues !

Du 16 au 19 novembre, Asud a participé à un séminaire sur l’Empowerment, initié par Correlation, un réseau européen de réduction des risques.
Ainsi, des fournisseurs de services de RDR, des groupes d’auto-support d’usagers de drogues et de parents d’usagers, se sont donnés rendez-vous pour parler d’empowerment, c’est à dire en langage décodé, d’émancipation des usagers de drogues.

Le séminaire s’est passé à Turin, ville italienne émergente qui s’éveille à la culture après des années d’industrialisation forcenée (c’est la ville de Fiat !).
Au bout de 10h de train avec panne de TGV qui nous obligera à en changer, 30 mn de taxi avec un conducteur français qui nous raconte l’histoire de Turin, nous voila accueilli dans un ancien monastère, loin de la ville : c’est bien du travail qui nous attend, et pas la dégustation des spécialités locales…
Après une nuit de repos, nous nous retrouvons dans une salle d’une trentaine de personnes, pour écouter en anglais, (il faut vraiment que je me perfectionne…promis, je commence demain…), les diverses expériences présentées :

  • Des turinois nous parlent de leur « drop-in » (l’équivalent de nos boutiques), ou des « peer operators » (des pairs) sont chargés de faire le lien entre professionels médico-sociaux et usagers de la rue. En Italie, la situation est à peu prés la meme qu’en France au niveau de l’échange de seringue et de l’accueil bas-seuil. Pour la substitution, la méthadone à une part de marché de 80% et le Subutex de 20% : c’est le contraire chez nous.
  • Le groupe suisse d’auto-support de parents d’UD nous fait une belle leçon de RDR, ce qui nous surprend beaucoup comparée à la situation française où des parents luttent contre celle-ci.
  • Des néérlandais nous présentent « le manuel de l’auto-support », qui décrit les conditions de réussite et les facteurs facilitants la création et la pérennisation d’un groupe d’auto-support : c’est très théorique, et nous semble loin de notre réalité…plus anarchique…

Lors de la deuxième journée, nous nous retrouvons entre groupes d’auto-support européens, pour discuter de la création d’un réseau européen d’usagers de drogues destiné à faire du lobbying au parlement européen et à aider à la création d’entité nationale. De telles expériences ayant déjà vu le jour et avortées, nous nous promettons de pas faire les mêmes erreurs et d’avancer à petit pas, avec l’expérience des anciens (dinosaure ?) comme Fabrice (-:.

Mais les séminaires, c’est surtout l’opportunité de belles rencontres informelles, de discutions de couloir, et l’occasion de refaire le monde entre passionnés de la RDR :
Ainsi, entre deux plats de pâtes, nous avons rencontré Enzo, qui tient une salle de consommation pour étrangers à Amsterdam. Surpris par tant de pragmatisme, nous lui avons promis de faire un reportage sur cette structure unique en Europe !
Autour d’un cappuccino, nous avons sympathisé avec Katerina, salariée d’une structure slovaque qui nous a décrit la situation de son pays : 9 programmes d’échanges de seringues, très peu de place méthadone et l’émergence des amphétamines, sorte de cocaïne du pauvre.
Et puis, il y avait aussi Théo, néerlandais, vétéran de la RDR et membre du très reconnu groupe d’auto-support LSD, Winnie, membre de la puissante DDUU (Danish Drug User Union) (plus de 1000 adhérents) et Stijn, président de BreakLine à Anvers. Tous aussi passionnant que passionnés !

Enfin, petite palme à Asud, la seule association d’auto-support présente à avoir un journal, et à avoir traversé dix ans de RDR… C’est dire l’état de fragilité des associations d’auto-support souvent éphémères en Europe. Convaincu de la nécessité de former un réseau européen solide et heureux de se connaitre (ou de se revoir), nous nous sommes donné rendez-vous à Varsovie, pour pouvoir continuer notre travail pendant la Conférence Internationale de Réduction des Risques. (IHRC in english…(-:).

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