Auteur/autrice : Georges-Antoine Sintes

Antonin Artaud

Né en 1896 d’un père armateur à Marseille, Antonin Artaud commence à écrire à l’age de 18 ans. Il rejoint le créateur du mouvement surréaliste, A. Breton, en 1924. Participeront à ce mouvement des gens comme Desnos, Tzara, Soupault, Vitrac, pour ne citer qu’eux. Très vite Artaud se sépare du groupe, n’étant plus d’accord sur le sens du mouvement surréaliste.

Pour gagner sa vie il sera comédien dans de nombreux films, tels que le rôle du moine dans le «Jeanne d’Arc» de Dreyer, Gringalet dans le «Juif Errant», Marat dans le «Napoléon» d’A. Gance, un des soldats dans les «Croix de Bois», l’intellectuel dans le film «Verdun» d’après une nouvelle de Romain Rolland, il jouera également dans «l’Argent» de M. L’Herbier, «l’Opéra de Quatre Sous» de Pabst, Savanarole dans le film «Lucrèce Borghia» d’A. Gance, Hornis dans «Mater Dolorosa» de Gance, le rôle de l’ange dans «Liliom» de F. Lang, et «Faits divers» de C.A. Lara;

Il créera le théâtre d’Alfred Jarry avec R. Vitrac et montera la pièce «Ubu Roi»; il écrira une pièce, «les Cenci» qui est un flop total (pièce d’avant-garde et complètement révolutionnaire à l’époque). II rédige de nombreux écrits sur le théâtre et une nouvelle approche de la mise en scène; ses grands succès littéraires furent «l’héliogabale», «le pèse nerf», «l’Ombilic des limbes», l’adaptation pour le cinéma du «Moine» de Lewis, qui ne fut jamais tourné. Il sera un des premiers écrivains à se tourner vers les cultures orientales et proposera une thèse sur les danses balinaises. Écrivain, poète, comédien, acteur, metteur en scène Artaud peut être considéré comme un nouveau philosophe des années 1930. Malheureusement son génie prémonitoire sur le sens des réalités ne va pas lui faire découvrir un avenir heureux.

Comme le dira un médecin qui s’occupait de lui :«Artaud est entré dans la drogue, comme il est entré dans la douleur». Atteint d’une méningite très jeune, Artaud fut obligé de prendre des produits opioïdes, comme il était en usage par les médecins de ce temps pour soulager les douleurs. On lui prescrivit du Laudanum très tôt (le laudanum est une teinture d’opium).Il ne s’arrêtera jamais de prendre des produits morphiniques jusqu’à la fin se sa vie.

Au Mexique, où il était parti en mission plus ou moins officielle de la part du gouvernement français, chargé des relations culturelles, il rencontrera toute la nomenclatura mexicaine, jusqu’au président; il en reviendra porteur d’une nouvelle étude sur le peuple mexicain, «Voyage aux Pays des Taharumas» et «Messages Révolutionnaires”. Artaud avait profité de ce voyage pour décrocher des opiacés, et découvrir au travers des grands prêtres mexicains, une nouvelle drogue à laquelle il est initié, le Peyotl.

Dés son retour en Europe il décide de partir en Irlande, il en revient en camisole de force Le Long calvaire de son internement psychiatrique commence. Il y rentre en 1937 et en ressort en 1946.

Tout le mouvement intellectuel de cette époque essaie de le réhabiliter, on crie au scandale mais Artaud restera 7 ans à l’HP de Rodez.

En 1946, juste après sa sortie, on lui décerne le prix Ste Beuve pour son ouvrage sur «Van Gogh ou le suicidé de la société».

Ses amis les plus proches sont là, comme Gide, Breton, Barrault, Blin, comme pour se faire pardonner de l’avoir abandonné à ce triste sort. Seul, Adamov, Cuny, Desnos ont essayé de faire quelque chose pour lui quand il fut interné, ainsi que quelques femmes occultes comme la comédienne Genica Anathassiou (Artaud était assez misogyne, il voyait dans de la femme tous les maux de la terre).

Mais c’est un homme à moitié mort, foudroyé par le système, qui s’éteint à 52 ans dans une chambre de l’hôpital d’Ivry.

Je cite quelques textes pour que le public le découvre:

  • Van Gogh ou le suicidé de la société
  • Pour en finir avec le jugement de Dieu
  • Les lettres de Rodez et toutes ces correspondances;

L’œuvre d’Artaud dépasse les 23 Tomes qui sont tous édités chez Gallimard le successeur de la nouvelle revue française. (à lire ou à relire impérativement).

Lettre d’ Antonin Artaud à la Sûreté Générale sur la liquidation de l’opium

J’ai l’intention non dissimulée d’épuiser la question afin qu’on nous foute la paix une fois pour toutes avec les soi-disant dangers de la drogue. Mon point de vue est nettement anti-social. Or ce danger est faux. Nous sommes nés pourris dans le corps et dans l’âme, nous sommes congénitalement inadaptés; supprimez l’opium, vous ne supprimerez pas le besoin de crime, les cancers de l âme et du corps.

Vous n’empêcherez pas qu’il y ait des âmes destinées au poison, quel qu’il soit, poison de la morphine, poison de la lecture, poison de l’isolement, poison de l’onanisme, poison de l’anti-sociabilité. Supprimez leur le moyen de folie, elles en inventeront dix mille autres.

Elles créeront des moyens plus subtils, plus furieux, des moyens plus désespérés. La nature, elle même est anti-sociale Laissons se perdre les perdus, nous avons mieux à faire qu’a occuper notre temps à une régénération impossible et de plus, inutile, odieuse et nuisible. De plus les perdus sont par nature perdus. Il y a un déterminisme inné, il y a une incurabilité indiscutable du suicide, du crime, de l’idiotie, de la folie, il y a un cocuage invincible de l’homme, il y a une friabilité du caractère, il y a un chatiage de l’esprit.

L’enfer est déjà de ce monde. Peu importe les moyens de la perte, cela ne regarde pas la société Pour ceux qui n’osent regarder la vérité en face, on sait n’est-ce pas, les résultats de la suppression de l’alcool aux États-Unis : une super production de folie : la bière au régime de l’ éther, l’alcool bardé de cocaïne que l’on vend clandestinement. Bref la loi du fruit défendu, de même que pour l’opium. L’interdiction qui multiplie la curiosité de la drogue n’a jusqu’ici profité qu’aux souteneurs de la médecine, du journalisme, de la littérature… Ah, que le cordon ombilical de la morale est chez eux bien noué. Ce sont des apôtres. On peut seulement se demander où ils puisent leur indignation et surtout combien ils ont palpé pour ce faire et en tout cas ce que ça leur a rapporté.

En réalité, cette fureur contre les toxiques, et les lois sur les stupéfiants qui s’en suivent :

premièrement : est inopérante contre le besoin du toxique, qui, assouvi ou inassouvi, est inné à l’âme, et l’induirait à des gestes résolument anti-sociaux, même si le toxique n’existait pas.

deuxièmement : Exaspère le besoin social du toxique, et le change en un vice secret.

troisièmement : Nuit à la véritable maladie, car c’est la vraie question, le nœud vital, le point dangereux. Malheureusement pour la médecine, la maladie existe. Plutôt la peste que la morphine hurle la médecine officielle, plutôt l’enfer que la vie.

Suicidez-vous désespérés, et vous, torturés du corps et de l’âme, perdez tout espoir…. Le monde vit de vos charniers Vous êtes hors la vie, vous êtes au dessus de la vie, vous avez des maux que l’homme ordinaire ne connaît pas, vous dépassez le niveau normal et c’est de quoi les hommes vous tiennent rigueur…. Vous avez des douleurs répétées, des douleurs insolubles, des douleurs non pensées, des douleurs qui ne sont ni dans l’âme ni dans le corps, mais qui tiennent de tous les deux. Et moi je participe à vos maux et je vous le demande: qui oserait nous mesurer le calmant? Au nom de quelle clarté supérieure?Nous que la douleur a fait voyager dans notre âme à la recherche de la stabilité dans le mal comme dans le bien. Nous ne sommes pas fous, nous sommes de merveilleux médecins, nous connaissons les dosages de l’âme, de la sensibilité, de la moelle de la pensée…Nous ne demandons aux hommes que le soulagement de nos maux. Nous avons bien évalué notre vie, nous savons ce qu’elle comporte de restrictions en face des autres, et surtout en face de nous mêmes.. Nous savons à quel avachissement consenti, à quel renoncement de nous mêmes, à quelles paralysies de subtilité de notre mal qui chaque jour nous oblige.. Nous ne nous suicidons pas tout de suite. En attendant qu’on nous foute la paix.

Antonin Artaud, le 1er Janvier 1925

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