Auteur/autrice : Fabrice Perez

Paulette Affiche

Paulette

Tatie Danielle dealeuse de shit. Paulette est vieille, aigrie, raciste, menteuse, acariâtre et fauchée. Elle vit dans une citée anonyme de la banlieue parisienne. Seule, elle radote ses méchancetés sur son gendre noir et flic à la photo de son défunt mari quand elle n’est pas en train d’insulter ses partenaires et pourtant amies à la belote. Acculée par les dettes mais trop fière pour demander de l’aide, tout bascule le jour où un huissier vient saisir ses derniers biens. D’après les médias, que Paulette regarde, et la police, qu’elle méprise, un dealer gagne quelques milliers d’euros par mois. Il n’en faut pas plus à cette mamie loin d’être zinzin pour postuler spontanément  auprès du caïd local comme revendeuse. Car Paulette est aussi loyale, déterminée, maline et fine pâtissière. La voilà embarquée au milieu des racailles et de la flicaille dans une aventure qui va lui redonner le goût de la vie et des autres.

Cette comédie atteint le but fixé par son réalisateur Jérôme Enrico : nous faire rire. C’est en lisant un fait divers sur une mamie devenue dealeuse pour arrondir ses fin de mois que les scénaristes ont été inspirés. Ce film est dans la même veine qu’Une pure affaire (2011), mais pas dans le même bras puisque la classe moyenne pavillonnaire cocaïnée cède la place à la banlieue populaire en pétard. Ici il n’y a pas que l’ascenseur social qui est en panne, celui de l’immeuble aussi. Malgré les invraisemblances on se dit que ce rapprochement entre un 3ème age tendance FN et une jeunesse tendance Scarface n’est pas si farfelu. La société a oublié le passé travailleur des premiers. Paulette est une restauratrice ayant trimé à son compte toute sa vie. Et ne propose aucun avenir aux seconds. C’est précisément dans cette faille que le business parallèle du cannabis intervient.
Grâce à lui un improbable lien intergénérationnel se tisse à l’écran et dans la salle. Paulette en dealeuse débutante ignorante du prix du shit et de la façon de le conditionner en barrette, c’est autant d’éclats de rire que d’occasions d’éduquer votre grand-mère sur le sujet. Le film joue subtilement au milieu des gags bien lourds avec les codes du film de gangsters : scène de négociation mafieuse à l’heure du thé, gunfight tarantinesque avec des jouets, argent facile dépensé en télé-achat…
On n’échappe pas la scène dans laquelle nos protagonistes retraitées mangent, à leur insu bien sûr, le politiquement incorrect a ses limites, un space cake. L’expérience est unanimement appréciée mais on en reste là.

Un film frais et bien dans son époque qui utilise des personnages caricaturaux et décalés pour viser juste en brisant le tabou du deal. Activité risquée mais présentée ici comme salutaire pour Paulette et ses complices. A l’heure où les Cannabis Social Clubs font tant parler d’eux, Paulette dit Mamie la défonce, incarnée par une Bernadette Lafont provocante, nous souffle une idée pour apaiser la violence des quartiers : confier le business du shit aux vieux. « Qu’est-ce qu’on va devenir sans le cannabis ?! » se lamente une des complices de Paulette à la fin du film.

Paulette, 2013, réalisé par Jérôme Enrico avec Bernadette Lafont.
Site officiel : www.gaumont.fr/fr/film/Paulette.html

L’envers du décor : la nouvelle campagne de prévention de l’Etat

La Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT) a lancé le 13 février dernier une web-campagne intitulée « l’envers du décor ». La vidéo propose un angle de réflexion inhabituel pour une campagne de prévention de l’usage de drogues. Elle relègue au second plan les classiques arguments sanitaires et légaux pour se concentrer sur les conséquences du trafic sur la société et faire appel au civisme des consommateurs. Son slogan : Nos actes ont des conséquences, la consommation de drogue aussi. Même chez ASUD les avis sont partagés.

Pour

Une campagne réaliste qui ouvre le débat.

Serions-nous à un tournant de la politique des drogues ? La population n’est plus dupe. Rabâcher la dangerosité sanitaire et l’interdit légal comme si la consommation était déconnectée du reste de la société n’est plus crédible. La bulle « punir ou soigner » dans laquelle elle a été placée depuis 40 ans est un leurre. C’est un phénomène de société bien plus vaste, comme le montre efficacement en moins de 2 minutes la vidéo interactive.
Tout commence par une scène qui montre la banalité de la consommation de cannabis lors d’une fête privée en appartement entre jeunes gens. Ici point de punks nihilistes ou de hippies illuminés. Ce n’est pas non plus une rave, une skin party ou un bizutage. C’est une fête normale avec des gens normaux. Et fumer de l’herbe est clairement identifié comme un élément important de cette convivialité. Le clip ne suggère pas que nous sommes en présence d’un groupe d’amateurs de cannabis. Certains semblent intéressés par ce produit, d’autres non. Comme pour l’alcool chacun semble respecter les choix de l’autre.
Le film bascule ensuite littéralement dans la cuisine d’un couple dont l’appartement est situé sur le palier d’un lieu de deal. Témoins impuissants et exaspérés de la violence engendrée par ce marché noir, ils subissent la loi dictée par le caïd local qui utilise la misère de ce quartier visiblement populaire.
Tour à tour les éléments cliquables dénoncent l’exploitation des petites mains du trafic, des mineurs souvent (mules, revendeurs, guetteurs), les atteintes environnementales sur les zones de production (pollution et déforestation), sans oublier les risques sanitaires et judiciaires. Et c’est bien toute la nouveauté de cette campagne : remettre ces derniers éléments dans un contexte plus global qui interroge notre choix de société. D’un côté des consommateurs qui ne voient pas ce qu’il font de mal et de l’autre un système mafieux et ses conséquences qui prospèrent faute d’alternative officielle.
Le message aurait pu être une vulgaire injonction comme « Dis leur merde au dealers » en 1987. La portée du slogan « Nos actes ont des conséquences » ne doit pas être sous-estimée et toutes campagnes MILDT confondues c’est sans doute celui qui se rapproche le plus du mythique « Savoir plus, risquer moins » de 1999 en nous invitant à faire des choix éclairés sans nous dicter une conduite à tenir. Il va même plus loin en ne se limitant pas à l’aspect sanitaire individuel mais en y ajoutant pour la 1ère fois une dimension globale et collective.

Contre

La MILDT nous la fait à l’envers.

Dès le titre, cette campagne évoque un énième reportage alarmiste et racoleur sur fond de témoignages bouleversants obtenus en caméra cachée ou saisie sur le vif de l’émotion façon zone interdite. Le genre de vérité nue scénarisée comme il se doit pour vous révolter immédiatement sans vous laisser le temps d’analyser. Dans le communiqué de presse officiel de la MILDT cela s’appelle « une invitation à la réflexion ». Réfléchissons alors.
Les insupportables nuisances subies par les riverains des zones de deal sont indéniables. Ces dernières années les faits mis en exergue par les médias sur ce sujet, comme récemment la mobilisation des habitants de Saint-Ouen ou les règlements de compte à Marseille, sont venus nourrir le scepticisme sur l’efficacité de la guerre à la drogue. Mois après mois ces faits divers ont mis la « tolérance zéro » face à son échec et rendu audibles les critiques à son égard ainsi que les alternatives possibles. Ce constat a même abouti au dépôt en juin 2011 d’un rapport parlementaire par l’ancien ministre de l’intérieur Daniel Vaillant pour qui à présent la légalisation du cannabis est la seule voie possible pour réduire les risques liés au trafic. Y compris au niveau international, la prestigieuse Commission Mondiale sur les Drogues a demandé l’an passée une réforme du système. Accusée publiquement d’avoir des conséquences douloureuses sur la société, la prohibition devait être défendue par la MILDT. Quand les réformateurs accusent la prohibition d’être responsables des méfaits du trafic, la MILDT répond que c’est en réalité la demande des consommateurs qui est le vrai coupable. Coupable de la mort des mules qui transportent la drogue encapsulée dans leur estomac. Coupable des dégâts sur l’environnement causée par les laboratoires clandestins. Coupable de l’enfer quotidien que vivent les habitants des quartiers aux mains trafiquants. L’argument est pitoyable : c’est celui qui dit qui l’est. Voilà tout l’apport qu’est capable d’apporter au débat public le coordinateur de l’action gouvernementale sur les drogues. Cette pirouette qui fait porter la responsabilité sur l’acte de consommer, permet de revenir aux fondamentaux de la guerre à la drogue : stigmatiser le consommateur source de tous les maux, ce bien pratique bouc-émissaire de l’insécurité, cet éternel fardeau pour la société. Ce à quoi nous pourrions répondre : Vos actes ont des conséquences. La prohibition des drogues aussi. Un slogan qui irait très bien avec les clips de Techno+ à l’occasion des 40 ans de la loi de 70.

Une pure affaire Affiche

Une pure affaire

Ce film est un bon produit. M. et Mme Classe-Moyenne mènent leur train-train pavillonnaire et banlieusard avec leurs enfants (un de chaque sexe, bien sûr) et leur chien. Lui est un bon avocat mais trop honnête pour monter dans la hiérarchie aussi verticale que l’arrogante tour du quartier de la Défense où officie son entreprise. Elle, secteur logistique, vient d’être sacrifiée sur l’autel de la compétitivité transnationale. Aussi, quand le Père Noël leur apporte un sac de cocaïne, ces honnêtes gens y voient rapidement l’opportunité d’une vie meilleure. Un moyen d’avoir le même train de vie que les requins de l’économie libérale qu’ils n’ont pas pu être. Et sans faire autant de mal.

Si quand il s’agit de drogues, nos séries télé n’arrivent pas à la semelle de leurs homologues US comme Weeds ou Breaking Bad, ce premier film montre que la France a gros un potentiel d’émancipation sur ce sujet. On en redemande ! À l’heure où l’État communique sur le rôle exemplaire que les parents doivent jouer dans la lutte contre la drogue, la montée du film – qui installe le trafic de cocaïne – joue merveilleusement sur une ambiguïté : le couple est-il sous l’effet du produit ? Les personnages deviennent sûrs d’eux, sexy, flambent, mordent la vie comme certains la sniffent, et ça leur réussit. Pour tenir le spectateur en haleine, l’histoire fait mine de s’assombrir mais fort heureusement, point de morale politiquement correcte. Pas de long spot culpabilisant de la Mildt mais au contraire, une formidable comédie de situation du début à la fin, d’ailleurs récompensée par les prix mérités d’interprétation masculine (François Damiens) et féminine (Pascale Arbillot) et par le prix spécial du jury du festival de film d’humour de l’Alpe d’Huez.

Tous les gags ne mènent pas au fou rire et certaines scènes parfois inutiles à l’histoire, voire peu crédibles, n’existent que pour pouvoir en placer quelques-uns. Mais ils sont assez nombreux, originaux, et certains vraiment décapants, pour maintenir le film sur ces bons rails. Un petit échantillon pour goûter : médecin à la retraite, beau-père du héros, l’un des personnages secondaires a cette phrase pour convaincre sa fille de le laisser dealer avec elle et son mari : « Quand on a été médecin, prescrire une drogue plutôt qu’une autre, quelle différence ? » Et le voilà embarqué dans des livraisons de coke à domicile, n’hésitant pas à délivrer des conseils de consommation à un client après auscultation : «… et surtout, tu espaces bien tes prises de deux à trois heures. »

Étienne Apaire avait tort de dire en 2008 que « chaque consommateur est un dealer en puissance ». Chaque non-consommateur aussi.

Une pure affaire, 2011, réalisé par Alexandre Coffre avec François Damiens
Site officiel : www.unepureaffaire-lefilm.com

Serial dealers : Weeds (saisons 1 à 6) vs Breaking bad (saisons 1 à 3)

On a beau militer pour la légalisation des drogues, il faut bien reconnaître que sans leur prohibition, de nombreuses créations culturelles ou divertissements – tous domaines confondus – avec lesquels nous nous délectons n’auraient jamais vu le jour.

Serial-Dealers

Cet article fait partie du dossier Serial Dealers.

Antihéros

L’exception anglaise dès 1992

Dès 1992, les très politiquement incorrectes Eddy et Patsy, 2 londoniennes de 40 ans portées sur le sexe et les drogues sévissaient à la télévision britannique dans la série satirique Absolutely Fabulous (Ab Fab pour les fans). La défonce n’est pas le sujet principal de l’histoire, elle y est tout bonnement et naturellement intégrée aux intrigues, tout comme les 2 protagonistes sont parfaitement intégrées socialement : l’une dirige une agence de communication, l’autre est journaliste de mode. Leurs aventures ainsi que leurs expériences psychédéliques se sont achevées en 2004 avec le sourire. Point de morale à 2 balles. Ouf !

Les séries, notamment américaines, ont pendant longtemps dérogé à cette règle en traitant le sujet des drogues de façon simpliste et manichéenne, quel que soit le genre de la série.

Le registre comique se contentait généralement de créer des situations décalées avec des personnages temporairement sous effets à leur insu. Les séries pour jeunes et les feuilletons connaissent toutes une période pendant laquelle l’un des héros se défonce, d’abord pour s’amuser, puis devient forcément accro avant de redevenir abstinent, tout en tirant une bonne leçon de cet épisode. Quant aux séries policières, les drogues ont permis à des générations de héros armés, de Rick Hunter aux Experts, de pouvoir trouer à la peau sous nos applaudissements à tout un tas de drogués et dealers, « parce qu’ils le valent bien » comme seule justification.

Si l’on admet que les séries reflètent fidèlement leur époque, miroir, mon beau miroir où en sommes-nous aujourd’hui ? Depuis l’an 2000, les antihéros ont la côte. Le public aime ça, et les scénaristes hésitent de moins en moins à leur affubler toutes sortes de traits de caractère profondément (in)humains, sans que l’intrigue principale n’ait pour objectif sa modification et encore moins son amélioration. Dr House ne deviendra pas sympa, le héros de Californication continuera à baiser tout ce qui bouge, et Dexter ne renoncera pas à tuer.

Desperate housewife de 35 ans vs prof médiocre de 50 ans

Suivant cette tendance, 2 séries ont pour personnages principaux des trafiquants drogues : Weeds, créée en 2005, et Breaking Bad, en 2008. Résumé des épisodes précédents…

Pin Up Weeds
Desparete housewife de 35 ans

Weeds : Nancy est une desperate housewife de 35 ans vivant dans une banlieue californienne pour classes moyennes, dans le genre de lotissement où l’on clone aussi bien les villas avec piscine que leurs occupants, mariés, 2 enfants. Tout est lisse et propret. Malheureusement un jour, son ingénieur de mari décède d’une crise cardiaque pendant son jogging. Pour maintenir son train de vie, nourrir ses 2 fils et payer ses crédits, notre mère de famille modèle décide de se lancer dans le deal de weed, c’est-à-dire de beuh.

Breaking bad titreBreaking Bad : Walter est un homme médiocre de 50 ans qui vit à crédit au Nouveau-Mexique avec son fils handicapé et sa femme enceinte. Cumulé à un second emploi de laveur de voitures, son salaire de simple professeur de chimie dans un lycée ne suffit pas à régler les factures de leur couple routinier. Son médecin lui apprend qu’il a un cancer des poumons et qu’il lui reste trois mois à vivre. Les choses tournent mal (« breaking bad ») pour ce non-fumeur, qui décide de prendre son destin en main en fabricant et vendant de la méthamphétamine pour gagner assez d’argent afin que sa famille n’hérite pas de ses dettes et accessoirement, pour pouvoir tenter un traitement.

Justifier l’activité criminelle

Le point commun flagrant entre ces 2 séries est l’argument invoqué pour expliquer la transformation d’un citoyen ordinaire respectueux des lois et apolitique en trafiquant de stupéfiants. Comme si la peur imminente de perdre cet American way of life familial était la seule raison valable permettant au public de s’identifier et d’excuser Nancy et Walter. Ces 2 personnages sont des êtres rationnels confrontés au besoin de gagner rapidement de l’argent. En bons Américains moyens, ils savent par la télé que LA drogue, c’est mal, d’ailleurs ils ne consomment pas. Mais ils savent de la même façon que le deal, c’est de l’argent facile. C’est en tout cas ce qu’ils croient au début car très vite, les difficultés se succèdent (d’où l’intérêt d’en faire une série), remettant ainsi en cause la véracité de leurs idées reçues sur les drogues et ceux qui en consomment.

Une certaine éthique du deal

D’autres paramètres viennent renforcer le bien-fondé de leur choix. Dans Weeds, Nancy se donne une ligne de conduite en refusant de dealer des drogues dites « dures » ou d’en vendre à des enfants. Deux règles qu’elle enfreint à plusieurs reprises, notamment la seconde lorsque son fils ainé, fumeur, devient l’un de ses revendeurs puis son chef de production.

Dans Breaking Bad, Walter est avant tout fabricant du produit. Son objectif d’amasser beaucoup d’argent en peu de temps le pousse très vite à vendre en gros. Il conserve ainsi une certaine distance avec le deal de rue. De plus et contrairement à ses concurrents peu scrupuleux, il met un point d’honneur à fournir un produit d’une très grande qualité. Dans la dernière saison, il s’oppose à ce que 2 caïds utilisent un gamin de 11 ans pour vendre sa méthamphet’.

Enfin, tous deux refusent a priori la violence même si au fil des saisons, ils sont souvent amenés à y recourir en raison du milieu criminel dans lequel ils évoluent. C’est bien souvent la légitime défense, leur propre survie ou celle de leurs proches qui sert à justifier de tels actes.

Mais que fait la police ?

Weeds belle plante
Green washing

Dans ces 2 séries, la police – et plus particulièrement la DEA (les stups américains) – joue un rôle important dans les rebondissements de l’histoire. On y découvre les liens complexes entre ces flics, tiraillés par le besoin de remonter les filières toujours plus haut et donc de fermer les yeux sur les trafics subalternes, et ces trafiquants, qui n’hésitent pas coopérer en échange d’une protection ou si cela peut faire tomber un de leur concurrent. Jusque-là, rien de vraiment nouveau mais ces séries vont aussi jouer la carte de la relation intime…

Weeds : Le premier homme que Nancy fréquente sérieusement suite à la mort de son mari est, comme par hasard, un agent de la DEA dont elle ignore la fonction dans la saison 1. Détail qui va se révéler déterminant dans les saisons suivantes. Celui-ci est en effet au courant des activités de Nancy dont le business n’est pas assez gros pour qu’il s’y intéresse, jusqu’à ce qu’elle le quitte. Dès lors, elle sera la cible des flics.

Breaking Bad : Le beau-frère de Walter travaille aux stups comme enquêteur principal. Dans le premier épisode, c’est même lui qui va créer le déclic chez Walter, lors d’une discussion de boulot évoquant les gains des dealers de crystal-meth. Des liens familiaux très forts relient les deux hommes, mais leurs convictions respectives les empêchent de partager un tel secret.

Complices et confidents

Le secret est justement le principal ressort dramatique des 2 séries. D’abord, le secret vis-à-vis de la famille qu’il faut protéger d’une éventuelle complicité mais dont il faut aussi conserver le respect. Ensuite, le secret relatif au quotidien d’une activité criminelle (production, transport, blanchiment…). Des secrets qui doivent pourtant parfois être levés pour mener à bien leurs petits trafics. Les complices de fait sont souvent les consommateurs, dans leur propre intérêt évidemment.

Weeds : Trop extravertie, Nancy est vite démasquée par son entourage, notamment par ses 2 fils, dès la saison 1. En parallèle, elle se bâtit une équipe d’assistants aux compétences variées parmi ses fidèles clients : un avocat, un comptable qui est aussi conseiller municipal, un commercial, et un spécialiste en culture hydroponique.

Breaking Bad : Ne sachant comment faire, Walter s’entiche d’un junky notoire, ancien élève de son lycée doué en chimie, renvoyé pour deal de meth et toujours dans le business. Grâce à Walter, il va pouvoir gravir un échelon et convaincre ses clients de dealer dans la rue à sa place. Dans la saison 2, une péripétie judiciaire va rendre incontournable la présence d’un avocat ripou dans l’affaire. Il faut attendre 2 saisons et demie pour que le secret de Walter s’invite dans la cellule familiale et la fasse exploser.

Et la conso dans tout ça ?

Ni Nancy ni Walter ne sont consommateurs. Pourtant, chacun d’eux tirera sur un joint dans l’un des épisodes dans un moment de désarroi. Mais rassurez-vous, ces dérapages seront bien vite maîtrisés.

Weeds : Pratiquement tous les personnages de la série fument de la beuh. Les plus gros consommateurs sont aussi les plus débiles et/ou les plus incompétents du groupe. La seule qui ne fumait pas va développer un cancer du sein et va fumer pendant sa chimio (saison 1), puis tomber dans l’alcool (saison 2), et enfin dans la coke (saison 4).

Breaking Bad : La consommation de méthamphétamine sur laquelle repose tout le business de Walter est systématiquement associée à la déchéance et/ou à la dépravation. Bref, la série ne veut surtout pas cautionner la consommation de meth. Ceci dit, il y a très peu de scènes de ce type. L’héroïne est aussi présente dans la saison 2 et mènera sa consommatrice à une overdose mortelle. Pour couvrir son activité et justifier ses appels à un dealer, Walter préfèrera dire à un moment qu’il a fumé de la beuh pendant sa chimiothérapie. L’indulgence de ses proches est immédiate et son beau-frère des stups lui propose même de lui en procurer.

Réellement subversif ou faussement transgressif ?

Breaking Bad washing money
Money washing

Dans les 2 séries, le message est clair : c’est grâce à leur non-consommation que Nancy et Walter sont les cerveaux de leur bande. De la même façon, la caution morale repose sur la thèse du cannabis comme seule et unique drogue douce, à condition d’en user avec modération comme pour l’alcool. Toute autre consommation est implacablement dénigrée.

Mais cela n’empêche pas ces séries d’aborder, mine de rien et frontalement, ce qui cloche avec la prohibition des drogues. Dans ce domaine, la violence et la corruption sont en haut de l’affiche. Weeds explore davantage la corruption et son fidèle compère, l’hypocrisie. Le summum étant, dans les saisons 4 et 5, le personnage du maire de Tijuana au Mexique qui mène publiquement des programmes antidrogues tout en étant, dans le privé, le chef du cartel local. Si dans Breaking Bad les flics sont plutôt intègres et les politiciens absents, on plonge rapidement dans un univers criminel dont le potentiel violent peut exploser à tout moment. On surprend alors Walter rêver que la fabrication de méthamphétamine est tout ce qu’il y a de plus légal.

Le manuel du savoir dealer

Le manuel du savoir dealer que représentent ces séries n’est pas inintéressant. De la production à la consommation, en passant par le transport et le blanchiment de l’argent ainsi gagné, toutes les étapes y sont scrupuleusement décrites au fil des épisodes.

Breaking bad prof chimie
Prof médiocre de 50 ans

Une particularité de Weeds est d’intégrer des éléments d’actualité dans son scénario, ce qui plombe un peu le rythme depuis la saison 4. En effet, la consommation médicale de beuh est si développée en Californie que la principale raison d’être de la série devient obsolète. Pour palier à cela, les auteurs ont tenté plusieurs pistes. Premièrement, transposer leur activité dans le milieu de l’immigration clandestine, l’image populaire du passeur exploitant la misère de quelques-uns n’ayant rien à envier à celle du dealer de drogues. Dans les 2 cas, on oublie en effet qu’il il y a une demande avant l’offre. Deuxièmement, ouvrir une boutique légale de vente de produits à base de cannabis sur ordonnance compte tenu de la nouvelle législation. Et troisièmement, faire traverser la frontière mexicaine à certains personnages afin de retrouver une situation similaire à celle qui faisait le succès de la série à ses début (prohibition, corruption et trafic). Bref, ça part dans tout les sens.

Breaking Bad n’a que 3 saisons à son actif et n’a donc pas encore joué tous ses atouts. D’autant que la crystal-meth n’est pas près d’être légalisée, ce qui réduit les risques d’une nouvelle panne scénaristique. En trois ans, le côté déjanté et drôle du début s’est cependant sérieusement assombri. La dernière saison ne compte que 2 épisodes à l’humour franc et décalé, dont l’un assez mémorable où 3 revendeurs n’ayant plus de territoire pour dealer décident d’investir des groupes de parole d’abstinents pour promouvoir subtilement leur produit et s’ouvrir les portes d’un nouveau marché : les abstinents prêts à rechuter !

Bonjour, je m’appelle Pete, je ne prends plus rien depuis 3 mois mais hier, j’ai craqué. Un ami m’a proposé la fameuse amphet’ bleue dont tout le monde parle en ce moment.
Ah, oui ! Il paraît qu’elle te retourne le cerveau comme jamais. Une fois, j’en ai pris et c’était le meilleur trip de toute ma vie.

Un sujet dont on rit de bon cœur

L’accord Mildt -CSA

De puis 2008, sous l’impulsion de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) « interdit de faire apparaître à l’antenne toute drogue illicite ou toute personne en consommant […] ainsi que de relater de manière positive ou équivoque la consommation de drogue. S’agissant des émissions d’information et des documentaires, des drogues illicites ou des personnes les consommant peuvent y apparaître, dès lors que cela entre dans l’objet de l’émission ou du documentaire et que ces programmes ne sont en rien incitatifs, c’est-à-dire que la consommation et la personne consommant de la drogue ne sont en aucun cas valorisées. »

On comprend alors aisément pourquoi tous les reportages sur les drogues sont toujours aussi stigmatisants et si peu réalistes. Et surtout pourquoi on ne se marre jamais sur ce sujet. Il ne faudrait pas le valoriser !

De plus, « les programmes susceptibles de présenter un risque de banalisation de prise de drogues illicites [doivent faire apparaître] l’avertissement suivant : L’usage de produits stupéfiants est dangereux pour la santé et interdit par la loi. Pour plus d’informations et recevoir de l’aide, téléphonez au 0800 23 13 13 (Drogues Info Service). » Une mesure qui fleure bon l’ORTF de grand-papa à l’heure de la TNT et d’Internet…

Car c’est bien cela le plus subversif de ces séries : faire des drogues et de leur quotidien un sujet comique dont on rit de bon cœur. Pas une moquerie de plus envers les drogués ni une blague hermétique aux nonconsommateurs. Non, de vrais moments où chaque éclat de rire partagé vient ébrécher un peu plus les clichés et le sérieux imposé dès qu’il est question des drogues et de ceux qui en prennent. Évoquer les drogues concrètement et à la légère est tabou. Le risque de voir s’effondrer le mythe du « fléau de l’humanité », tel un tour de magie qui n’impressionne plus personne dès qu’on en connaît le « truc », est trop grand pour les gardiens de cette idéologie.

Est-ce pour cela que Weeds et Breaking Bad sont péniblement diffusées à la télé française, malgré le succès d’audience outre-Atlantique ? Aucune des grandes chaînes interrogées sur la question n’a confirmé ni infirmé cette hypothèse. Il faut dire que le récent partenariat Mildt-CSA (voir encadré) veille à la bonne moralité des programmes diffusés. Quant à avoir une série française du même genre, ce n’est pas demain la veille. En attendant, on devra se contenter des flics accrocs de Braco sur Canal+, ou encore des allusions au cannabis thérapeutique dans plusieurs épisodes de Plus belle la vie sur France 3.

Serial-Dealers

Cet article fait partie du dossier Serial Dealers.

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