Auteur/autrice : Fabrice Olivet

rédacteur en chef Asud Journal

Ces mensonges qui nous font tant de mal

Juin 2010, les discours de Pétain passent en boucle sur les radios. Un des fleurons de cette rhétorique pleurnicharde est le discours du 17 juin 1940 sur « ces mensonges qui nous ont fait tant de mal », une phrase qui s’applique parfaitement au débat sur les politiques de drogues au niveau international et leur présentation par les officiels français : une succession de contrevérités énoncées puis répétées de manière systématique, quel que soit le contexte.

asudjournal44p9illusL’escroquerie est de laisser croire que notre politique des drogues – à l’image de notre football – pourrait prétendre à un podium mon­dial. Une distorsion impudente de la réalité qui devrait normalement nous conduire à changer d’entraineur ces prochaines années.

Propagande

Premier mensonge : « La consomma­tion de cannabis baisse grâce à l’inten­sification de la répression. » N’importe quel statisticien débutant peut aisément prouver que sur le court terme, c’est-à­dire à l’échelle de quinze ou vingt ans, la consommation de cannabis a pro­gressé jusqu’à atteindre des niveaux qui nous placent en tête des pays de l’Union européenne alors que parallèlement, les interpellations n’ont cessé d’augmenter. Tous les gens sérieux estiment que les liens de cause à effet entre répression et consommation de drogues sont impossi­bles à corréler scientifiquement. Soumis à des régimes législatifs très différents, les États-Unis, l’Espagne ou le Royau­me-Uni caracolent au top du hit-parade de la fumette mondiale. À l’inverse, la Suède et les Pays-Bas, dont les politi­ques sont absolument antithétiques, affichent des scores très modérés. Les incidences culturelles, le rôle de l’environnement social, l’appréciation collec­tive de l’ivresse, la place de la sexualité, toutes ces questions qui mériteraient au contraire d’être observées minutieuse­ment sont toujours traitées par le mé­pris, voire complètement ignorées par le discours de propagande politiquement correcte sur le fléau de la drogue.
Quelques milliers de Français fu­maient de la « marijuana » en 1970, lorsque la loi du même nom fut votée.
Depuis, les arrestations et les emprisonne­ments pour usage, possession, détention et autres ont progressé de manière exponen­tielle, et les milliers sont devenus millions. La courbe a culminé en 2005, avec 5 mil­lions d’individus ayant déclaré avoir fumé du cannabis dans l’année écoulée. Ce n’est que tout dernièrement, entre 2005 et 2010, qu’une baisse impressionnante de 0,5% par an du nombre de consommateurs a permis un élan de triomphalisme cocar­dier : la consommation de cannabis baisse, et c’est évidemment grâce au renforce­ment de la répression !

Désinformation

Autre mensonge éhonté : « Les pays européens qui ont assoupli leur législation sur les drogues sont en train de revenir en arrière. » Là, il ne s’agit plus d’approxi­mations sur les chiffres mais de pure dé­sinformation. Les exemples cités sont toujours les mêmes : l’Espagne et les Pays-Bas, les 2 finalistes de la coupe du monde (tiens, tiens !).
Commençons par nos voisins les Ibè­res. Après avoir minutieusement déman­telé la législation franquiste, le royaume espagnol est effectivement revenu en arrière… en 1986, il y a vingt-quatre ans ! S’il a alors supprimé la possibilité de consommer en public (flash-back sur les injecteurs d’héroïne juchés sur les monuments historiques), aucun pouvoir – fut-il néofranquiste, comme celui du Parti Populaire d’Aznar – n’a jamais recriminalisé l’usage simple et privé. Il suffit de se balader n’importe où dans la péninsule pour le comprendre.
Tous les gens sérieux estiment que les liens de cause à effet entre répression et consommation de drogues sont impossibles à corréler scientifiquement Décisionnaires en matière de drogues, les régions autonomes ne cessent, au contraire, d’approfondir depuis dix ans une politique de réduction des risques audacieuse qui associe sal­les de consommations et programmes d’héroïne médicalisés. Autant de choses qui hérissent le poil de nos supporters hys­tériques du modèle français. Plutôt que de parler du retour en arrière, on ferait mieux de les suivre dans la surface de réparation (ha mais !)
Parlons maintenant de l’autre finaliste, la Hollande. « Les Pays-Bas reviennent sur leur modèle de prise en charge », nous dit-on. Quelle farce ! Certes, le débat sur les coffee shops occupe une place prépondérante dans les joutes politiciennes, mais que repro­che-t-on exactement à ces oasis de tolérance cannabique ? L’afflux de Français (entre autres). Soi-disant décrié, le modèle hollandais a en effet permis au consommateur de cannabis local de trouver seul des raisons de fumer ou de ne pas fumer, sans être parasité par l’imbroglio psychologique de l’interdit. Le nombre de fumeurs étant proportionnellement plus faible aux Pays-Bas qu’en France, le plus étonnant est que nos voisins bataves aient trouvé sur ces ba­ses plus de raisons de s’abstenir que de planer avec de l’herbe-qui­fait-rire-bêtement. Ce qui défrise le Hollandais moyen, ce sont les hordes de fumeurs étrangers, et tout particulièrement français, qui écument les coffee shops le temps d’un week-end, par ailleurs copieusement arrosé de bière. Cette fonction d’oasis cannabique dans le désert européen finit par lasser une partie de l’opinion hol­landaise, qui songe à réserver l’endroit aux seuls Bataves de sou­che. On a l’identité nationale qu’on peut…

Et mensonge par omission

Le dernier mensonge est un mensonge par omission. Dans le continuum du mensonge n°2 qui veut que la tendance européen­ne soit au renforcement de l’interdit, les officiels français se gar­dent bien d’évoquer le nombre croissant de pays européens qui dépénalisent. Non seulement l’Espagne et les Pays-Bas ne revien­nent pas en arrière, mais le Portugal en 2004 et plus récemment la Tchéquie en 2009 ont décidé de dépénaliser l’usage de drogues. Essentiellement prise pour des raisons sanitaires, la décision por­tugaise a fait l’objet de tellement de commentaires internatio­naux que les partisans américains d’une réforme des politiques de drogues évoquent couramment le « modèle portugais » comme référence européenne, une sorte de propédeutique de dépénali­sation. Une définition qui n’a évidemment pas de sens en France puisque notre politique est un succès total.
Pour clore l’affaire, mentionnons quelques statistiques incontournables sur le sujet. Selon l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies, la France décroche la médaille de bronze du championnat des amateurs de bédos, avec 30,6% de fumeurs de cannabis chez les 15-64 ans. Sur les 27 pays engagés dans la compétition, nos athlètes se placent juste derrière les Danois et les Italiens mais coiffent d’une courte tête l’Angleterre, qui vit surtout sur sa réputation. Des chif­fres dont notre « Drug Czar », Monsieur Apaire, se soucie comme d’une guigne. Interrogé le 10 août dernier par le jour­nal Le Monde sur les salles de consommations à moindres risques, il récidive en déclarant : « En France, la consom­mation de drogue a globalement baissé, celle d’héroïne y est moins importante qu’ailleurs en Europe. Le nombre d’overdo­ses y est aussi l’un des plus faibles. » Cette déclaration, très « Mundial 2010 », nous rappelle que la déformation systé­matique de la réalité peut ressembler à une forme d’addiction. Au-delà d’un certain seuil, on ne peut plus s’arrêter. La cocaïne bat des records historiques, l’héroïne relève la tête, le cannabis fait de nous les vainqueurs de la petite finale… et notre politi­que est la meilleure du monde.
Juin 1940-juillet 2010 : en France, la « gagne » est une valeur nationale reconnue. Alors pour les drogues, surtout ne changeons rien.

La prohibition est-elle soluble dans l’Atlantique ?

L’Amérique est en train de changer. Il y a peu, l’administration Bush confondait usagers de drogues et terroristes dans les forces du Mal. Mais depuis « yes, we can », le président lui-même confesse faire partie du club de ceux qui ont avalé la fumée. Le point, à l’occasion de la conférence bisannuelle du Drug Policy Alliance, le lobby américain des adversaires de la prohibition.

« I’m feeling good ! I’m feeling really good …». Ethan Nadelmann, le directeur du Drug Policy Alliance (DPA), est heureux. « The wind is on our back » (« nous avons le vent en poupe »), enchaine-t- il sous les ovations des 1 000 délégués réunis dans la bonne ville d’Albuquerque (Nouveau-Mexique). Nous sommes en novembre, il fait doux, et 2009 est une bonne cuvée pour les partisans du changement des politiques de drogues (Drug Policy Reformers).
Il faut dire que les antiprohibitionnistes américains reviennent de loin, de très loin. Depuis quarante ans, La Guerre à la Drogue (War on Drugs) creuse son sillon sans rencontrer beaucoup d’obstacles. À l’exception d’une embellie dans les années 1970 sous la présidence de Jimmy Carter, la répression de l’usage s’est accrue au même rythme que la rigidité du consensus antidrogue. Pire, les années 1980-90 –les années crack-cocaïne – ont autorisé toute les audaces, toutes les surenchères au service de la stigmatisation de tout ce qui touche aux substances illicites. Les Démocrates succèdent aux Républicains qui succèdent aux Démocrates, et l’ensemble de la classe politique récite depuis quarante ans une litanie sécuritaire bien rodée autour d’une évidence : « Drugs are bad ! »

War on Drugs

On oublie parfois que le concept de Guerre à la drogue est une invention historiquement datée, dont l’auteur s’appelle Richard Nixon. En 1969, lors d’une célèbre intervention au Sénat retransmise à la télévision, le président fait de La Drogue l’« Ennemi public n° 1 » du peuple américain. À l’instar du communisme pendant les années 1950 ou du terrorisme d’Al-Qaïda depuis l’attaque des tours jumelles, l’usage de drogues est promu au rang des grands fléaux à combattre par tous les moyens, y compris militaires.
1969-2009 : quarante années de violences policières, d’inflation carcérale, d’expéditions armées dans les États voisins et symétriquement, quarante années d’augmentation exponentielle de la consommation, de croissance des mafias et des bénéfices générés par le trafic international. Cette guerre a causé la mort de milliers de toxicos, dealers, voisins, petits frères, membres de gangs, en grande majorité Noirs ou Hispaniques. Elle a conduit des millions de fumeurs de marijuana derrière les barreaux et elle continue de déstabiliser gravement une partie de l’Amérique Latine, au point que de nombreuses voix y réclament la fin de la prohibition.
En 2009, Barack Obama fait renaitre les espoirs de tous ceux qui tentent de résister à cette déferlante. La biographie du nouveau président, la franchise avec laquelle il aborde ses propres consommations, la directive donnée aux procureurs fédéraux de ne plus poursuivre les planteurs de marijuana, autant de signes qui apparaissent comme un revirement quasi miraculeux aux yeux des activistes partisans d’un changement de politique. Il était donc particulièrement intéressant d’aller écouter ce que disent les lobbyistes du Drug Policy Alliance sur l’éclaircie de l’année 2009.

Comme du temps de l’Amérique « sèche »

L’Amérique est décidément une terre de contraste. Nulle part ailleurs la guerre à la drogue n’est combattue avec autant de ténacité que par les Américains eux-mêmes. Le Drug Policy Alliance – ex-Lindersmith Center – est une fondation patronnée par George Soros, l’un des hommes les plus riches du monde. L’animation et la direction du réseau sont confiées à un diplômé de Harvard, ancien professeur de droit international à l’université de Princeton, le très charismatique Ethan Nadelmann. En l’espace de quinze ans, cet intellectuel new-yorkais a hissé son organisation au tout premier plan. L’ancien « think tank » un peu élitiste du début est devenu une mécanique bien huilée qui martèle une seule idée : la guerre à la drogue est un fléau bien pire que celui qu’il prétend combattre. La comparaison avec le combat des années 1920 pour sortir de la prohibition de l’alcool s’impose dès que l’on analyse l’argumentaire des Drug Reformers. Comme du temps de l’Amérique « sèche », l’interdiction des drogues est désignée comme la principale responsable de la prospérité des mafias et de la permanence de la corruption aux États-Unis.
Pour toucher efficacement l’ensemble de la société, le DPA est organisé en lobby, à l’américaine. Un système qui associe des intellectuels et des politiques d’envergure nationale, qui cultive ses relais à l’université, essaime via les forces de police ou les représentants des minorités et privilégie, bien entendu, l‘intervention médiatique. Nulle part ailleurs dans le monde une telle machine de guerre n’eut été concevable, nulle part ailleurs les enjeux ne sont aussi déterminants. De par son importance géopolitique, et du fait de la place qu’elle occupe dans ce dossier, l’Amérique influence significativement la plupart des décisions internationales prise en matière de contrôle des stupéfiants. L’année 2009 sera donc peut-être un jour qualifiée d’historique.

Ensemble disparate

Aux États-Unis, la fonction d’activiste est une affaire sérieuse. À première vue, les délégués réunis au Conference Center d’Albuquerque ressemblent à un mélange improbable de militants de la Ligue des droits de l’Homme et d’adeptes de l’Église de scientologie. Tous ont en commun une ferveur presque religieuse dans la dénonciation des méfaits de la guerre menée contre les drogués, conjuguée à la certitude d’appartenir au camp des vainqueurs, de ceux qui sont du bon côté de la barrière. Bref, aux forces du Bien.
Derrière le stand des Étudiants américains pour la légalisation de la marijuana, on aperçoit quelques adolescents joufflus. Puis on transite vers celui des Mamans unies contre le mésusage et l’abus (Mothers Against Misuse and Abuse), où des mères de famille vous étouffent sous une montagne de flyers vantant la réduction des risques. On peut également visiter le stand des Forces de l’ordre contre la prohibition (Law Enforcement Against Prohibition) présidé par l’ineffable Jack Cole, un ancien flic du DEA « undercover » qui proclame la nécessité de légaliser toutes les drogues. En flânant un peu, on se rend compte que ces militants appartiennent à toutes les chapelles de l’Amérique, qu’ils ne partagent pas forcément les mêmes opinions politiques, et que leur penchant pour les drogues est tout aussi relatif. De nombreux ex-usagers de drogues issus des programmes d’abstinence en 12 étapes sont d’ailleurs de zélés militants du DPA. Un ensemble disparate uni derrière l’idée que l’État fédéral aggrave le problème en interdisant la consommation des citoyens américains. Un exemple ? L’orateur vedette de la clôture est un libéral, plutôt classé à droite, Gary E. Johnson.

« Candidat des drogués »

Ancien gouverneur du Nouveau Mexique, cet élu du parti républicain est un adversaire déclaré de la prohibition et bat, comme tel, les estrades du pays pour briser le mur de préjugés et de désinformation qui sévit, notamment dans les rangs de son propre parti. « Une femme, raconte-t-il, m’en voulait à mort d’avoir gracié une détenue condamnée à six ans de prison pour fabrication de fausses ordonnances.
– C’est un scandale. Vous êtes un criminel. J’ai été cocaïnomane pendant vingt ans, je sais que les drogues sont des poisons.
Elle a continué à s’énerver jusqu‘à ce que je lui demande si elle pensait vraiment que la prison aurait régler ses propres problèmes. Quelques années plus tard, un homme a déclenché un ouragan médiatique en clamant partout que la drogue avait tué 6 personnes de sa communauté. Les forces de police ont rapidement arrêté le dealer, qui a aussitôt été remplacé par un autre dealer, beaucoup plus dur, qui a causé la mort de 62 personnes…»
Mais le gouverneur sait également faire dans le genre plus léger : « On dit qu’il faut protéger notre jeunesse de la drogue. Mais si vous voulez des drogues, vous avez tout intérêt à vous adresser à un jeune plutôt qu’à un vieux car ce sont les jeunes qui savent où trouver les drogues, pas l’inverse. » Des anecdotes qui font le régal d’une salle chauffée à blanc qui scande « Insanity » (« infamie ») le poing levé après chaque démonstration de l’inanité des réponses répressives.
Si le gouverneur Johnson a de l’humour, ce n’est pas un rigolo. C’est un élu de premier plan, sérieusement en course pour la candidature des Républicains à la présidentielle. Il existe peu de nations où un homme politique de ce niveau prendrait ainsi le risque d’être étiqueté « candidat des drogués ».

« Yes, we can », « si, se puede »…

Mais la grande affaire, celle qui a polarisé tous les commentaires, est bien évidemment l’analyse des intentions de Barack Obama. La personnalité du président métis est effectivement l’objet de tous les espoirs et de toutes les interrogations. Dans son discours inaugural, Ethan Nadelmann a ainsi rappelé les signes positifs émis par la nouvelle administration, à commencer par la nomination d’un « Monsieur drogue », Gil Kerlikowske, acquis à la réduction des risques et auteur de la fameuse phrase critiquant le caractère métaphorique de la guerre à la drogue : « Nous ne sommes pas en guerre contre les gens de ce pays ». Le directeur du DPA n’a pas résisté au plaisir de citer le président Obama interrogé par la presse :
« Avez vous déjà fumé de la marijuana ?
– Oui.
– Mais avez-vous avalé la fumée ?
– Excusez-moi, je croyais que c’en était l’intérêt (I believe it was the point). »
Les similitudes entre notre « moment historique » et celui qui a vu s’effondrer la prohibition de l’alcool au début des années trente ont également été mises en perspective selon un angle particulièrement éclairant : une crise économique majeure, des produits toujours plus accessibles mais fournis par les mafias, une répression sélective qui sanctionne durement les « classes dangereuses » et favorise un climat d’hypocrisie générale chez les plus favorisés socialement.
« Si, se puede », ont scandé les 1 000 délégués en clôture de la conférence. Le « yes, we can » du président, hispanisé pour la bonne cause, a servi de cri de ralliement. Et l’on se prend à rêver d’une Alliance pour un changement de politique des drogues bien française, bâtie sur ce modèle. Il suffirait d’un milliardaire franchouillard militant du cannabis, de quelques anciens ministres partisans de la légalisation de la cocaïne, d’un syndicat de policiers engagé à fond dans le combat contre la loi de 70 !!!!

Il est clair que nos deux pays ont une conception très différente de la démocratie, de la liberté individuelle et du rôle de l’Etat. Ce qui fait sens pour un élu républicain comme pour un intellectuel « de gauche » new-yorkais, c’est avant tout l’atteinte insupportable à la vie privée, donc à la sacro-sainte liberté individuelle. L’interdiction fédérale de consommer tel ou tel type de drogues peut sérieusement être présentée comme un acte anti-Américain, contraire à toutes les traditions de ce pays depuis la guerre d’Indépendance. Qu’elle se décline sur le mode capitaliste ou dans une version libertaire, cette religion du Moi est toujours une idée forte à laquelle le citoyen de base reste attaché, car elle fonde la démocratie américaine. C’est donc bien la liberté individuelle, et non pas la réduction des risques ou les questions sanitaires, qui fédère les partisans du changement Outre-Atlantique. Un exemple qu’il conviendrait sans doute de méditer en 2010 quand nous célèbrerons les 40 ans de notre loi « liberticide » du 31 décembre 1970.

Trop forts ces Américains !

Ils sont forts ces Américains ! On en était resté au Klu Klux Klan et à George « 2 neurones » Bush, ils ont aujourd’hui un président métis qui obtient aussi sec le prix Nobel de la paix. On les croyait les champions de la guerre à la drogue, voilà qu’ils dépénalisent le cannabis thérapeutique. Le président Obama vient de recommander aux procureurs fédéraux de ne plus poursuivre les consommateurs qui reçoivent de la beuh sur prescription médicale (voir ASUD Journal N°41 p14). Quinze États de l’Union ont officiellement autorisé l’ouverture de dispensaires habilités à délivrer de « l’herbe à bobo ». Décidément, après plusieurs années de gros temps, 2009 restera comme une embellie – timide – sur le front des drogues. Dénonçant comme une menace l’interventionnisme répressif de leur voisin du Nord, trois anciens présidents d’Amérique latine ont fondé l’initiative « drogues et démocratie », qui appelle le sud du continent à sortir progressivement de la prohibition. Successivement, le Mexique puis l’Argentine ont apporté d’importantes modifications à leur législation sur les drogues (voir ASUD Journal N°41 p28).

Ils sont forts ces Américains. Avant de faire la guerre aux pauvres, aux Noirs et aux drogués (ce sont souvent les mêmes), ils ont inventé la sociologie « interactionniste », l’observation participante, plus connue sous le nom d’École de Chicago. Une approche révolutionnaire des questions de société qui influence les années 60 et 70. En matière de drogues, la référence classique c’est « How to become a marijuana user », un article sur l’usage contrôlé de cannabis écrit en 1953 par Howard Becker. De quoi horrifier nos french élites du moment. Car si le gendarme du monde semble renouer avec sa face radieuse, la France, elle, replonge avec délice dans les ténèbres de la prohibition la plus obtuse. Comme toujours en matière de drogues, notre pays est à contretemps. Contre les traitements de substitution quand il fallait être pour, partisan béat de
l’addictologie quand de nombreuses voix s’interrogent sur les dérives du pouvoir médical, voilà que nous redécouvrons des mérites à la stigmatisation des usagers. Quand je dis nous, c’est un large pluriel. Une palette qui va de la campagne officielle du ministère de la Santé (voir ASUD Journal N°41 p4) à Laurent Joffrin, patron de Libé, en passant par Manuel Valls, le député-maire socialiste d’Evry. Seul Daniel Vaillant, ancien ministre de l’Intérieur, a le courage de battre en brèche cette vague réactionnaire et découvre sur le tard les vertus d’une sortie de la prohibition du cannabis.

Toute cette effervescence a le mérite de relancer la petite musique hexagonale, pour ou contre la drogue, pour ou contre la légalisation, pour les braves gens, contre les « dealers ». Malheureusement, les drogues c’est compliqué, ça s’accommode mal du noir d’un côté et du blanc de l’autre. C’est plutôt un sujet mixte, un sujet pour le président Obama… D’ailleurs, si la répression des fumeurs semble marquer le pas, les States restent le royaume du repentir biblique et des manifestations ostensibles de culpabilité. Les cliniques pour « people », les « rehab » n’y ont jamais été autant en vogue (voir ASUD Journal N°41 p24). On appelle ça garder deux fers au chaud… Décidément… Ils sont forts ces Américains.

Présentation des EGUS 5

Chers amis,

La cinquième édition des ÉTATS GÉNÉRAUX DES USAGERS DE SUBSTANCES (EGUS 5) va se dérouler les 26 et 27 novembre 2009 à la Maison des Associations 10-18 rue des Terres au Curé, à Paris, dans le 13e arrondissement.

Avec le temps, les EGUS sont devenus la tribune d’ASUD, le moment où nous choisissons de communiquer sur un sujet qui nous semble crucial au regard de notre actualité.
En matière de drogues, l’année 2009 a commencé dans la grisaille des overdoses du Nord –Est parisien, puis s’est éclaircie avec l’élection inattendue de Barak Obama. En l’espace de quelques semaines les Européens ont assisté, médusés, à la mutation spectaculaire de l’Oncle Sam. Même la terrible guerre livrée contre la drogue a changé de physionomie après les déclarations du président sur « cette guerre livrée à nos propres concitoyens ». Plusieurs états américains autorisent ou sont en train de réfléchir à une autorisation de l’utilisation thérapeutique du cannabis. Mieux, ce vent de liberté semble souffler au sud du continent où l’on voit le Mexique, puis l’Argentine transformer leur législation qui dorénavant ne pénalise plus la consommation personnelle.

Il faut bien avouer que cette lueur d’espoir fait contraste avec le climat dépressif français. Chez nous, la répression des usagers de drogues suit une courbe de croissance exponentielle qui s’accommode fort bien d’une absence totale de débat. Autant d’éléments qui nous ont poussé à construire les EGUS autour de ce qui se passe à l’extérieur de nos frontières, et plus particulièrement à privilégier des expériences européennes susceptibles d’alimenter le débat français.

Notre première journée sera consacrée à l’utilisation thérapeutique du cannabis. Ce sujet n’a encore jamais franchi la barrière de nos tabous. L’exemple hollandais nous servira de fil rouge, une expérience bi décennale pratiquement ignorée des pouvoirs publics comme des spécialistes. Or, l’utilisation thérapeutique des cannabinoïdes intéresse les usagers de drogues à plusieurs titres, ils sont à la fois fréquemment victimes de pathologies infectieuses et avertis du potentiel bénéfique du Sativa. C’est l’occasion de mettre en avant notre rôle institutionnel d’association de patients.

La seconde journée sera consacrée à nos homologues de l’auto-support des usagers de drogues, implantés dans d’autres pays européens. Il y a maintenant plus de douze ans, en 1997, nous avions organisé une réunion en marge de la VIIIe conférence internationale de réduction des risques de Paris. Cette rencontre, baptisée IM a Drug User (IMDU), a jeté les bases d’un réseau informel de militants usagers de drogues. Aujourd’hui, ce réseau a un nom : International Network of People Using Drugs –INPUD. Il est implanté en Asie, sur le continent américain et en Europe. Notre objectif est de créer une coordination européenne Euro-Inpud affin de peser plus efficacement lors des rassemblements internationaux et auprès des décideurs politiques. Ce regroupement comprend de nombreux groupes de pairs qui sont riches d’expériences variées et souvent inédites dans notre pays. Ce rôle d’innovateur social, de locomotive de la réduction des risques représente la part la plus valorisante de nos actions. Comme nous l’avons démontré en France en menant une action collective expérimentale sur les salles de consommation à moindre risque, nous pouvons servir à la fois d’aiguillon et de guide à l’intérieur d’un partenariat consensuel avec les autres acteurs de la rdr.

Nous allons donc présenter différents itinéraires ayant conduit des associations d’usagers de drogues à nouer des liens durables avec la puissance publique ou le système de soins. Nous vous proposons une histoire de la parole de l’auto-support déclinée en plusieurs langues, en abordant la complexité de nos différences culturelles. .

Rendez –vous donc les 26 et 27 novembre à la maison des associations pour les cinquièmes Etats Généraux des Usagers de Substances (licites et illicites).

Vive le sida (à bas les hépatites) !

Vous avez adoré le sida dans les années 80 ? Vous allez détester les hépatites dans les années 2010… Le sida, c’était quand même mieux. Pas pour les morts, bien sûr. Les morts sont morts et souvent, pas très proprement. Mais la différence est flagrante pour tous les autres, les vivants, les malades, les soignants, le public. Les porteurs du VHC n’intéressent personne. « To liver and let die », dit Berne le Suédois avec un humour un peu réfrigérant.

Avec le sida, on a découvert les joies du préservatif, les délices du condom, les raffinements du Fémidon®. Que nous proposet-on comme garniture de nos hépatites ? Une cure d’interféron pégylé. Tu parles d’un pied ! Même le nom « hépatites » donne un peu mal au coeur. On a déjà les dents du fond qui baignent.

Et puis les hépatites, tout le monde s’en fout. Ce sont les pauvres ou les gens malades qui attrapent des hépatites, les gens normaux, eux, ne risquent rien. Le sida, oui, voilà un truc dangereux. Regardez Charlotte Valandrey, elle est devenue séropositive en baisant avec un tox qui jouait du rock’n’roll. Aucune chance d’être rock’n’roll roll avec une hépatite. Tout ce qui vous pend au foie, c’est une cirrhose, la maladie des pochtrons. Encore un truc, rien qu’à le prononcer on a envie d’aller au refile.

Pour lutter contre une telle fatalité, il faut donc mettre en scène quelque chose de plus digeste (blurp !). Pendant la Sainte-Hépatites, nous avons ouvert une salle de consommation de drogues illicites. Quel rapport, me direz-vous ? Aucun. Sauf le plan national de lutte contre les hépatites qui n’évoque l’injection de drogues que pour dire : c’est pas bien. Au-delà du fait d’accueillir des injecteurs de drogues, une salle de consommation, c’était donc l’occasion de mettre les pieds dans le plat. Ouvrir une salle de consommation ? C’est possible en France ? Non justement, c’est pas possible. D’où l’intérêt d’en ouvrir une, ou plutôt de faire semblant d’en ouvrir une car le truc de cette salle, c’est qu’il s’agit en fait d’un artefact, d’une performance. Très justement appelée « la salle de consommation du 19 mai », elle n’a eu pour fonction que de susciter la curiosité et le débat, avant de se transporter ailleurs puis de repartir encore, comme une exposition itinérante.

Car contrairement à la Sainte-Hépatites dont chacun se contrefout, les salles de consommation évoquent un sujet tabou : faut-il laisser les drogués se droguer pour éviter qu’ils ne se tuent ? Tous les bons sentiments s’arrêtent aux portes de la salle de consommation.
Toute l’empathie institutionnelle mise en scène pour la prise en charge de ces « pauvres toxicomanes victimes de l’hépatite C » est restée bloquée dans la seringue des usagers qui veulent une salle de shoot pour se shooter. Laisser les gens consommer dans des conditions décentes est pourtant aussi un exercice d’humanité.

Le principal mérite d’une « salle de consommation médicalement assistée » en France, c’est ainsi de transgresser ce nouveau tabou pour sauver les toxicos des ravages de l’hépatite C, en s’attaquant directement à la matrice virale qui a produit deux pandémies majeures : le caractère illicite de l’usage de drogues.

Il est mort le poète !

L’héroïne, la drogue maudite des années 80, est revenue en force dans l’actualité. Entre le 20 janvier et le 02 février, un décès par overdose et 49 personnes dans le coma ont été signalés en région parisienne.

En cause, une mystérieuse « héroïne frelatée » achetée sur deux sites de la périphérie, la bien-nommée cité des Poètes à Pierrefitte, et le Clos-Saint-Lazare à Stains. À quelques jours de la mort de Claude Olievenstein, c‘est un clin d’oeil déplaisant adressé par la Camarde à nos emballements médiatiques. En 40 ans de guerre à la Drogue, plusieurs substances ont été transformées en chiffon rouge par la presse grand public. La marijuana dans les années 70, puis le LSD, l’héroïne bien sûr, l’ecstasy, le crack et même dernièrement, le cannabis. À chaque fois, un discours policier ou médical, fortement teinté de moralisme, vient cautionner l’inquiétude des familles françaises, sans jamais aborder le point essentiel : Comment agissent les « victimes de la drogue » ? Quelles sont leurs attentes en choisissant tel produit plutôt que tel autre ? Quelle est la « cuisine » de l’usage au quotidien ? Quelles techniques sont utilisées pour sniffer, fumer ou shooter tel ou tel produit ? Autant de questions qui, prises eu sérieux par les pouvoirs publics, auraient fourni en temps utiles des informations pour réduire les risques.

Reste une question de fond. Accepter de s’intéresser sérieusement à la dynamique culturelle des drogues dans un but préventif suppose de parier que les « toxicomanes » sont capables d’influer sur leur destin, qu’ils ne sont pas indifférents à l’idée de la souffrance et de la mort, et surtout qu’ils sont accessibles à des messages de santé publique, dès lors que ces derniers leur semblent crédibles. Par exemple fin janvier, justement. Avons-nous tenté d’informer les potentiels acheteurs d’héroïne ? Avons-nous communiqué sur la couleur et le type de poudre incriminée ? Brune ? Blanche ? Une de ces dopes qui gélifient dans la cuillère ? Doit-on éviter de la chauffer si cela risque d’accélérer l’adultération toxique du produit ? Était-elle irritante par voie nasale ? À fort goût d’éther quand on la shoote ? Hélas, comme toujours, priorité a été donnée à l’interrogatoire policier, avec pour unique objectif d’arrêter le ou les « méchants dealers » (voir ASUD Journal N°39 p.4), voire – une illusion récurrente des forces de répression – de réussir un jour à agrafer le dealer ultime : celui qui fabrique et vend la Drogue.

Quinze années de réduction des risques liée à l’usage des drogues pour en arriver là. Seule la catastrophe de l’épidémie de sida aura temporairement bousculé les certitudes hypocrites en ouvrant un petit espace d’autonomie pour les usagers de drogues injecteurs qui peuvent (encore) acheter des seringues stériles. Du « drug, set and setting », le triptyque olievensteinien, il ne reste que le drug. C’est toujours la Drogue que l’on combat, c’est autour des performances chimiques des produits de substitution que se mobilise le lobby médical, c’est bien la drogue et seulement la drogue qui intéresse les policiers et les juges qui contrôlent, placent en garde à vue, emprisonnent. Le reste est tabou. Que le nombre de consommateurs récréatifs augmente avec la même célérité que les arrestations depuis 40 ans ne gêne, semble-t-il, personne. Que la grande majorité des consommateurs aient comme priorité n°1 d’échapper à la fois au soin et à la police ne bouscule aucune certitude. Attendons, continuons de faire l’autruche ne sortant la tête du sol qu’au fil des drames sanitaires, sida, hépatites, overdoses. La boulimie française de psychotropes légaux ramenée à notre leadership européen en matière de répression est une schizophrénie que nous finirons par traiter, la question est de savoir comment. Avec une législation rajeunie ou avec encore plus de médicaments

Le Planplan (de la Mildt)

Plan plan, Rantanplan, Plantigrade, plantation, planétarium… Il y a mille et une manières de faire des plans, de rester en plan ou de tirer des plans sur la comète.

Annoncé à grand cris, soit pour le critiquer à l’avance, soit pour prévenir que… vous allez voir ce que plan veut dire, le plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les toxicomanies est-il un événement considérable en matière d’addiction ? En bien ou en mal ?
Quand je lis la place accordée à la prévention « disqualifiante », celle qui pense que pour empêcher les jeunes de consommer, il faut que des adultes leur disent que la drogue c’est pas bien, je me souviens de Matt Southwell à la Xe Conférence internationale de réduction des risques de Genève racontant l’odyssée des jeunes acteurs anglais de la campagne antidrogue « Just say no ! » (fin des années 90). Ils en avaient pris tellement pendant le tournage, qu’il a fallu leur faire subir une cure de désinto expresse avant de les rendre à leur parents !

Ce plan-là, il fait dans le sérieux, le technique. Et n’en déplaise aux critiques, dans la continuité. J’ai beau lire et relire les passages qui inquiètent tant une partie de nos amis du soin et de la réduction des risques (le rappel constant à la loi, les références morales, le poids de la prévention au détriment du soin), je ne vois rien de fondamentalement différent de ce qui a précédé.
Non, le décalage essentiel entre la lutte contre la drogue et les autres activités gouvernementales est que la lutte contre la drogue ne s’adresse jamais aux gens qui en sont prétendument l’objet. Les consommateurs ne sont pas les destinataires du plan qui sont, par ordre de préséance, les partis politiques, les associations familiales, les personnels en charge du secteur, les policiers et les douaniers. Mais vous ou moi ? Jamais. Je dis vous ou moi, façon de parler, j’entends ancien ou futur consommateur ou tout au moins, intéressé par l’acte de consommer, engagé dans un soin relatif aux addictions, amateur de ce que les drogues engendrent comme univers, comme culture. Bref, intéressé par les drogues. Pas pour s’en faire une gloire ou pour le déplorer, mais pour comprendre comment ça se passe. Voilà le grand absent du plan et de la plupart des plans qui l’ont précédé. Voilà la grande différence entre un plan de la Mildt et un plan de lutte contre la pauvreté ou contre le cancer. Dans ces derniers cas, la référence symbolique, parfois introduite avec un trop-plein de pathos, c’est le pauvre, le malade, le chômeur, la personne handicapée… C’est à eux que l’on adresse des encouragements ou des avertissements.
Mais quand il s’agit de La drogue, les plans gouvernementaux ne s’adressent jamais aux usagers.
On pourrait rétorquer qu’un plan de lutte contre la délinquance ne s’adresse pas non plus aux criminels. Mais alors, pourquoi parler de maladie ? Pourquoi légaliser les soins destinés aux addicts et faire ensuite semblant d’oublier qu’ils sont la clé du succès… ou de l’échec d’une politique.

Dans la vraie vie, l’usage de drogues est associé à des pratiques festives, à la convivialité, la séduction, au sexe et à de la rigolade. Bien des contextes absolument exclus du genre plan-gouvernemental-de-lutte-contre-la-tox dont les mots-clés se déclinent en sida, pauvreté, violence, souffrance, exclusion… prison.
Comment voulez-vous que les millions de nos concitoyens qui consomment ou qui vont consommer (oui c’est bien de vous dont je parle) se sentent le moins du monde concernés par toutes ces mesures justement destinées à les empêcher de consommer ?
Et Sans parler des millions d’adolescent(e)s qui n’ont pas encore réellement consommé, et pour lesquels on ne prévoit rien d’autre que l’abstinence comme une sorte de futur obligatoire. Une fiction qui disqualifie d’entrée toute possibilité de dialogue avec ceux qui ont déjà en tête un petit joint par-ci, une petite cannette par-là. Pour engager le dialogue, comprendre comment ça se passe, il faut éviter de condamner par avance, sinon la bouche de votre interlocuteur se referme comme une huître et vous pouvez continuer la discussion… avec les parents.
Des parents qui se trouvent ici à nouveau annexés au monde virtuel de l’antidrogue. « Relégitimer les adultes dans leur rôle », « Quand les parents mettent plus d’interdits (…) il y a un effet sur les consommations ». Le rôle des parents dans le théâtre des drogues est un sujet inépuisable. Comme si les parents ne pouvaient être eux-mêmes concernés par des consommations dures ou douces !

Cela fait 15 ans que la réduction des risques a compris que pour sortir de la fusion entre prévention et répression, il faut remettre les usagers et les futurs usagers de drogues au cœur du dispositif. Et pour cela, une seule méthode : le non-jugement. Pas seulement à l’égard des usagers atteints d’une hépatite ou malades du sida ni même pour les personnes en traitement de substitution, qui sont des usagers du système de santé. Le non-jugement, c’est pour votre collègue de travail qui se poudre le nez tous les samedis soirs, pour le petit copain de votre fille qui tire sur un bédo, pour votre maîtresse qui écluse son whisky en cachette. C’est de vous et de nous qu’il s’agit, pas d’eux, les autres, les toxicomanes.
Et dire que dans sa lettre de mission, Monsieur le Premier Ministre parle du centenaire de la loi de 1909, la première loi internationale édictée contre les stupéfiants. Il est sidérant de célébrer ainsi une loi qui a à ce point failli dans la tâche qui lui était assignée. Soyons honnêtes, peut-on imaginer cent ans plus tard pire situation au regard de tous les critères communément admis ? Peut-on sérieusement croire que ces lois ont limité le nombre de gens qui fument du cannabis, qu’elles ont contribué à réduire la fabrication d’héroïne ou de cocaïne ? Et plus que tout, qu’elles ont facilité la prise en charge des personnes addictes ?

Ces arguments ont été battus et rebattus. Ce qui compte, ce n’est pas La drogue mais l’idée que l’on s’en fait. Ce n’est pas les gens qui prennent des drogues, mais les parents de gens qui prennent des drogues, les forces de police qui arrêtent les gens qui prennent des drogues, les gens qui vendent des drogues aux gens qui prennent des drogues, et les gens payés pour soigner les gens qui prennent des drogues. Tant que cette logique prédomine, il n’y a pas de bons ou de mauvais plans de la Mildt, il n’y a que des bons citoyens et des mauvais drogués.

« Tout doit être fait pour diminuer l’emprise de la drogue sur les quartiers », rencontre avec Fadela Amara

Dans un souci de clarification de l’image d’ASUD et de communication en direction du monde politique nous avions rencontré Christine Boutin au Palais Bourbon le 30 janvier 2007 (voir Asud journal n° 32). Puis, la fin de notre collaboration avec la MILDT ont rappelé aux partisans de la politique de réduction des risques que l’auto-support peut être mal compris voir diabolisé. Kate Barry ayant eu l’amabilité d’ouvrir son carnet d’adresses pour ASUD nous avons donc continué de rencontrer des membres du personnel politique, en l’occurrence Fadela Amara, ancienne présidente de l’association “ni pute ni soumise”, et actuelle Secrétaire d’État à la Ville.

Un peu d’histoire

Le Secrétariat à la Ville est installé en plein quartier des ministères, juste en face des Invalides. C’est l’ancien Ministère de la marine marchande, bâtiment austère qui fleure bon la république. On pourrait croire Mlle Amara , un chouille dépaysée dans ce décors un peu vieille France. C’est oublier un peu vite que la république c’est aussi La Plus Grande France – la France de l’Empire Colonial – qui s’est hissée sur trois continents, notamment grâce à ses bateaux marchands. D’ailleurs la première chose qui frappe dans le bureau de Madame la Ministre est un véritable monument d’art colonial , une fresque magnifique, peinte à la main, qui orne le mur sur toute sa longueur: Marianne, dressée au centre de l’Hexagone, brandit le fanal de la liberté pour éclairer les peuples d’Outre-Mer : hommes bleus du désert, guerriers bantous du Delta du Zaïre, chasseurs Sarakoulé de l’empire du Mali ou montagnards Hmongs des plateaux indochinois. Bref notre ministre , née à Clermont-ferrand, peut saluer chaque matins ses ascendants Kabyles, figurés en pagnes en haut à droite de la scène.

“Je ne crois pas que mes ancêtres aient pu avoir cette tête-là” nous dit-elle. Il n’importe, le foisonnement de peaux couleurs crème, café noir ou café au lait du ministère de la ville ne fait que renouer avec la vieille tradition française du métissage et du mélange, fut-ce par le fait colonial . Deux décennies entachées par la xénophobie du Front National nous l’ont parfois fait oublier .

La ville et la drogue

Mais revenons à nos moutons ou plutôt à nos éléphants roses, et posons la question à Madame le Ministre, quid de la drogue dans la politique de la Ville ?

“il y a trop de produit dans les quartiers, et je ne parle pas de la zetlah , parce que ça c’est rien, mais du reste, notamment la coke qui séduit de plus en plus de jeunes des quartiers .Tout doit être fait pour diminuer l’emprise de la drogue sur les quartiers”

Le dialogue étant engagé sur ces bases, nous avons rappelé à Madame la Ministre les principes de la Politique de Réduction des Risques (rdr), principes qui doivent aussi s’appliquer dans les « banlieues » . Il est frappant de constater à quel point , les populations que l’on a pris pour habitude de désigner sous le vocable de «gens des cités » sont hermétiques à la logique de la rdr (voir page ..ASUD au comité des familles )
Nous avons également rappelé le caractère particulièrement catastrophique de l’épidémie de sida des années 80-90 justement parmi la population des jeunes issus de l’immigration, touchée massivement au travers de leur usage de drogues par voie intraveineuse, une catastrophe dont les conséquences sociales et psychologiques sont encore mal connues. (Voir ASUD JOURNAL n° 32 ) .

La politique de réduction des risque : cette inconnue Fadela Amara a semblé extrêmement intéressée par notre approche tout en étant assez peu informée sur les réalisations concrètes de la RdR. Elle a acquiescé fortement à propos de la catastrophe épidémique du sida dans sa variante ethnico-sociale en y ajoutant le traumatisme des morts par overdoses, qui dès les années 70 ont endeuillé de nombreuses familles françaises issues de l’immigration magréhbine et africaine. Une chose lui a paru incroyable c’est l’extrême pénurie de résultats probants, sanctionnés par la recherche, en matière de réduction des risques . A l’exception des enquêtes Siamois , puis des travaux menés par l’INVS , très centrés sur les questions infectieuses, pas de statistiques sur la baisse réelle de la délinquance, pas de statistiques sur le nombre de personnes ayant quitté la substitution. Aucune information non plus sur le changement de perception des toxico dans la société. Rien sur les questions culturelles et encore moins ethniques, malgré les nombreux modèles anglo-saxons ou Hollandais. Bref, rien qui pourrait être comparé avec ce que fut par exemple la publication du rapport Engelmans aux Pays-Bas en 1985, ou bien encore le débat confédéral qui s’est emparé de la société helvetique à la suite de la fermeture du trop fameux Letten park de Zurich en 1994. Trop de questions restent sans réponses dès lors que nous voulons attire l’attention des politiques ou des journalistes sur l’impact réel du changement à 360 ° réalisé dans les années (1987- 94). Autre exemple, combien de toxicos, bénéficiant de cette politique ont pu renouer avec la vie sociale grâce aux produits de substitution ? Combien de tox on pu échappé à la prison ? etc..
Bref pas de réelle approche coût/efficacité, aucune enquête de l’IGAS sur les résultats de la politique de réduction des risques en matière de baisse de la délinquance, d’amélioration sanitaire, de réinsertion sociale et globalement de réduction des dommages et méfaits. Tout cela a semblé surprenant au Ministre , qui , encore une fois, comme beaucoup de nos concitoyens ne connaît pas la politique de réduction des risques en tant que telle, à tel point qu’elle s’est adressée à sa collaboratrice pour savoir dans quelle mesure et dans quels délais, l’IGAS était susceptible de mettre en place un questionnement de cet ordre.

La prévention mais sans oublier la répression

Fadela Amara nous a informé d’une rencontre avec Monsieur Appaire dont elle déclare ne pas partager toutes les options. La prévention reste à ces yeux un critère décisif pour résoudre le problème. Pour autant , La secrétaire d’État ne se veut pas « laxiste »la répression est nécessaire en ce qui concerne le trafic , particulièrement dans sa variante « mafia » de plus en plus investie dans les affaires de marchandises illicites dès lors que l’on est dans les contexte « cité » . La terme même de dépénalisation lui semble un leurre dans la mesure où il s’agirait du mauvais « signal » donné à la jeunesse. La prohibition des drogues n’apparaît donc pas comme scandaleuse à Fadela Amara qui qualifie de « facile » l’argument de la comparaison avec la prohibition américaine de l’alcool pendant les années 30. D’ailleurs, la stigmatisation dont sont victimes les jeunes de banlieues, fumeurs de cannabis, rapportée à la complicité goguenarde dont bénéficie les jeunes alcoolos des campagnes berrichonnes ou bourguignonnes qui s’enroulent autour d’un platane après une baston en boite, n’est pas un thème qui emporte sa conviction. En ce sens Fadela Amara se fait la porte-parole convaincante, d’une proportion probablement majoritaire de l’opinion publique qui voit dans la toxicomanie une maladie contemporaine du sida ou de la violence dans les lycées. Vu sous cet angle toute action visant à « faciliter » l’usage sera mal perçu. Par exemple le principe de la substitution en soi pose problème à la Ministre qui s’étonne, pour ne pas dire plus de nous voir faire la promotion de traitements qui s’étalent sur 10, 15, ou 20 ans.

Un outil de communication : la promotion du citoyen

La véritable porte d’entrée de la RdR dans la politique de la ville est visiblement la promotion du citoyen, C’est sur cette base que l’on peut agir pour changer le regard porté sur les drogues. Un citoyen a le droit d’être informé sur les stupéfiants de façon crédible. Madame Luc Vidal, la conseillère de la Ministre, est intervenue à ce stade de la discussion pour indiquer que les interventions en collèges et lycées effectuées dans le cadre de la prévention de la toxicomanie sont en partie du ressort du ministère et qu’il n’est pas souhaitable de laisser les seules forces de police exercer cette mission.
Dans le même ordre d’idée, il a été pointé par la conseillère de Fadela Amara que la Délégation Interministérielle à la ville (DIV) soutenait l’action de l’ANIT, dans le cadre de la mission « prévention de la délinquance » de la DIV , alors que l’étiquette « action sanitaire » aurait pu être retenue. Un écart d’interprétation administratif qui en dit long sur la manière dont les questions de drogues ont traditionnellement été abordées dans notre pays .

Ne pas enfermer la banlieue dans les drogues.

Le soutien demandé par ASUD au secrétariat d’État peut donc prendre la forme d’une aide directe sous forme de subvention, par exemple pour l’organisation des EGUS 2008. Néanmoins ce soutien doit être compris comme faisant partie d’un éventail de mesures en directions des population urbaines précarisées ayant vocation à être représentées par ASUD, en aucun cas il ne s’agit d’une action visant à « remplacer la MILDT » , comme d’aucuns vont s’empresser de la propager. Ce soutien peut aussi se manifester par des propositions qu’ASUD et l’ANIT sont invités à faire conjointement dans le cadre du plan « banlieues » que le Secrétariat d’Etat est amené à produire d’ici la fin de l’année 2007.

Attention cependant d’ éviter les pièges démagogiques de deux sortes. D’abord se laisser enfermer dans une image réductrice qui assimilerait la drogue avec les banlieues, ensuite une mauvaise interprétation de la RdR qui en ferait l’antichambre inévitable de la libéralisation de la vente de drogues.

BILAN

En résumé Fadela Amara nous a paru tout à fait conforme à son image , un incontestable franc-parler, doublé d’une véritable authenticité et un réel souci de voir les populations dont son ministère a la responsabilité sortir de la suite de stéréotypes dévalorisants dans lesquels elles sont systématiquement enfermées par les médias. Visiblement la drogue fait partie de ces stéréotypes et l’approche pragmatique suggérée par la RdR peut-être une manière d’avancer sur ce terrain.

Dans notre travail de communication en direction des politiques, il est frappant de constater à quel point la RdR s’est contenté de quelques résultats sanitaires sur la baisse des contaminations VIH ou la baisse des overdoses, sans comprendre toute la force de conviction qu’elle aurait a tirer des arguments sociaux ou sociologiques. Un exemple parmi cent : l’arrêt presque brutal de la délinquance en direction des professionnels de santé est un fait que connaissent tous les acteurs concernés (ordre des pharmaciens, groupes d’auto-support et policiers) , mais cette évidence n’est, à ma connaissance, cautionnée par aucune étude . La corrélation entre la mise en place de la rdr et la fin de ce que les années 70 avaient baptisé : « les braquages de pharmas » n’a jamais été faite. Or quiconque fait un peu de recueil de témoignage auprès de pharmaciens d’officines les entendra tous déclarer que le cambriolage et l’attaque à main armée pour mettre la main sur les produits stupéfiants étaient un classique d’avant la mise en place de la substitution.

Nous avons donc de nombreux chantiers devant nous, notamment en ce qui concerne la propagation en direction des politiques, des idées qui sous-tendent la RdR. Effectuer ce travail main dans la main avec une association de professionnels telle que l’ANIT est une excellente chose, cela permet de proposer une approche globale des problèmes posés. A nous maintenant d’être réactifs, car si nous le souhaitons cette rencontre peut-être à l’origine d’un nouveau partenariat durable avec un acteur original de la vie politique française qui semble avoir une connexion directe avec la présidence de la république.

« Association d’usagers de drogues, c’est ambigu ! » rencontre avec Étienne Apaire

Depuis 1999 ASUD bénéficie d’une subvention accordée par la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Toxicomanies (MILDT). Cette relation privilégiée-peu d’associations bénéficiaient de l’avantage d’être financées directement de cette façon- avait avant tout un sens politique. La MILDT organisme interministériel, dépend directement du Premier Ministre. C’est une structure qui coordonne l’action globale du gouvernement en matière de drogues, autant du point de vue sanitaire que du point de vue policier ou encore en matière de communication. Que cet organisme ait une relation privilégiée avec l’association historique des drogués constituait en soi un signe que les temps avaient changé. La fin de cette collaboration pouvait apparaître comme le signal d’un retour en arrière, c’est la réponse que nous étions venus chercher dans les locaux de la MILDT ce vendredi 19 octobre 2007.

Ambiance

Après un petit quart d’heure d’attente (pour une fois nous étions à l’heure), la chef de projet de la MILDT habituellement désignée pour négocier avec nous, vient nous proposer de passer dans le bureau du Président.
Atmosphère tendue durant tout l’entretien. Changement de style. Didier JAYLE vous recevait une fesse posée sur un coin de bureau, tout en étant capable de vous tourner brusquement le dos pour se préparer un café, pile au moment où vous prononciez le montant de votre demande de financement.
Monsieur Apaire, lui, est à la fois plus urbain et plus glacial. Il nous fixe droit dans les yeux en expliquant qu’il a été magistrat, puis conseiller de l’actuel président de la République quand celui-ci était au ministère de l’Intérieur. Il est clair qu’ASUD lui semble une entreprise au moins suspecte. La raison officielle du non-financement d’ASUD est simple : la MILDT ne finance plus les associations. Point à la ligne. On aurait pu s’arrêter là…

Usagers de drogues

Quelques journaux sont négligemment jetés sur une table basse. « vous voyez que je m’informe » m’annonce-t-il. « Ce qui m’amuse c’est la taille de la seringue qui s’amenuise au fil des parutions ». La seringue c’est bien entendu le logo d’ASUD. Je tente de justifier l’existence de ce logo par le contexte de lutte contre le sida qui fut l’enfance de l’association mais il me coupe en m’expliquant que « association d’usagers de drogues, c’est ambigu». Ambigu est du reste le maître-mot de son vocabulaire concernant ASUD, et apparemment le nom d’ASUD fait partie des fameuses « ambiguïtés ».
Et de s’étonner que nous ayons pu déposer nos statuts en préfecture. Un conseiller suggère que nous changions de dénomination sociale, monsieur Apaire approuve, nous tentons laborieusement de rappeler l’historique d’ASUD, tout ce que l’association doit à la lutte contre le sida, tout cela constituant aujourd’hui notre identité, mais nos arguments tombent à plat. La loi , toute la loi , rien que la la Loi. Monsieur Appaire ne connaît que la loi. Et l’usage de drogues c’est un délit, donc ASUD peut-être assimilée à une association de malfaiteurs. Je n’ose rappeler que cette provocation, nous la faisions nous-mêmes en 1994. L’action d’ASUD paraissait alors tellement utile dans la lutte contre le sida que parler de « malfaiteurs payés par l’Etat » était alors à la fois absurde et comique. Mais les temps changent.

La loi toute la loi rien que la loi.

« J’ai été nommé pour la faire appliquer, l’usage de drogues constitue un délit, je ferai appliquer la loi contre la drogue »
Ah Oui, précision : Monsieur Apaire est fier de se présenter comme « de la vieille école », il dit « la drogue » plutôt que « les addictions » et « toxicomanes » plutôt qu’usagers de drogues. Mon collègue a le mauvais esprit de préciser « sales toxicos » je m’empresse de devoir excuser cet excès de langage.

A ceci près que Monsieur Appaire nous déclare en préambule avoir été hostile à l’ « échange de seringues »- comprenez la distribution de matériel stérile aux usagers pendant l’épidémie de sida- puis avoir changé d’avis, jusqu’à admettre que cette action puisse en définitive se révéler être positive en matière de santé publique. Pour autant on ne s’emballe pas, la meilleure façon de lutter contre tous les problèmes connexes (sida, hépatites etc..) c’est quand même de ne pas prendre de drogues. Et les toxicomanes, il les connait, il ne les a rencontré auparavant que dans son prétoire de magistrat du Siège.

« Drogézeureux»

Finalement je crois que ce que le nouveau président de la MILDT apprécie le moins dans ASUD ce sont nos jeux de mots idiots, pardon ambigüs. D’ailleurs, sur mes sollicitations répétées de bien vouloir préciser –texte en main- de quelles ambiguïtés parlions-nous exactement , il ouvre le journal n° 34 et commence la lecture « parmi les énigmes caractérisant la sublimissime Sativa il y a celle du maintien de son interdiction… » Et paf. J’ai bien tenté d’expliquer que le terme sublimissime est à prendre au second degré.Sacré second degré qui ne passe pas du tout, du tout au-delà du cercle des initiés. Je n’ai qu’une trouille c’est qu’on parle des drogézeureu. Patatras : « ambigu, comme ce sous-titre les drogués heureux ». Le jour où on a voulu ce faire plaisir avec ce slogan imbécile… Et pourtant l’humour est sans doute l’ingrédient le plus prisé du journal d’ASUD, mais c’est un autre débat.

Réduire les risques infectieux

Ensuite Monsieur APPAIRE nous a écouté tenter un plaidoyer pour ASUD, en donnant des petits signes d’impatience puis a conclu en expliquant que nous étions ici chez nous- c’est à dire chez lui- car il reçevait toutes les associations. Toutes et de tous bords. D’où une petite digression sur les associations de l’autre bord, qui semble-t-il comptaient sur sa nomination pour « faire le ménage ». Rendons justice à une certaine forme d’impartialité du nouveau président de la MILDT, ces associations « anti-drogue proche du fonctionnement sectaire », n’ont pas été mieux reçues que nous. Visiblement Monsieur APPAIRE n’a pas apprécié de se sentir pris en otage par une frange de la droite de la droite, prête à brader l’ensemble des acquis de la réduction des risques.
«Ils sont venus me voir avec des projets de financement rédigés en francs » ce qui laisse rêveur tant sur les années de frustration emmagasinées par ces défenseurs de la famille française que sur l’ardeur juvénile qui les anime. Mais visiblement le nouveau président de la MILDT croit à la réduction des risques en tant qu’outil de lutte contre « certaines maladies infectieuses ». Cette acception, tout en restreignant terriblement le concept, donne malgré tout une certaine légitimité à cette politique, qui par ailleurs reste la bête noire d’un journal comme « Valeurs Actuelles ». D ailleurs, reprenant au vol une allusion faite à ma rencontre avec Christine Boutin, il nous encourage vivement à « prendre notre bâton de pèlerin » pour aller évangéliser les 139 députés signataires de l’appel au Premier ministre mettant en cause le financement d’ASUD en 2006.

Réduire le nombre d’usagers dans les dix ans.

A ceci près, la philosophie politique dont Etienne Appaire s’inspire en matière de drogues est clairement réductionniste, au sens où l’entend dans les officines internationales : réduire la demande. Prenons un exemple, nous lui annonçons qu’ASUD a décidé de communiquer sur les « sorties de traitement de substitution ». Dans notre idée, il s’agit de résister à la pression conjuguée de certains médecins et des visiteurs médicaux, qui, loin de philosopher sur les besoins des usagers en traitements se contentent de comptabiliser à la hausse le nombre de mg prescrits chaque année. Ces considérations semblent rencontrer celles de Monsieur le Président. Hélas, quelques jours plus tard, la lecture de Valeurs Actuelles me montre que sa vision des sorties de substitution est assez loin de la nôtre. Si l’on en croit ce journal, qui reste à ce jour le seul mensuel auquel il ait accordé une interview complète, il s’agit plutôt de réduire coûte que coûte le nombre de personnes substituées dans les dix prochaines années. Cette vision minimaliste est l’exact pendant du maximalisme hospitalo-médical que nous prétendons dénoncer. La question n’est pas de savoir s’il y a trop ou pas assez de personnes substituées mais de savoir dans quelles conditions ils vivent avec des traitements qui durent depuis 5 10 ou parfois 15 ans. Il s’agit donc, comme nous l’avons expliqué lors du colloque de Biarritz THS 8 de rechercher avec chaque usager le type de molécule, la posologie et les activités annexes (sports, psychothérapies ou traitements complémentaires) susceptibles d’améliorer la qualité de vie de ces thérapies au long cours.

Parents contre la drogue

Puis vint le plaidoyer au bénéfice de Monsieur Lebigot, le président de Parents Contre la Drogue. « Vous l’assassinez dans votre journal… » Et moi de bredouillez que non tout en sachant pertinemment que oui. Bref, il est clair que sans être l’extrêmiste décrit par certains de nos amis, Monsieur Apaire est naturellement plus proche des thèses de Parents contre la Drogue que de celles défendues par ASUD. Monsieur Appaire et nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde. Pas d’interview pour ASUD journal de peur d’avoir à « cautionner » l’association. Pas de venue aux EGUS, même ceux prévus en 2008 pour la même raison.

Ah si, une autre chose lui a plu dans ASUD, c’est « votre évolution récente vers l’association de malades ». Mais tout cela est récent, il s’agit peut-être d’une inflexion circonstancielle de l’association. A tout prendre l’enthousiasme Monsieur Appaire à notre égard reste excessivement modéré : « Sur le fond je reste réservé et la forme me pose question ». Cela devait être le mot de la fin

Le Diable en personne

Quelques minutes après la fin de l’entretien nous avons échangé quelques mots avec les conseillers de Mr Apaire tous deux membres des différentes équipes ayant eu à travailler avec ASUD depuis 10 ans. Leur point de vue a quelque peu atténué le goût amer que m’a laissé cette petite heure d’entretien. « Pour certains décideurs politiques que nous avons rencontrés récemment vous êtes le diable ! » nous dit l’un d’eux. Il est étrange de constater à quel point notre petite association, qui salarie 3 ou 4 personnes dans un bureau poussiéreux, est appréhendée comme l’une des pièces maîtresses d’un dispositif destructeur au service de l’anti-France par certains milieux conservateurs. Ensuite il semble indéniable que Monsieur Appaire a déjà quelque peu évolué sur ces appréciations concernant la réduction des risques depuis son entrée en fonction. Il nous a ainsi déclaré être prêt à financer la traduction en français des séances de la 19e conférence Internationale de réduction des risques prévue à Barcelone les …et mai 2008. Ces deux considérations nous ont amené à penser que nous partions d’encore plus loin, et que peut-être, tout espoir n’est pas mort de reprendre cette collaboration politique tellement souhaitable entre l’une des seules associations d’usagers de drogues (ou de traitements) au monde et l’organisme officiel chargés de gérer les conséquences humaines de ces consommations en France.

La MILDT met fin à 8 ans
de collaboration avec ASUD

Aujourd’hui, lundi 08 octobre 2007, l’association ASUD vient d’être informée officiellement par courrier que la MILDT ne soutiendra pas financièrement nos projets pour l’année 2007.

Après huit années de collaboration ininterrompue entre la MILDT et ASUD quelle que soit la couleur politique du gouvernement en place, cette nouvelle est pour nous une surprise et une déception.
Cette dérobade handicape gravement la tenue des 4e Etat Généraux des Usagers de Substances licites ou illicites ( EGUS 4) et compromet le financement de la pré-enquête mis en place par ASUD en partenariat avec l’OFDT sur la demande des usagers en matière de traitements de substitution.
En espérant que cette absence de soutien « après un examen attentif de notre dossier » ne constitue pas le signal d’une hostilité de la MILDT à l’égard de la politique de réduction des risques en général, et en particulier du rôle que peuvent y jouer les usagers de drogues en tant qu’acteurs de leur propre santé.

Bye bye Kate Barry

Kate Barry, nous a quittée le 11 décembre dernier. Kate Barry était une amie d’ASUD. En 2007 nous lui avions consacré un portrait reproduit ci-dessous.

Bye bye Kate….

Fragilité – c’est le mot qui vient spontanément à l’esprit lorsque vous croisez pour la première fois la figure un peu chiffonnée de Kate Barry. Jeans, silhouette déguingandée d’une garçonne, grands yeux de timide corrigés par un éclair de malice. Cette fille un peu fuyante, insaisissable, est la fille de John Barry, compositeur anglais, et de Jane Birkin, comédienne et chanteuse française à l’accent indéformable.

Kate est la fondatrice d’Apte (Lire ASUD numéro 34 p.16), une communauté thérapeutique fondée en 1992 sur le modèle des « 12 steps » (12 étapes). Présenté comme un greffon des Narcotiques anonymes (NA), Apte n’était jusque-là pas vraiment en odeur de sainteté auprès des gardiens du temple de la réduction des risques. Dans notre microcosme où, comme chacun sait, tout le monde adore tout le monde, quelqu’un m’avait présenté le travail de Kate comme « la postcure des NA dirigée par la fille toxico de Jane Birkin, du côté d’Apt ». Aussi sec s’impose à mon imagination paresseuse l’image approximative d’une cure paumée dans un village du Midi, dirigée par une espèce de Charlotte Gainsbourg toxico. Une Patti Smith un peu tyrannique, maniant la schlague d’une main, le manuel des 12 étapes de l’autre, et un peu de bible pardessus…

Puis Didier Jayle, président de la Mildt, eut la bonne idée d’organiser, en 2004, un groupe de travail sur les communautés thérapeutiques réunissant, pour la première fois, des gens issus de la réduction des risques et les quelques français investis dans la santé communautaire. Et là, patatras. Non seulement la fille de Birkin ne ressemble pas à Patti Smith mais en plus, elle est plutôt favorable à la réduction des risques. Pour clore le tout, Apte, c’est dans l’Aisne, en Picardie. Les préjugés nous permettent de mesurer à quel point la connerie est un aliment universel…

Passé antérieur

Le passé antérieur est un temps de conjugaison qui a disparu des manuels. C’était le passé du passé. Le passé du passé de Kate est celui de la pauvre petite fille riche. Sans ironie aucune. Le portrait qu’elle dresse de ses années d’adolescence est empreint d’une mélancolie que les enfants de familles plus modestes ne comprendraient sans doute pas.

Fille de Jane Birkin, elle a vécu toute son enfance avec Serge Gainsbourg. Lorsqu’elle évoque ce père de substitution, les antennes de quiconque a subi des brouillages affectifs se mettent à vibrer. Elle appelle « papa » le chanteur poète, mais vit avec la prescience de l’existence d’un autre père, qu’elle rencontre pour la première fois à 11 ans. Cette enfance incertaine explique sans doute la suite, le désordre, l’angoisse, la crainte du néant. Kate ne fume pas de shit : le bad trip la menace perpétuellement au naturel. Par contre, elle découvre le pouvoir de l’alcool pour déjouer les pièges de la déprime. Voilà pourquoi elle raffole aussi des médicaments prescrits par le docteur.

asud_journal_34 Bouteilles verres alcoolKate a une façon inimitable de vous dire « Dans mon milieu, tout le monde buvait », comme s’il existait en France des milieux où personne ne boit. Ce qu’il faut entendre, c’est sans doute la démesure, l’absence de garde-fous qui font de la boisson le rite codé des consommations traditionnelles familiales. Chez les Gainsbourg, il y eut peut-être une certaine dépénalisation de l’excès, une normalisation du coude festif, mais il n’est pas sûr que ce soit une question de milieu. Rajoutons le syndrome du « c’est le docteur qui me l’a prescrit », et ça donne une toxicomane de 16 ans.

Puis c’est la rencontre avec celui qui deviendra le père de son unique enfant. Un garçon disons… compliqué. Elle se voit comme une bouée de sauvetage à laquelle se raccroche ce naufragé de la vie, avant de réaliser qu’en fait de bouée, elle est plutôt le glaçon dans un verre d’eau chaude.

La mort de Serge…

Autre déchirement, la disparition de Serge Gainsbourg. « Le déclic, c’est la mort de Serge. » Combien sommes-nous à être décontenancés par ce Gainsbarre qui recommande de dire « merde au dealer » un verre de whisky à la main, et qui confond « shit » et « shoot » pour faire une rime. Le père de substitution meurt, et Kate se décide à réaliser quelque chose pour briser ce barrage bien-pensant entre vilains drogués, objets de tous les fantasmes, et alcoolos qui, eux, peuvent s’assassiner tranquillement sous l’œil impavide de leurs proches. Ce concept de dépendance est sans doute ce qu’il y a de plus important pour comprendre le modèle Minnesota qui sert de référence à Apte.

Après quelques années d’errance, Kate réussit à se reconstruire grâce à une communauté thérapeutique de ce type, basée en Angleterre. Une expérience anglo-saxonne qui n’a pas d’équivalent en France. « Quand je suis revenue en France, je n’ai trouvé aucune aide professionnelle cohérente pour me soutenir dans ma démarche d’abstinence. J’ai trouvé les NA qui venaient d’ouvrir leur premier groupe à Paris. » Au début des années 90, les Narcotiques anonymes inaugurent, en effet, en France une formidable aventure calquée sur le modèle des centaines de groupes existant déjà à travers le monde.

Une création providentielle

La mort de Serge Gainsbourg, la rencontre avec les NA, et enfin l’aide de Georgina Dufoix, l’ancienne ministre socialiste.

Petit à petit, Kate Barry peaufine son projet : créer une communauté thérapeutique française sur le modèle anglo-saxon.

La route fut longue et pleine de chausse-trappes. Au pays de Descartes et Lacan, comment vendre le projet d’un établissement dirigé par d’anciens alcooliques et drogués, faisant référence à « Dieu tel qu’on le conçoit », à l’initiative de la fille d’une star du showbiz ? La Providence mettra Kate en présence de Georgina Dufoix, qui dirige alors la Délégation générale de lutte contre la drogue et la toxicomanie (DGLDT, l’ancêtre de la Mildt).

Ses convictions évangéliques l’ayant convaincue d’être en mission pour combattre « le fléau de la Drogue », un projet comme Apte, inspiré, même de loin, par le spiritualisme des 12 étapes ne peut que lui sembler… providentiel. « On est partis avec une délégation de la DGLDT en Angleterre et on a visité un centre d’échange de seringues et un centre de 12 étapes… »

Kate ne comprend pas la mutuelle exclusion des partisans de la lutte contre le sida et de la lutte contre la drogue. Enrôlée malgré elle par la DGLDT dans le camp des anti-méthadone, elle doit gérer la pénurie d’offre de soins basés sur l’abstinence. D’où le succès immédiat d’Apte.

asud_journal_34 APTE Château du RuisseauPuis ce furent les débuts chaotiques du Château des Ruisseaux, une bande d’allumés qui n‘est pas sans rappeler les débuts d’Asud. Quinze ans après, Apte accueille son… millième toxico, et son travail est désormais reconnu, au point d’être l’une des 5 communautés thérapeutiques « expérimentales » entièrement prises en charge par l’État.

Kate peut enfin se consacrer à son véritable métier – la photographie – et redevenir ce qu’elle n’a en fait jamais cessé d’être : ni une anonyme (même narcotique) ni la fille de machin, mais Kate Barry, quelqu’un de pas banal, à son tour devenue une authentique maman.

Pharmaciens / toxicos : comment briser la glace ?

En anglais, pharmacie, c’est drugstore, le magasin de drogues. S’il est un lieu où les drogués devraient se sentir à l’aise, c’est là où l’on vend pilules, cachets, poudres… et seringues, même si c’est trop souvent le royaume de la pince à épiler ou du régime minceur. Retour avec Pierre Demeester sur cette clientèle « particulière ». Docteur en pharmacie, il a exercé pendant 21 ans rue La Fayette à Paris, à deux pas de la gare du Nord et deux jets de « caillou » de la scène du crack, un périmètre de la capitale très « prisé » par les tox et les SDF.

Quelle vision avais-tu de la toxicomanie au moment de ton installation ?

Aucune, en dehors des idées toutes faites. Cette « population » était plutôt éloignée de mon champ de vision. Bien élevé dans un milieu protégé, je n’avais jamais vraiment été en contact avec le monde toxico. Pour tout dire, avant ma 4ème année de fac, je n’avais jamais vu un joint ni de près ni de loin. Ce n’était pas mon univers.

Quels ont été tes premiers contacts professionnels avec des tox ?

Cinglants et rapides. J’ai repris la pharmacie en juillet 1985 et fin août, j’avais déjà été braqué 2 fois. Pour de l’argent, bien sûr, et par des toxicos (2 fois les mêmes !). J’emploie volontairement le terme toxico, car je n’en avais pas d’autre, et je ne le trouve pas spécialement dévalorisant.

Pharmacie-centrale-de-France-cachetÀ quel moment t’es-tu rendu compte que ta pharmacie était plus volontiers que d’autres visitée par des clients un peu « space » ?

Dès les premiers jours, le nombre de « clients Néo-Codion® » m’a vite fait comprendre le quartier. L’arrivée des ordonnances de Subutex®, et avant ça de Temgesic®, était donc logique et même souhaitée. Par contre, l’image de la méthadone étant mauvaise, je refusais systématiquement les ordonnances. C’est le rapprochement avec l’Espace Murger, le CSST de l’hôpital Fernand Widal, qui m’a fait changer d’avis. Le contact avec l’équipe soignante a été déterminant dans mon approche de la délivrance de produits de substitution.

Que voudrais-tu dire aux pharmaciens débutants qui seraient effrayés à l’idée d’honorer des ordonnances de Subutex® ?

Il n’y a pas grand-chose à dire à ceux qui refusent pour des raisons professionnelles, c’est-à-dire qui veulent exploiter leur pharmacie dans un environnement social aseptisé. à ceux qui sont plus ouverts, mais qui ont peur du milieu toxico et de son impact sur le reste de la clientèle, je peux dire que cette population est aussi hétérogène et variée que n’importe quelle autre et qu’il n’est pas aussi difficile qu’on le croit d’y faire le tri. Y’a des gentils et des méchants, des sympas (même des très sympas) et des casse-pieds, des malades qui se soignent, et des malins qui profitent. On peut leur faire comprendre que la relation pharmacien/usager doit rester dans un cadre extrêmement réglementé, que les dérapages ne sont pas longtemps tolérés. Et tant pis pour les méchants et les profiteurs. Les casse-pieds, on a l’habitude, on en a déjà plein dans le reste de la clientèle.

Bref, quand on délivre du Subutex®, on ne fait pas que subir, on choisit aussi le type de relation que l’on souhaite. La qualité de l’équipe officinale est également déterminante. Il faut que chacun travaille à l’unisson, tout en étant autonome, mais soutenu en cas de difficulté. On a tous nos petits clients favoris, et c’est très bien comme ça.

Peut-on (mieux) gagner sa vie en acceptant les ordonnances de substitution ?

Enseigne-Drugs-storeCertainement, mais il y a des choix à faire. Tout dépend du nombre d’ordonnances que l’on voit passer par jour. Si la mamie qui vient chercher ses Valda 2 fois par semaine se cogne systématiquement à un gus au look zarbi, elle risque de changer de crèmerie rapidement.

Il ne faut pas oublier qu’une pharmacie est un gros investissement financier qu’il faudra revendre un jour. L’acquéreur va éplucher les ventes (les temps ont changé…) pour savoir ce qu’il achète, et il sera difficile de céder une officine qui vend « trop » de Subutex®. Le chiffre d’affaires gagné d’un côté peut se perdre de l’autre.

Comment refuser de vendre en cas de falsification évidente ?

C’est variable, ça dépend depuis combien de temps le mec galère pour se faire servir. S’il est carrément en manque, ça devient chaud. La chose la plus importante, c’est qu’il ne faut pas avoir de position de principe, genre « hors de question de céder », et prendre le type ou la fille c’est plus rare de haut. C’est comme ça que ça tourne mal si le gars est décidé. Il faut être ferme, mais toujours expliquer la raison du refus. Le plus important en cas de lourde insistance, c’est de lui trouver une solution. Si le type se rend compte qu’on n’en a pas rien à foutre de son cas, c’est déjà presque gagné. Et même si on ne trouve pas de solution (y’a des cas sociaux parfois…), je suis déjà « moins con que les autres » pour avoir cherché à l’aider, et donc mieux respecté. Mais certains jours, on est mal embouché, pas du tout patient, on s’énerve un peu trop, et ça tourne mal.

Quels conseils donner à quelqu’un qui est engagé dans un rapport de force avec un usager ?

Pharmacie-comptoirFermeté, mais humilité. Ne jamais « jeter » la personne, savoir céder s’il le faut, et délivrer l’ordonnance. Il faut savoir lâcher, même un « Ropinol, quat comprimmé par jour pandan 1 moi », prescrit par le Dr Guettotrou, gynéco-obstétricien à Pointe-à-Pitre…

Pourrait-on imaginer un rayon spécial « tox » (avec seringues, Stérimar®, Stéribox®, Stérifiltre®, kit sniff, dépliants Subutex®, etc…) comme il y a un rayon capotes ?

Une pharmacie n’est pas un coffee shop. Pourquoi pas un Steribox® offert pour l’achat de 2 Néo-Codion® ? Mais s’il y a de la place pour une zone confidentielle dans l’espace client, pourquoi pas.

Y a-t-il une certaine distance professionnelle à conserver, et si oui, quels sont les signaux annonciateurs du franchissement de la ligne jaune ?

Il y a toujours une barrière professionnelle à conserver. Bien sûr, il n’est pas interdit de se faire des amis, mais alors ce ne sont plus vraiment des clients. Il faut garder une certaine autorité pour bien gérer les situations. Chacun à sa place, et respect mutuel. Trop de complicité ou de confiance, et c’est souvent le dérapage. On avance une boîte, puis 2, et ça part en vrille. Donc respect des règles de délivrance, même si on se trouve sympa…

Quel a été ton plus grand stress ?

Pierre-Demeester-cocardéJ’ai une jolie photo de moi avec 2 yeux au beurre noir qui en témoigne douloureusement. Une ordonnance refusée pour un motif que je trouve maintenant futile (date d’ordo périmée), le type s’énerve vraiment, moi aussi, les flics débarquent, le sortent difficilement, et le laissent partir. La voiture de police reste un petit moment devant l’officine au cas où et… part. Cinq minutes plus tard, le gars revient fou de rage, fait le tour du comptoir et… boum. C’est le métier qui rentre, j’ai tout fait de travers. Une autre fois, un tox rentre dans l’officine, il vient de s’ouvrir les veines du poignet dans un coup de déprime. Ça pisse le sang de partout à gros jets. Je me jette dessus pour faire un point de compression et limiter l’hémorragie en attendant les pompiers. Dans l’urgence, je ne prends pas de précautions, pas de gants, rien. J’ai du sang un peu partout. Rien de grave, mais gros flip quand même.

Un souhait d’évolution de la réglementation concernant les stupéfiants ?

Pas d’assouplissement sur les règles de délivrance, il faut rester dans un cadre strict qui limite les excès. Par contre, il faut changer les obligations de gestion des stups par les pharmaciens. Ras-le-bol des registres, balances de stock, inventaires, fractionnements, et autres galères. On n’a vraiment pas que ça à faire, et ça retient les trop rares pharmaciens qui voudraient se lancer dans l’aventure.

Nom d’un pharmacien !

Ça y est ! Après le redoutable marathon législatif habituel Assemblée Nationale / Sénat / re Assemblée Nationale, le PLFSS ou Projet de loi de financement de la sécurité sociale a été enfin voté par les sénateurs. La Chambre haute a donc clos les incertitudes entretenues sur la légalité de ce satané nom du pharmacien, inscrit en toutes lettres et EN TOUTE ILLÉGALITÉ, sur de nombreuses ordonnances de traitement de substitution.

Résumé des épisodes précédents : jusqu’à aujourd’hui, le fait d’inscrire le nom d’un pharmacien sur une ordonnance relève de ce que la loi française condamne sous le savoureux vocable de « compérage » : entente délictueuse entre deux professionnels en vue de tromper les pratiques. En l’espèce, les deux « compères » sont le médecin d’un côté, le pharmacien de l’autre, tous deux, facteur aggravant, dépositaires d’une mission de santé publique. Le « compérage » est alors matérialisé par l’impossibilité où se trouve le consommateur de buprénorphine ou de méthadone d’aller dépenser son argent chez tel ou tel commerçant – quitte à changer d’avis au dernier moment. C’est précisément cette liberté qui est visée par le projet de loi voté par les sénateurs, et qui stipule l’obligation pour le médecin de mentionner le nom du pharmacien sur l’ordonnance.

Enseigne-pharmacie-5Pour devenir une réalité tangible dans la vie des usagers, ce projet de loi doit désormais faire l’objet d’un décret d’application. Un décret actuellement sur le bureau du ministre, autant dire qu’il est à la signature. Nous avons déjà protesté, officiellement et à plusieurs reprises, contre ce qui nous semble être une erreur de méthode. Le souci, louable, d’aplanir les difficultés réelles de communication entre usagers et personnel des officines risque, en effet, de déboucher sur l’accroissement des quiproquos et des inévitables disputes qui devrait en découler. Car s’il est souhaitable que le prescripteur établisse un contact téléphonique avec le pharmacien désigné, faire de ce préalable une obligation, risque d’augmenter considérablement les sources potentielles de conflit. Les patients, lâchés dans la jungle officinale en quête d’un professionnel compatissant vont donc devoir se rabattre sur des pharmacies « labellisés », ayant leur nom dûment mentionné. Quid de l’inattendu, de l’improvisation, du départ en vacances ou en week-end amoureux, de l’enterrement de la grand-mère, de l’engueulade avec le nouveau préparateur ? Notre inquiétude est partagée par de nombreux pharmaciens dont Jean Lamarche, président de l’association Croix verte et ruban rouge.

En matière de réglementation aussi, le mieux peut être l’ennemi du bien.

Pierre Ouin et ASUD vous présentent : Courrier Toxique

H. conduit un bus à Londres où la drogue circule dans les 2 étages. Consommateur lui-même, il ferme les yeux, enfin pas trop…

F. est spécialisé dans le braquage de « particuliers bourrés de coco ». Le comble : ces messieurs/dames ont porté plainte et F. finit en taule.

D. fait la tournée des pharmacies du Var pour se procurer du Néo. Dans ses bons jours, il récolte quinze à vingt boites, consommées illico.

R. nous dit comment une cure d’Interféron® l’a conduit à placer le canon d’un 22 long rifle sur son cœur. Cinq petits cm de déviation d’impact lui permettent aujourd’hui de raconter son histoire.

D. adepte du « divin cannabis » et puis L. « dans son fameux taxi hollandais » qui l’a conduit directement à la douane.

J. lui va chercher de l’ibogaïne chez les sorciers Bwiti de la forêt congolaise.

F. encore, ce « retraité de l’arbalète » qui évoque le Golf Drouot des années 70, ces années de plomb qui changèrent l’or en poudre blanche.

S. qui demande, qui nous demande, combien de temps elle pourra tenir entre quatre murs.

Et puis d’autres encore, des lettres de taulards et de taulardes comme Y., jugé aux Assises pour avoir laissé sa copine se faire un shoot de curare…

ASUD 27 Ouin Bloodi Beuh outdoorVoilà un florilège de la nourriture de base du journal d’ASUD. Nous en publions des extraits dans le courrier des lecteurs. Mais, l’essentiel dort à l’abri d’un classeur poussiéreux au fond du local.

Un après-midi d’automne ou peut-être un matin d’hiver, Pierre Ouin, passe nous saluer comme souvent. Ce jour là, le papa de Bloodi me demande de potasser le fameux classeur. Un an plus tard, il en sort ce petit livre en forme d’hommage. Hommage aux oubliés de la guerre contre la drogue, les petits, les sans-grades, car comme je l’ai souvent répété la guerre à la drogue a, comme toutes les guerres, ses morts ses blessés et ses disparus.

Un siècle de guerre contre les drogués

ASUD 27 Ouin Royal tarpéEn 1916, Antonin Artaud écrivait dans sa célèbre lettre à Mr le législateur : « les toxicomanes ont sur la société un droit imprescriptible qui est celui qu’on leur foute la paix ».

Malheureusement, presque un siècle plus tard, le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas été entendu. L’enfer des bonnes intentions s’est abattu sur les consommateurs de substances illicites. Traqués par la police, exploités par les dealers, décimés par les différents virus que la prohibition des seringues a diffusés, les usagés de la drogue occupent par millions (oui par millions !) les prisons de notre planète. La guerre à la drogue n’est pas un vain mot. C’est bien une véritable guerre qui est livrée non pas contre La drogue, les molécules chimiques étant par nature difficiles à menotter, ni même contre les trafiquants, mais contre le petit peuple des drogués qui pourrissent dans tous les coins craignos de nos cités.

ASUD 27 Ouin CimetièreLes morts, les blessés et les disparus, donc. Les morts et les blessés, je viens de les évoquer. Les disparus sont par définition des oubliés. Arrêtons-nous quelques instants sur ceux dont on ignore absolument le devenir parce que brusquement, la prison, la désintoxication ou la fuite ont interrompu votre relation, qu’elle soit affective, amicale, sexuelle ou les trois à la fois. Ces ruptures sont fréquentes, presque banales dans l’univers que la répression nous impose. Un jour… Plus rien… Même pas de vagues rumeurs, non,…rien !…Il y a aussi ceux dont on décide sciemment de ne plus avoir de nouvelles, par peur d’être renseigné …Définitivement.

Voilà encore une raison pour le journal des drogués heureux de faire parler La Drogue à la première personne du singulier. Nous recevons des lettres écrites simplement, pour extérioriser un vécu inénarrable, pour poser un moment le fardeau d’un quotidien un peu encombrant. C’est peut être la fonction primordiale d’une association comme la nôtre, permettre à la grande majorité des consommateurs qui ne se vivent ni comme des aventuriers, ni des rebelles et encore moins des délinquants, de poser leur sac dans la banalité d’une causerie de comptoir.

L’humour est politesse du désespoir

ASUD 27 Ouin Bloodi shoote sur des seringuesPour naviguer dans l’étroit goulet qui sépare l’exhibitionnisme du pittoresque, une solution existe, c’est le rire.

C’est le rire qui nous fait adorer Bloodi, qui pourtant n’est qu’un punk vivant dans une poubelle avec un rat. Le rire est l’arme du pauvre. Il. nous sert de cache-sexe pour exposer notre quotidien de Martien. Le rire est une valeur commune du journal d’Asud et de l’univers de Pierre Ouin, parce que le rire est une forme de pudeur. Il permet d’échapper à l’œil du voyeur, effrayé par l’éclat insolent de la caricature.

Quelqu’un a dit : « l’humour est la politesse du désespoir ». Il avait compris que dans son énormité, le malheur est horriblement grossier. Il s’empare sans ménagement de nos petits égoïsmes sans se soucier de l’habituelle culpabilité qui accompagne l’énoncé de la misère d’autrui. Pour éviter ça, rien de mieux qu’une tarte à la crème !

Alors bonne lecture, le rire permet à votre cerveau de fabriquer des particules chimiques voisines de la structure moléculaire des produits opiacés et jusqu’à présent le rire est encore légal…Quoiqu’à bien y réfléchir, ne laissez pas traîner ce bouquin, on ne sait jamais.

ASUD 27 Oin Bloodi part hips

L’injection intraveineuse de substances psychoactives

« Shooter la came ! » Voilà la phrase emblématique, celle qui conditionne quinze ans de politique de réduction des risques (RdR). Du fait de son ancrage dans le champ du sida et des hépatites, la RdR a fait de la seringue stérile l’alpha et l’oméga des politiques de drogues.

Un shoot, un fix, un taquet, c’est ce petit moment de fébrilité qui vous fait remonter votre manche en tenant la pompe entre les dents, puis chercher le renflement d’une veine pas trop esquintée avant d’enfoncer l’aiguille d’un geste précis et de tirer le piston pour faire une, deux, trois « tirettes »… Ce petit cérémonial est à l’origine de bon nombre de morts par overdoses, d’au moins deux épidémies de virus mortels parmi les usagers et de pas mal de fantasmes concernant la consommation des drogues en général.
Alors y a-t-il une fatalité de l’injection ? Doit-on considérer le shoot comme faisant partie de la culture de l’usage ou comme une pratique à risques qu’il convient de confiner à un petit noyau d’irréductibles ? A-t-on réellement réfléchi aux attendus sociaux, culturels ou psychologiques du shoot ? A-t-on déjà pensé que le contexte de l’injection a pu évoluer, voire être absolument transformé par les années sida?

Un peu d’histoire

La seringue hypodermique est inventée vers 1850 par Charles-Gabriel Pravaz. Comme l’écrit Anne Coppel : « la vraie rencontre est celle de la morphine et de la seringue ». Très vite cette nouvelle technique est détournée par les usagers de drogues, souvent initiés dans un but thérapeutique. L’usage de morphine, puis d’héroïne dans les milieux bourgeois du XIXe et du XXe siècle est souvent intraveineux, au point que le recours à la « piquouze » est pratiquement confondu avec la prise d’opiacés.

Un signifiant lourd

asud24-seringuesMais cette seringue est d’abord un instrument médical, le symbole d’une compétence technique tournée vers la rationalité.

Elle devient une sorte d’emblème du caractère sacrilège de l’usage des drogues. En détournant l’outil bienfaisant au service d’une jouissance égoïste, le drogué foule aux pieds plusieurs tabous. Nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire souvent : le « toxico » occupe aujourd’hui la place de bouc émissaire occupée par d’autres parias à d’autres époques. La Persécution rituelle des drogués , décrite par Thomas Szasz est fortement conditionnée par l’espace fantasmagorique de la seringue, contaminée ou non. La seringue perce, troue, envahit. Elle atteint l’intérieur du corps. Son signifiant est le pain bénit des psychanalystes. L’odyssée épicurienne des hippies injecteurs ne pouvait que mal se terminer. On ne brave pas impunément et la morale et la science, surtout à une époque où les deux tendent à se confondre. L’épilogue est en forme d’apocalypse avec les années sida qui deviennent vite les années hépatite.

Le damnés de la terre

L’injection oppose donc une forte résistance à la vague de normalisation qui touche certains aspects de la consommation de drogues illicites ces dernières années. Le rapport Roques, le nouveau discours de la M.I.L.D.T.(Mission Interministérielle deLutte contre la Drogue et la Toxicomanie), l’usage dit « récréatif » de drogues dites « douces », autant de facteurs destinés à dédramatiser (d’aucuns disent à banaliser) l’utilisation de certaines substances exotiques consommées notamment par les jeunes.
Le tour pris par les campagnes procannabis est significatif : plutôt que de revendiquer la transgression d’un interdit, comme le faisaient leurs aînés, les cannabinophiles accentuent les aspects « intégrés » de la fumette, les fumeurs sont des gens « normaux », le cannabis rend non violent… bref tout cela n’a rien à voir avec La Drogue.
Idem pour les amateurs de pills. Depuis le retour en force des drogues de synthèse, on sniffe, on pile, on gobe, on inhale, mais shooter ah non ! Jamais. S’il existe une pratique indéfendable, c’est bien celle-là. Avec les free parties, le mouvement techno a vu émerger de véritables « scènes ouvertes », c’est-à-dire des lieux où s’achètent et se consomment ouvertement les stupéfiants habituellement échangés sous le manteau. De tels lieux ont existé ou existent encore ailleurs en Europe pour un public d’injecteurs d’héro et de coke. En France, les frees, tout en drainant une ribambelle hétéroclite d’amateurs de tout ce qui défonce, sont plus spécialisées dans les drogues de synthèse, la cocaïne et le LSD. Le caractère non officiel de tels événements n’exclut pas un certain conformisme ou tout au moins une référence aux valeurs dominantes du mouvement parmi lesquelles le rejet de l’injection occupe une place de choix. Si le recours aux drogues psychédéliques est revendiqué, la shooteuse est perçue comme dégradante et nocive. Englobées dans une même réprobation, l’héroïne et la pompe n’ont rien à faire aux environs du dance floor. La stigmatisation des injecteurs est telle que des opérations de réduction des risques type « salles d’injection » seraient nécessaires pour les teufers adeptes de la pompe, mais seraient probablement mal acceptées par le milieu.
Comble du comble, même les crackeurs expriment parfois de l’hostilité à l’égard de la shooteuse. Le discours des plus jeunes est révélateur à la fois de l’impact et des limites des campagnes antisida. Tout fiers de fumer la base, leur leitmotiv peut être résumé comme suit : « moi je shoote pas, donc je suis pas accro ». Même eux, identifiés par les riverains et la police comme la quintessence du « toxico », tirent une certaine gloire à ne pas le faire ce geste explicite qui désigne le drogué. Le plus souvent fumée, la base est injectée par des usagers qui quelquefois sont d’ex-héroïnomanes substitués. Ces injecteurs voisinent avec d’autres usagers de la rue, consommateurs de Subutex® (les polytoxicomanes du système de soins).
La nouvelle configuration sociale semble épouser étroitement la courbe de la « nouvelle » (tellement nouvelle qu’elle a maintenant presque trente ans) pauvreté.

L’injection, toujours en vogue ?

Alors que reste-t-il ? Qui donc est encore injecteur, et sinon fier de l’être, au moins prêt à l’assumer au grand jour ? La consommation d’héroïne, le produit « phare » du shoot, n’a pas tant baissé si l’on s’en réfère au chiffre des saisies. Il semble qu’elle se soit plutôt recomposée sur de nouvelles bases. La peur du sida et des hépatites a heureusement amené une partie des nouveaux usagers de drogues à préférer la fumette au shoot. Il est, par exemple, explicite de constater que le département du Nord caracole en queue de peloton des ventes de Stéribox® alors que son voisinage avec les Pays-Bas en fait l’un des départements les plus touchés par les flux commerciaux de l’héro. Les consommateurs les mieux informés découvrent ce que les pays du Nord et les pays producteurs d’opium et de coca savent depuis longtemps : l’injection est une méthode de consommation adaptée à la pénurie et aux mauvaises qualités ; elle est ce que le coup de massue est à l’arme de précision : un maximum d’effets dans un minimum de temps pour énormément de dégâts collatéraux. Reste comme toujours la question du plaisir. Le shoot n’est pas seulement une méthode de conso pour l’« économiquement faible », c’est aussi et avant tout, pour de nombreux usagers, un gigantesque pied (voir pagexxx, tableau synoptique des produits injectables).

1. Anne Coppel, Le dragon domestique
2. Thomas Szasz, la persecution rituel des drogués

Arcachon : la mort aux trousses

Pascal Tais, un jeune français d’origine marocaine, est mort mercredi 10 avril 1993, au commissariat d’Arcachon. Le mardi 6 avril, Makomé, un jeune zaïrois de 17 ans, est également décédé dans un commissariat du 18ème arrondissement. Les circonstances de ce drame ont suscité une unanime indignation au sein des autorités comme du public. Au delà de la polémique engendrée par la succession de violences policières et des manifestations de ces dernières semaines, il convient de souligner le caractère tragique de la disparition de Pascal Tais, toxicomane de 32 ans, malade du sida, en phase finale, décédé à la suite d’une longue et douloureuse agonie au fond d’une cellule de dégrisement (j’allais écrire, de “décontamination”). Cette mort n’a pas fait la une des journaux, elle n’a pas non plus mobilisé la jeunesse d’Arcachon. Seules quelques dépêches d’agence de presse et une lettre comminatoire du père du jeune homme adressée au Ministre de l’Intérieur, en ont révélé la trame sordide. Pascal Tais, symbole de cette génération vouée aux seringues collectives, est mort sous les coups. Les coups douloureux de la vie toxicomane, chargés de haine et de mépris, les coups mortels du sida, assénés en toute impunité par la législation répressive en matière de seringue, et enfin, comme on achève un cheval fourbu, les coups reçus avant ou pendant son passage au commissariat d’Arcachon, les pires, ceux qui ont fait mal au point de tuer un homme à l’endroit ou sa sécurité devrait précisément être garantie.

La mort de Pascal Tais est un fait-divers dont le scandale n’est dénoncé qu’en fonction de deux éléments circonstanciels, presque deux arguments commerciaux. Le premier est ce contexte si particulier de brutalités policières en cascade, du mois d’avril et le second est la lourde charge émotive et fascinatrice que recèle le vocable toxicomanie. Interpellé avec sa compagne devant le casino d’Arcachon, le jeune homme, en état d’ivresse (quel joli mot), est présenté à l’hôpital, où l’interne de service constate que son état ne nécessite pas d’hospitalisation. Bien que porteur d’une carte d’invalidité à 100%, Pascal est placé en garde à vue le 9 avril, avant de décéder le 10 “des suites d’une hémorragie due notamment à un éclatement de la rate”.

Depuis, les autorités policières et hospitalières ne cessent de se renvoyer la responsabilité d’un drame où l’on hésite à trancher pour savoir si l’incompétence le dispute à la bêtise ou au sadisme. Mort sous les coups, mort par manque de soins dans l’abandon de sa cellule, Pascal, dès son arrestation, s’est trouvé isolé par toute la distance que génère le mot de “toxico”, celui que l’on examine mal parce que sa particularité tombe sous le coup de la loi. Personne ne s’est mobilisé à la porte du commissariat pour protester contre cette fatalité, surtout pas ces autres victimes potentielles que sont les UD de la région des Landes. Les réunions de toxicomanes proclamés, restant en France sauf à ASUD – assimilables à une association de malfaiteurs. Cette identité maudite a poursuivi Pascal jusque dans les agences de presse où son décès, déni évident du plus élémentaire des droits de l’homme, est prudemment étiqueté sous la rubrique “divers toxicomane”, comme si le manque de soins et le passage à tabac en garde à vue étaient explicables par la condition de consommateur de drogue. Il est donc encore long le chemin à parcourir avant de pouvoir dénoncer la mort de Pascal Tais par un terme générique moins médiatique certes, mais ô combien plus digne, qui pourrait être celui tout simple de : “divers être humain”.

Naissance du C.C.L.A ( Citoyens Comme Les Autres)

ASUD04_homme femmeA.S.U.D. est heureux de saluer la naissance de C.C.L.A. en Belgique, un groupe ouvert aux usagers de drogues, et destiné à lutter contre la discrimination qui frappe les utilisateurs de substances prohibées. Issus du creuset européen des groupes d’auto-support (European Interest Group of Drug Users) nos amis belges se proposent de briser le mur de culpabilité enserrant les pratiques toxicomanes, en propageant les techniques de réduction des risques.

Nous espérons que cette émanation particulière de l’espace francophone va permettre d’aboutir à une meilleure compréhension de nos problèmes de consommateurs, problèmes systématiquement occultés par notre vieille civilisation franque.

CCLA c/o Ligue des Droits de l’Homme, 6 rue Watteau, 1000 BRUXELLES.

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