Drogues et Genre

EHESS, 6-7 juin 2019

Amphithéâtre de l’EHESS, 105 bd. Raspail, 75006 Paris

Colloque organisé par Anne Coppel, Alessandro Stella et le Groupe Genre du CRH

La consommation de drogues n’échappe pas aux constructions sociales et culturelles genrées. Si, chez les jeunes occidentaux d’aujourd’hui, la consommation d’alcool s’est largement répandue chez les femmes, y compris dans les espaces publics, ce phénomène est tout-à-fait récent, car pour les générations précédentes d’Européens et d’Américains les femmes qui buvaient dans les cabarets, les tavernes et les bars, étaient stigmatisées et couvertes de toute sorte d’infamie. À l’instar de l’alcool chez les occidentaux, toutes les autres drogues psychotropes semblent avoir été historiquement des consommations majoritairement masculines. Que ce soit l’opium dans les sociétés indiennes, iraniennes, chinoises, la coca chez les peuples des Andes, ou encore le khat au Yémen et dans la Corne d’Afrique. Faut-il croire que les hommes ont éloigné les femmes de l’accès aux « plantes des dieux » ? Ou alors que les femmes ont pris elles-mêmes des distances avec des substances modifiant les comportements personnels et les relations sociales ? Pourtant, un peu partout, les curanderas, les sages-femmes et d’autres femmes moins sages, se sont appropriées des plantes soignantes. L’histoire au présent des usages de drogues semblent rompre bien de traditions, sous l’effet de la diffusion rapide et mondiale des substances et des changements des comportements personnels. L’hypothèse que nous formulons est que ce n’est pas le type de psychotrope en soi, ni les effets attendus qui produisent une consommation différente selon le genre, mais le cadre culturel, relationnel, dans lequel vivent des hommes et des femmes qui en influence l’usage. Entre psychotropes soignants, ludiques, performatifs, les drogues se mélangent aux construction de soi et à l’environnement collectif.

Jeudi 6 juin 2019, matin : Différence de genre, mélange de drogues

Anne Coppel, sociologue, Présidente honoraire d’ASUD = Introduction = « Drogues et Genre »

Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue, EHESS = « Etats psychotropes et différence des sexes : l’ivresse est-elle sexuée et/ou sexuelle ? »

Cristina Diaz-Gomez, sociologue OFDT = « Usage de drogues chez la population féminine en France, recours aux soins et situation épidémiologique : quelles spécificités ? »

Onata Chaka Coulibaly, Psychologue, Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan = « Genre et usages de drogues en Côte d’Ivoire »

Florent Schmitt, sociologue, Université de Paris XI, et Maïa Neff, sociologue, Université de Laval (Quebec) = « Femmes enceintes, drogues et traitement institutionnel »

Jeudi 6 juin 2019, après-midi : La morphinée, le mauvais genre

Emmanuelle Retaillaud-Bajac, historienne, Université de Tours = « Les drogues au féminin en France, du XIXe siècle aux années 1930 : ambiguïté et contradictions d’une représentation genrée »

Zoé Dubus, historienne, Université d’Aix-Marseille = « La morphinée : construction et représentation d’un mythe dans le discours médical »

Xavier Paulès, historien, EHESS = « Les femmes et l’opium à Canton sous la République (1912-1949) »

Malika Tagounit, intervenante centres de soins = « Héroïne et genre en France dans les années 1970 »

Vendredi 7 juin 2019, matin : Genre et drogues entre usages traditionnels et modernes

Maziyar Ghiabi, historien, Oxford University = « Le genre de l’intoxication. Les femmes iraniennes et l’expérience des drogues »

Maggy Granbundzija, anthropologue = « La révolution (du genre) par le qat ? »

Kenza Afsahi, sociologue, Université de Bordeaux = « La consommation de cannabis au Maghreb : une sociabilité masculine ? »

Vendredi 7 juin, après-midi : Sexe et drogues

Virginie Despentes, écrivaine = « Sexe, drogues et rock and roll » (sous réserve)

Laurent Gaissad, sociologue, Ecole d’architecture de Paris = « Où sont les hommes ? Masculinités gays à l’épreuve du chemsex »

Thierry Schaffauser, travailleur du sexe, STRASS = « Drogues et travail sexuel »

Gianfranco Rebucini, anthropologue, EHESS = « Drogues et politiques queer »

Contact :

Alessandro.stella@ehess.fr

vuckovic@ehess.fr

Anne Coppel : « Introduction »

Résumé: Si la consommation de drogues est soumise à l’emprise des normes de genre, elle a aussi accompagné la mise à l’épreuve de ces normes. A plusieurs reprises au cours du XXe siècle et jusqu’à aujourd’hui, l’hétérosexualité construite comme norme naturelle a été interrogée par les mouvements de libération des femmes, et, en leur sein ou à leur marge, par les voix dissidentes théorisées par la problématique queer. Parce qu’elles modifient les états de conscience, les drogues psychotropes ont pu favoriser l’expérimentation de nouvelles construction de soi, avec d’autres expériences subjectives corporelles, d’autres relations aux autres et contribuer ainsi à la construction de nouvelles identité de genre.

CV: Sociologue, Anne Coppel est spécialiste de la politique des drogues, de la lutte contre le sida et de la réduction des risques liée à l’usage de drogues. Entre recherche et action, elle a mené des recherches sur les consommations de drogues, sur les pratiques à risques face au sida, la sexualité, le genre, la prostitution, l’auto-support des usagers de drogues, recherches qui ont débouché sur des projets expérimentaux de réduction des risques (BUS des Femmes, programmes de méthadone). Militante associative, elle a animé le débat public sur la politique de réduction des risques comme présidente du collectif Limiter la casse (1993-1997), puis avec la création de l’AFR, l’association française de réduction des risques (1998-2012). Prix international de la réduction des risques, Rolleston Award 1996. Publications : Le Dragon Domestique, deux siècles de relations étranges entre les drogues et l’Occident, en coll. avec Christian Bachmann, Albin Michel, 1989, 564 p. ; Peut-on civiliser les drogues ? De la guerre à la drogue à la réduction des risques, La Découverte, 2002, 380 p. ; Sortir de l’impasse, expérimenter des alternatives à la prohibition des drogues, avec Olivier Doubre, La Découvertes, 2012, 287p.

Véronique Nahoum-Grappe : « L’ivresse est-elle sexuelle ? l’ivresse est-elle sexuée ?  

Résumé : Ces deux questions, posées du point de vue de l’ethnologie, sont différentes. Au regard de ce psychotrope licite qu’est l’alcool, à l’échelle individuelle, l’invasion du système neurocognitif par l’éthanol est extrêmement hétérogène : à dose égale, l’expressivité de l’ivresse est spécifique non seulement entre les sujets des deux ou cinq sexes, mais aussi au sein d’une même trajectoire de vie lors des diverses « cuites » éventuelles. Différentes dans leur « occasion », leur sémiologie propre pour le buveur (toujours sobre dans son choix de « boire » à ce moment-là), et selon bien sur l’inscription culturelle, historique, sociale conjoncturelle de ce choix, et la scénographie de son présent, les scènes d’ivresse sont à chaque fois particulières pour l’ethnologue. Du point de vue des ivresses en tant qu’expériences psychotropes souvent jouissives, ne sont peut-être pas plus différentes en fonction des sexes qu’entre elles. Mais le fait que les sciences cliniques (chimie médecine psychiatrie) s’accordent   pour dénoncer une plus grande toxicité en terme de santé physique et psychique pour les femmes masque l’ivresse en tant que scène où ce qui se passe d’enivrant n’est pas plus susceptible d’être défini comme « sexué » que l’état de sobriété consciente. Pourtant la différence des sexes est une des constantes de l’épidémiologie des consommations d ‘alcool, plus importante en France que les différences de classes sociales … L’intervention ici voudrai penser cette discordance.

CV : Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue, chercheure associée au IIAC EHESS. http://www.iiac.cnrs.fr/article42.html

Cristina Diaz Gomez : « Usage de drogues chez la population féminine en France, recours aux soins et situation épidémiologique : quelles spécificités ? »

Résumé : Cette présentation aborde la question des spécificités des femmes sous l’angle de l’épidémiologie descriptive des drogues. Elle présente les évolutions récentes de l’usage des drogues en population générale, observées en France parmi les jeunes et les adultes, en explorant l’influence du genre. En analysant les situations contrastées, cette intervention se propose également de caractériser les publics féminins fréquentant les dispositifs de soutien aux usagers(ères) de drogues à partir des enquêtes d’observation récentes réalisées à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (usages, pratiques à risque, comorbidités…). Enfin, la question du recours aux services de prévention, d’accompagnement et de soins des femmes usagères sera analysée ainsi que celle de l’adaptation de l’offre aux spécificités progressivement identifiées par les institutions et les professionnels.

CV : Cristina Diaz Gomez est économiste-épidémiologiste. Diplômée en méthodes de recherche clinique par l’ISPED, Cristina Díaz Gómez détient également un DEA en économie de la santé. Elle a démarré sa carrière à l’international en tant que membre du programme MEANS lancé par la Commission européenne en 1999 qui a permis d’améliorer et de promouvoir l’évaluation des politiques publiques en Europe. A l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), elle est responsable du pôle Évaluation des politiques publiques. À ce titre, elle coordonne et supervise les travaux d’évaluation des dispositifs existants dans le champ des addictions. Elle contribue également à l’évaluation des plans gouvernementaux. Elle est spécialisée dans la recherche interventionnelle, examinant l’efficacité des réponses élaborées pour prévenir les consommations, réduire les risques et accompagner les usagers en difficultés.

Maïa Neff et Florent Schmitt : « Le traitement institutionnel des femmes enceintes en établissements de soins et de réduction des risques « 

Résumé : Comment les femmes enceintes sont-elles prises en charge dans les établissements médico-sociaux de réduction des risques (RdR) – CSAPA et CAARUD ? Cette étude de cas montre que les pratiques et les discours des professionnel·le·s intervenants dans ces structures opèrent un réajustement genrée des principes de RdR lors des périodes de grossesse des femmes usagères de drogues. La temporalité de l’accompagnement imposée par la grossesse (opposé à l’adaptation au « rythme de l’usage.r.e »), le type de normes mobilisées et le déploiement de formes de coercition (opposé à la « libre adhésion » de l’usage.r.e) constituent les différents indicateurs de ces réajustements. La grossesse des femmes usagères de drogues apparait ainsi comme une circonstance favorisant un traitement institutionnel spécifique qui peut venir renforcer la division sexuée des rôles. 

CV : Maïa Neff : Doctorante en sociologie à l’Université Laval de Québec et à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, ma recherche porte sur le genre des carrières institutionnelles en addiction à Paris et Montréal. A ce titre, ma thèse s’axe plus particulièrement sur le traitement institutionnel des usages de drogues au féminin, au sein de structures médico-sociales en addictologie.

Florent Schmitt est doctorant en sociologie à Paris XI et rattaché au Cermes3. Son travail de thèse porte sur le rapport des usage.r.es de drogues aux CAARUD et l’implication du « rester usager.e.s » à long terme sur la mise en œuvre des missions de santé publique et de réinsertion sociale de ces institutions.

Emmanuelle Retaillaud : « Femmes et usages de drogues, entre interdits, exclusions et transgressions (France, 1800-1939) »

Résumé : Lorsque l’usage des produits stupéfiants commence à se répandre en France au cours du XIXe siècle, le regard social dénonce volontiers la femme initiatrice et corruptrice, assimilée à l’Eve de la tradition biblique, alors même que les statistiques disponibles suggèrent une pratique à dominante masculine, découlant de rapports sociaux de sexe structurellement inégalitaires. A contrario, la drogue au féminin apparaît souvent comme un facteur de vulnérabilité – dans le cas, notamment de la prostitution ou des femmes au foyer. En faisant la synthèse d’un siècle et demi d’histoire des drogues, cette communication souhaiterait analyser l’évolution d’un système de représentations dont la dimension genrée apparaît centrale, en montrant que le déplacement des frontières et des motivations de l’interdit reconduit une hiérarchisation du masculin et du féminin qui constitue la femme à la fois, ou successivement, en exclue de la sacralité des paradis artificiels mais aussi en agent de transgression à surveiller et à dénoncer – un double bind qui reconduit l’ambivalence des statuts féminins dans l’ordre de la sexualité, contrôlés parce que redoutés.

CV : Emmanuelle Retaillaud est MCF-HDR en histoire contemporaine à l’université François-Rabelais de Tours (CeTHIS/HIVIS). A notamment publié : Les drogues, une passion maudite, « Découvertes » Gallimard, 2003 ; Les paradis perdus, drogues et usages de drogues dans la France de l’entre-deux-guerres, Rennes, PUR, 2009 ; Stupéfiant, l’imaginaire des drogues de l’opium au LSD, Textuel, 2017.

Zoë Dubus : « La Morphinée : construction et représentation d’un mythe dans le discours médical »

Résumé : La question de la perception genrée de la consommation de morphine à la fin du XIXe siècle a lourdement pesé dans l’élaboration du discours médical, puis populaire, érigeant « la drogue » en problème social dans la société contemporaine. La morphine entre définitivement dans la pratique quotidienne des médecins au début des années 1860 grâce à l’invention de la seringue. Dans un contexte où ceux-ci n’ont guère d’efficacité thérapeutique, le soulagement de la douleur assure au praticien une clientèle fidèle et admirative. Après une décennie d’emploi sous forme injectée, les médecins constatent qu’ils sont à l’origine d’une nouvelle pathologie liée à une prescription médicale et qu’ils vont nommer « morphinomanie » aux alentours de 1875. Il s’agit alors pour les médecins de se dédouaner de la responsabilité de cette pathologie : si les statistiques produites à l’époque démontrent inlassablement que l’origine de la morphinomanie est due à la prescription trop désinvolte d’un homme de l’art, ceux-ci élaborent un archétype du morphinomane sous les traits d’une femme à la sexualité « perverse », qui trouveraient dans la morphine un plaisir nouveau et morbide. Cette condamnation de la morphine à travers ses supposées consommatrices, que l’on nomme désormais les « Morphinées », se retrouve dans la presse, la littérature et les arts de l’époque, ce qui accélère le processus de diabolisation de la substance.

CV : Zoë Dubus est doctorante en histoire à l’Université d’Aix-Marseille en France. Sa recherche traite des transformations des pratiques médicales ainsi que des politiques de santé en lien avec l’utilisation de psychotropes en France, du XIXe siècle à nos jours. Elle s’attache à comprendre les relations qu’entretiennent la médecine et les médecins avec les produits modifiant la conscience et la sensibilité, conçus alternativement comme des médicaments innovants ou comme des toxiques. Ce travail vise enfin à replacer ces mouvements à la fois dans la question de l’expertise médicale et de ses enjeux socioprofessionnels, et dans le contexte plus large des rapports que la société entretient avec les psychotropes et donc avec le plaisir, la folie, la douleur et la mort.

Xavier Paulès : « Les femmes et l’opium à Canton sous la République (1912-1949) »

Résumé : Concernant le rapport entre femmes et opium, dans les années 1930, l’attention de la société cantonaise se porte beaucoup moins sur les consommatrices, même si ces dernières sont soumises à une réprobation toute particulière, que sur les yanhua (« fleurs de la fumée »). Ces jeunes et jolies femmes, d’extraction modeste, sont employées dans les fumeries afin de préparer les pipes pour les clients. Cette fixation sur les yanhua découle du fait qu’elles cristallisent des craintes liées au maintien de l’ordre et, plus encore, de la hiérarchie établis. En effet, les séductions conjuguées de la drogue et de l’attrait physique de ces femmes apparaissent susceptibles de favoriser une mobilité sociale de mauvais aloi, qu’elle soit descendante (ruine du fumeur aisé causée par une consommation inconsidérée d’opium), ou ascendante (lorsqu’une yanhua parvient à séduire et épouser un riche client).

CV : Xavier Paulès est historien, maître de conférences à l’EHESS depuis 2010, ancien directeur du Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine (2015-2018). Il est notamment l’auteur de deux livres : Histoire d’une drogue en sursis. L’opium à Canton, 1906–1936 (éditions de l’EHESS, 2010) et L’opium, Une passion chinoise, (Payot ,2011).Il va publier en 2019 une synthèse sur la période républicaine : La République de Chine, 1912-1949 (Belles Lettres) et prépare également un livre sur l’histoire d’un jeu de hasard chinois appelé fantan.

Malika Tagounit : « Héroïne et genre en France dans les années 1970 »

Résumé : Cette présentation concerne les consommations d’héroïne devenues visibles à la fin des années 60. Pour mieux appréhender le comportement d’usage à travers une lecture genrée, il m’a semblé pertinent d’ajouter, dans un deuxième temps, ce que vivent les usagères de crack, drogue qui a émergé à la fin des années 80. Des observations ethnographiques issues de ma pratique professionnelle ou de ma participation à plusieurs recherches montrent que les usagères de drogues sont confrontées à des rapports sociaux, relationnels et culturels liés à leur genre. Leur statut, leur rôle, leur place dépend étroitement de leur singularité et des hommes qui les entourent. Le poids de la dépendance et la nécessité du financement de l’accès au produit, qu’il s’agisse de délinquance, de deal, de prostitution, régentent eux-aussi le comportement d’usage. Dans cet environnement collectif d’hommes et de femmes, où se pose continuellement la question du « qui fait quoi ?» pour permettre l’usage, la construction de soi des usagères d’héroïne fait apparaître des possibilités de catégorisation. Ces catégories d’usagères, seule ou en couple, actrices ou pas dans l’accès au produit, ne sont pas figées dans le temps. L’usagère qui assume seule son comportement d’usage peut devoir faire face à la violence des hommes de son milieu, en plus des risques inhérents à son activité. Pour se sentir « protégée », elle devra faire des alliances. Cette violence masculine sera plus fréquente si l’usagère, jugée se comporter « comme un homme », se lance dans une activité de deal. A l’image d’une Guerrière, elle devra redoubler de stratégies de protection et passer elle aussi par des alliances. Les femmes sont minoritaires dans le milieu des drogues. Elles peuvent même vouloir rester invisibles par peur des réactions de la société à leur encontre, notamment ce qui a trait à la garde de leurs enfants. Les usagères se sentent stigmatisées par la société, plus que les hommes, car elles ne répondent pas aux représentations sociales et culturelles de la femme : mère, épouse. Plus encore, quand elles recourent au travail sexuel. Dans les quartiers Nord de Paris, les usagères de crack gravitent dans un milieu où les hommes, dealers et usagers semblent tenir les premiers rôles. Le travail sexuel auquel elles se livrent constitue pourtant un moteur économique à ce système. Les modalités d’usage du crack et le mode de vie des consommateurs très précarisés renforce le rôle essentiel des usagères. Le travail sexuel permet la survie du groupe élargi, à l’image d’une tribu, en termes d’achat de crack et de besoins primaires.

Pour autant, il ne s’agit pas d’un système matriarcal. Les usagères de crack, à travers leur double identité prostitution/drogue, leur dégradation physique, ont perdu leur image de femme, même aux yeux des hommes du groupe « ce ne sont plus des femmes ». Des actes de violence, de racket, de pressions psychologiques s’exercent sur elles. Pour analyser l’ambivalence de leur statut, à la fois « dominantes par l’argent et victimes », il importe de prendre en compte les conditions de vie très misérables qui influent sur les relations dans le groupe élargi, les rapports sociaux et culturels liés au genre car les minorités ethniques (Dom/Tom, Afrique) sont très représentées dans ce milieu.

CV : Dans lesassociations Charonne, Aurore, Médecins du Monde, Arapej, j’ai travaillécomme intervenante socio-sanitaireauprès d’usagers de drogues (opiacés, crack…), de jeunes en errance, de sortants de prison, de travailleurs sexuels. Comme Chef de Projet, j’ai misen place des projets de Réduction des Risques innovants : des accueils bas seuil « Boutique 18 », « Beaurepaire » et « Itinérances » ; le premier lieu d’accueil pour usagères de drogues en réponse à leurs besoins ; spécifiques « Espace Femmes » ; la première Antenne Mobile auprès d’usagers de crack qui intervient sur les scènes ouvertes et dans les squats. J’ai été Présidente de Limiter La Casse et Membre du Bureau AFR (Association Française de Réduction des Risques). J’ai participé à plusieurs recherches dont : Hépatite C et usagers de crack (Rodolphe Ingold / IREP) ; Usagers de crack (Rodolphe Ingold / IREP) ; Travail sexuel et usagers de crack (Rodolphe Ingold / IREP) ; Nouveaux usagers d’héroïne (Groupe de Recherche sur la Vulnérabilité Sociale / Catherine Reynaud-Maurupt) ;Usagers de kétamine (Groupe de Recherche sur la Vulnérabilité Sociale / Catherine Reynaud-Maurupt) ; Usagers de Rohypnol (Groupe de Recherche sur la Vulnérabilité Sociale / Catherine Reynaud-Maurupt) ; Enquêtrice à l’Ofdt (dispositif Trend).

Onata Chaka Coulibaly : « Genre et usages de drogues en Côte d’Ivoire »

Résumé : Présentation de la problématique de l’usage de drogues en Côte d’ivoire, les évolutions sur la question du genre dans nos sociétés africaines, notamment les mutations en termes de culture et des modifications des comportements sociaux. La représentativité des femmes dans cette population d’usagers de drogues dont nous avons suivis durant l’étude. Les résultats en termes de niveau de scolarisation, le statut matrimonial et l’âge moyen de cette population d’usagers de drogues selon le genre. Les différences qui pourraient exister en termes de types de drogues consommées que d’effets recherchés par la consommation de ces drogues et enfin la discussion des résultats par rapport aux travaux antérieurs et les recommandations.

CV : Onata Chaka Coulibaly, titulaire d’un Diplôme d’études Approfondies de Psychologie, Doctorant au Laboratoire de Psychologie Génétique Différentielle de l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan (Côte d’ivoire). Psychologue consultant dans la prise en charge des usagers de drogues, à la Croix Bleue Côte d’Ivoire, de Septembre 2014 à Septembre 2018.

Maggy Grabundzija : « La révolution (du genre) par le qat ? »

Résumé : Au Yémen, mâcher la feuille de qat est une pratique répandue, auxquels hommes et femmes s’adonnent parfois quotidiennement. Une abondante littérature s’est attelée à analyser la portée sociale, politique, identitaire ainsi que les impacts économiques, médicaux et environnementaux d’une telle consommation qui s’étend depuis ces quarante dernières années dans toutes les régions du pays ainsi qu’au sein de toutes les classes sociales. Si les femmes sont évoquées dans ces écrits, il n’en reste pas moins qu’une grille d’analyse genrée qui met en perspective la pratique du qat dans le cadre des dynamiques des rapports hommes et femmes reste encore à être définie. Notre intervention tentera de formuler des pistes de réflexions pour décrypter la pratique du qat au regard des rôles et fonctions des hommes et des femmes dans diverses régions. Il s’agira également de s’interroger sur le mouvement révolutionnaire de 2011 et notamment de savoir si les nouveaux espaces de luttes inconnus dans l’histoire du Yémen ont permis une nouvelle dynamique de genres se reflétant dans la pratique du qat.

CV : Maggy Grabundzija est une consultante et chercheure indépendante, docteure en anthropologie sur les questions de genres au Yémen, pays dans lequel elle a vécu pendant quinze années. Elle a notamment publié un livre aux éditions L’Harmattan (2015), Yémen morceaux choisis d’une révolution.

Kenza Afsahi : « Maisons de maajoun » : Travail invisible des femmes dans le marché du cannabis (Maroc) »

Résumé : Traditionnellement, au Maroc, le maajoun (préparation sucrée à base de cannabis) était un produit partagé ou offert, non commercialisé. Fait complètement nouveau, de plus en plus de femmes sont arrêtées ces dernières années dans les villes pour leur implication dans la fabrication et la vente de maajoun. Par ailleurs, les produits ont pris de nouvelles formes et ne sont plus conditionnés de la même façon. Quelles places occupent les femmes dans cette nouvelle activité ? Que révèle cette activité sur le marché du cannabis ? 

CV : Kenza Afsahi est Maîtresse de Conférences en sociologie à l’Université de Bordeaux et chercheuse au Centre Emile Durkheim (CNRS). Elle est co-responsable de l’axe de recherche Sociologie (S) de l’International au Centre Emile Durkheim et membre du comité de rédaction de la Revue Française des Méthodes Visuelles. Elle est également associée au Centre de recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales (CNRS). A l’Université de Bordeaux, elle enseigne la sociologie de la déviance, la sociologie du marché du cannabis, la sociologie visuelle, les questions de l’implication des femmes dans le marché de la drogue et de criminalité environnementale. Son parcours de recherche se focalise sur la manière dont les acteurs déviants construisent des normes et des régulations dans le monde de la drogue. Après avoir travaillé sur la production, elle étudie aujourd’hui le marché du cannabis dans son ensemble, en conjuguant l’offre et la demande. Elle s’intéresse particulièrement à la construction socio-économique des marchés, à la circulation des savoirs, aux questions du travail invisible et domestique, en mettant l’accent sur les femmes et les intermédiaires, à l’environnement et aux ressources naturelles. Elle a par ailleurs initié de nouvelles comparaisons internationales Sud/ Sud avec le Liban et le Brésil.

Olivia Clavel : « Sexe, drogues, images »

Résumé et CV : est une plasticienne et autrice de bande dessinée française. Née en 1955 à Paris, elle fait ses études à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts à Paris à partir de 1972.  En 1975, elle participe au collectif Bazooka associé au mouvement punk sous le pseudonyme Electric Clito. Clavel se lance en particulier dans la bande dessinée, où elle change les conventions du groupe et de la bande dessinée en général. En 1976, elle commence à publier les aventures de « Joe Télé », son alter ego fictif avec une tête en forme d’écran, Pendant plusieurs années elle signe ses œuvres sous le nom d’Olivia « Télé » Clavel. Puis elle s’éloigne de la bande dessinée pour se pencher plus vers la peinture. En 2002, elle participe au projet Un Regard moderne, repris du blog de Loulou Picasso (Libération). Elle participe aussi à quelques projets vidéo : Traitement de substitution n°4 et L’Œil du Cyclone. En juin 2013, elle expose une collection intitulée « Vers Jung » à la galerie Jean-Marc Thévenet de Paris.  En 2019, elle fait partie de l’équipe des dessinatrices du nouveau mensuel féministe satirique Siné Madame, dès son lancement.

Laurent Gaissad et Tim Madesclaire : « Où sont les hommes ? Masculinités gays à l’épreuve du chemsex »

Résumé : Véritable pornotopie (Preciado, 2011), l’usage de drogues chez les gays s’est peu à peu dissocié de leurs mondes festifs pour se replier sur leur sexualité collective à domicile avec le développement d’internet et, plus dernièrement, des applications de rencontre par géolocalisation en ligne. En miroir de la crise du sida, le chemsex (pour chemical sex) a été analysé au prisme des risques pour la santé plutôt qu’en regard des performances corporelles masculines optimisées par les multiples substances consommées (Fournier, 2010) : multi partenariat, endurance, lâcher-prise, surtout pour ce qui concerne la sexualité anale. On reviendra ici sur le rôle-clef que les drogues ont joué dans les normes de genre au cœur des sexualités gays contemporaines, affranchissant le plaisir tout en le conformant aux attendus virils des rôles sexuels. Références : Preciado B. Paul, Pornotopie. Playboy et l’invention de la sexualité multimédia, Paris, Flammarion, « Climats », 2011 ; Fournier Sandrine, « Usages de psychoactifs, rôles sexuels et genre en contexte festif gay (Paris/Toulouse, 2007) », Clio. Histoire, femmes et sociétés, Vol. 31 N° 1, 2010, p. 169-184.

CV : Laurent Gaissad, socio-anthropologue à l’EVCAU (Environnements Virtuels, Cultures Architecturales et Urbaines) à l’ENSA Paris Val-de-Seine. Il a publié de nombreux articles sur l’espace public et la sexualité au temps du sida. Tim Madesclaire, chercheur indépendant, Paris. Éditeur la revue Monstre. Consultant pour les programmes Santé sexuelle des HSH (Hommes ayant des rapports Sexuels avec des Hommes) de Santé Publique France (Prends-moi, Sexosafe). Tous deux ont coréalisé l’enquête APACHES (Attentes et Parcours liés au CHEmSex) pour l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies en 2018.

Thierry Schaffauser : « Drogues et travail sexuel »

Résumé : L’usage de drogues est souvent associé au travail du sexe (appelé « prostitution ») afin de stigmatiser l’une et l’autre pratique. Au milieu des années 1980, l’émergence du VIH au sein de la communauté des travailleuses du sexe, en particulier celles usagères de drogues, a poussé les pouvoirs publics à accepter des politiques et pratiques de réduction des risques et de santé communautaire par & pour. Avec la généralisation des traitements de substitution, la thématique de « l’addiction » comme cause du travail sexuel cède du terrain dans les représentations au profit de celle de « la traite et des trafics » dans un contexte de migration de plus en plus mondialisée. L’association entre l’usage de drogues et le travail sexuel, refait surface depuis quelques années, mais cette fois à travers la thématique du « chemsex » concernant surtout les hommes travailleurs du sexe, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives. Entre représentations, stigmatisations, problématisation des parcours de vie, besoins en santé, et usages personnels des travailleurSEs du sexe, nous essaierons d’y voir plus clair.

CV : Thierry Schaffauser est travailleur du sexe et usager de drogues. Ancien militant d’Act Up-Paris et cofondateur du STRASS, le Syndicat du Travail Sexuel, il défend la syndicalisation des industries du sexe et leur complète décriminalisation. Il est l’auteur du livre Les Luttes des Putes aux éditions La Fabrique et auteur du blog sur Libératio.fr « Ma Lumière Rouge« .

Gianfranco Rebucini : « Drogues et politique queer. Le chemsex comme pratique culturelle en contexte de contrôle capitaliste ».

Résumé : Dans la définition médiatique et médicale, le chemsex est l’association de drogues (chem) au sexe (sex) tenue pour répandue spécialement chez les hommes gays. Cette définition et juxtaposition impliquent donc la possibilité d’une définition préalable de ce qu’est le sexe. Si le chemsex existe c’est parce que le « sexe » existe. Nous savons déjà ce qu’il est et qu’il est forcément sobre. Les « experts » médicaux et communautaires s’accordent à définir le chemsex comme une pratique associant des caractéristiques distinctives, parmi lesquelles l’usage de produits psychotropes, des relations sexuelles répétées, souvent avec des partenaires multiples, mais aussi de modes de rencontre sur les applications de géolocalisation. Dans une perspective queer et marxiste, cette intervention se concentrera plus particulièrement sur ces caractéristiques culturelles. Il s’agir alors d’aborder cette pratique comme une pratique culturelle à part entière dans le contexte plus large du contrôle biopolitique du capitalisme postfordiste touchant à la sexualité et au sexe. D’autre part, nous verrons le chemsex comme pratique de dévoilement et comme potentialité politique et créative parlant peut-être de ce que le sexe est ou plutôt de ce qu’il fait dans ce contexte capitaliste.

CV : Gianfranco Rebucini,est docteur en anthropologie sociale et ethnologie. Chercheur associé au IIAC – LAIOS (EHESS-CNRS), il est spécialiste des études sur les masculinités et sur les sexualités entre hommes et, plus récemment, se consacre à une recherche concernant le rapport entre les identités et les pratiques politiques queer. Parmi ses publications : éditeur scientifique associé de Juliette Rennes (dir.) Encyclopédie critique du genre, Paris, Éditions de la Découverte, 2016.

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