Codéine, perd, passe, et manque…

Jusque très récemment, la France était le pays de la codéine en vente libre. Une pharmacopée pléthorique offrait à nos bronches douloureuses une panoplie de médicaments en « co », Codoliprane®, Codedrill®, et, à tout seigneur…, le célèbre Néo-Codion®, compagnon d’infortune de deux générations d’usagers en manque, sortis de garde à vue, privés de dealer, ou tout simplement amateurs de sensations douces sans ordonnance. Mais ça, c’était avant…

Rappelons pour mémoire que le dit Néo-Codion® – « Néo » pour les intimes – fut l’objet de plusieurs tentatives de retrait des officines de la fin des années 1980 au début des années 1990. Des velléités très révélatrices du climat d’hypocrisie qui a de tout temps caractérisé ce dossier. Les mêmes instances officiellement hostiles à l’introduction de la méthadone se sont épisodiquement alarmées des scores de vente olympiens de la célèbre petite pastille verte. À chaque fois, l’institution a reculé devant la perspective d’un lâcher de « toxicos » en manque dans nos rues, en maintenant la « soupape de sécurité » que représentait la vente libre de Néo-Codion® à l’intérieur de l’édifice prohibitionniste. Presque trente ans plus tard, toute une gamme de médicaments, indiqués cette fois pour la douleur, se sont progressivement installés dans la brèche. Efferalgan® codéiné, Dafalgan® codéiné, Padéryl® codéiné sont assaisonnés à la codéine, un dérivé de l’opium. Depuis bientôt vingt mille ans, l’opium remplit la même fonction pour les homo sapiens : dormir, rêver et ne plus avoir mal en un seul volume. Un bémol d’importance : comme tous les opiacés, la codéine souffre d’une tare majeure, quand on en prend trop, on en meurt. Depuis les années 2010, les opiacés, chassés du catalogue des drogues récréatives par les mauvais souvenirs de la seringue et des années sida, ont fait leur réapparition sous la forme de cocktails relayés dans la communauté Hip Hop. Les purple drank (1)et autre sizurp(2) ont essaimé chez les adolescents. Deux accidents mortels ayant impliqué des mineurs font la une des médias français au printemps 2017. La campagne de presse est animée par la mère de l’une des victimes qui se mobilise autour d’un seul objet : abolir la vente libre de ces médicaments codéinés. Comme souvent en pareille occurrence, le gouvernement, craignant par dessus tout d’apparaître laxiste à propos de « la drogue », adopte une mesure de circonstance, mal taillée, mal préparée, et surtout, mise en oeuvre dans une précipitation qui a rendu impossible le recueil d’une information fiable sur la cible, laquelle, rappelons-le, est cachée par définition, puisque officiellement la codéine ne soignait que les rhumes et les maux de tête. Aucune information non plus n’est parvenue aux professionnels de la santé, médecins et pharmaciens, peu connus pour leur
empressement à accueillir dans leurs cabinets ou leur officines les usagers d’opiacés toutes catégories (voir p 31). Le grand scandale de cette affaire est le suivant : nous dénonçons depuis
douze ans, avec preuves à l’appui, la détermination avec laquelle les pharmaciens d’officine refusent de délivrer à des patients parfaitement en règle les vrais médicaments opiacés dûment tamponnés par l’Académie. Et en même temps, les mêmes pharmaciens sont supposés incapables de refuser une vente de codéine détournée à des adolescents boutonneux. En clair, il serait apparemment plus facile de contrevenir à la loi en résistant à la pression des méchants drogués que de gérer la triche des lycéens en goguette.

Conclusion

Le 12 juillet 2017, par arrêté ministériel, l’ensemble des médicaments contenant de la « codéine de l’éthylmorphine, du dextrométhorphane ou de la noscapine » sont passés en liste I et II, c’est-à-dire dorénavant soumis à une prescription obligatoire. Après un combat d’arrière-garde à la commission des Stupéfiants (3) et une conversation téléphonique avec le directeur général de la santé, Asud n’a jamais pu faire entendre son point de vue. Les trafics, chapardages, et ventes à distance sur le Net vont donc naturellement pourvoir à la confection des cocktails stupéfiants dans les cours de récré tandis qu’une foule de consommateurs dépendants à la codéine s’est brusquement retrouvée livrée aux incertitudes du syndrome de manque un vendredi soir en plein
mois de juillet. Nous prenons ici l’engagement de tenir une rubrique dédiée aux suites de cette affaire, parfaite illustration en temps réel de nos incohérences politiques en matière de drogues.

FABRICE OLIVET

RÉFÉRENCES

1. Georges Lachaze, « Hip Hop, le sirop de la rue » – partie 2, Asud- Journal n° 56

2. Georges Lachaze « Hip Hop, le sirop de la rue » – partie 1, Asud-Journal n° 51

3. Le compte-rendu de la séance de juin 2017, qui s’est soldée par un vote favorable à l’interdiction une très courte majorité, est en ligne sur le site de l’ANSM. Jusque très récemment, la France était le pays de la codéine en vente libre. Une pharmacopée pléthorique offrait à nos bronches douloureuses unepanoplie de médicaments en « co », Codoliprane®, Codedrill®, et,
à tout seigneur…, le célèbre Néo-Codion®, compagnon
d’infortune de deux générations d’usagers en manque,
sortis de garde à vue, privés de dealer, ou tout
simplement amateurs de sensations douces sans
ordonnance. Mais ca, c’était avant…

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