Sur internet la Prohibition c’est (presque) fini

Les nouveaux produits de synthèse (NPS), comme le Darknet sont issus de la prohibition : c’est parce que la prohibition existe que le Darknet existe et que les nouveaux produits de synthèse existent. Après les libraires, la musique et même les taxis, les drogues sont en train de faire leur révolution Internet.

Pierre Chappard est coordinateur du Réseau Français de Réduction des risques et président de PsychoACTIF. Avant ça il a été entre autre président d’Act Up – Paris et de Keep Smiling, mais aussi chargé de projet à ASUD de 2007 à 2012 pour représenter les usagers et s’occuper du forum.

Pécho sur le net
Cet article fait partie du dossier « Pécho » sur le net.

Les NPS ont été créés pour contourner les lois existantes. Leur apparition médiatique remonte à la fin des années 2000, surtout en France avec la méphédrone et le spice.

Un marché en train d’exploser

Seules quelques dizaines de NPS sont vraiment intéressantes mais le marché est en train d’exploser : 154 NPS identifiés en France depuis l’an 2000, dont 80 % ces cinq dernières années, selon l’OFDT. Aujourd’hui, chaque classe de drogue habituelle a son équivalent en NPS. On comptait plus de 600 sites de vente en 2012, des sites faisant des promotions et du service après-vente comme pour n’importe quel autre produit. Après l’interdiction de l’éthylphénidate le 9 avril 2015 en Angleterre, on pouvait en trouver à mille euros le kilo. Les produits ne sont pas chers (entre 10 et 20 € le gramme) et leur prix baisse très vite selon la quantité.

Promo éthylphénidate

Un exemple de promotion publique sur un shop « officiel » anglais suite à l’interdiction de l’éthylphénidate.

Que la plupart ne soient pas illicites ne veut pas pour autant dire qu’ils soient légaux car ils ne sont pas autorisés à la consommation humaine. C’est pour ça qu’ils sont vendus comme « Research Chemicals » (RC), qui veut dire « produits chimiques de recherche » pour contourner les lois sur la consommation.

Les produits vendus sur le Darknet (Lire Darknet, mode d’emploi) vont même jusqu’à imiter la forme des drogues, pas seulement leurs effets. On trouve par exemple de la fausse herbe saupoudrée aux cannabinoïdes de synthèse, des buvards qui imitent le LSD… Nous n’avons à l’heure actuelle pas de recul sur les NPS quant à leurs effets à moyen et long terme [Ndlr : et parfois même à court terme !]. Un des gros problèmes des RC. Autre souci : les produits ne sont pas contrôlés, sachant que beaucoup d’entre eux sont fabriqués en Chine, en Inde et au Pakistan et sont parfois encore plus dangereux (Lire Les pièges de l’achat de drogues en ligne).

« Faire de la RdR sur des produits comme ça est ce qu’il y a de plus dur parce que définir un dosage ou un protocole d’administration quand on ne connaît ni la molécule ni les proportions qu’il peut y avoir dedans… On est plutôt dans l’anti-RdR parce qu’on ne peut pas prévenir quelque usager que ce soit des effets secondaires ou des dosages. »

(Nicolas Urbaniak, Not For Human)

4 types de consommateurs

L’OFDT a repéré 4 types de consommateurs (bien qu’il n’y ait toujours pas de réelle étude en France) :

  • le milieu festif gay (notamment les slammeurs avec les cathinones) ;
  • les usagers avertis qui fréquentent les forums (et qui font notamment des trip reports, des témoignages minutés des effets secondaires d’un produit disponibles sur les sites de consommateurs, une manière de reprendre le pouvoir pour les consommateurs) ;
  • les jeunes adultes du milieu festif tekno (qui ne savent pas forcément qu’ils ont pris des RC si on leur a vendu pour un autre produit) ;
  • et depuis 2012, des jeunes qui consomment tout et n’importe quoi et surtout, qui ne connaissent pas la réduction des risques, à la différence des groupes précédents.

Les seules infos disponibles concernant la prévalence des RC en France ont été recueillies par l’association Safe qui gère des automates distributeurs de kits d’injection (Lire Safe, agence tous risques…). Son étude sur l’analyse des fonds de seringues a montré la présence de cathinones dans 25 % des cas et dans tous les lieux de collecte. L’usage se développe donc et quand les Caarud commenceront à poser la question à leurs usagers, ils découvriront que les RC sont aussi présents.

Ne pas se faire « uberiser »

Si leur consommation est encore assez faible malgré leur bruit médiatique, les NPS remettent en cause la politique des drogues parce que les gouvernements ne savent pas comment faire. On trouve très facilement sur Internet les cathinones, qui ont été interdites mais qui sont aussi de plus en plus consommées. Certains pays ont du coup commencé à changer leur législation, notamment la Nouvelle-Zélande qui vient récemment de classer les NPS selon leur risque (faible, moyen, fort) et de légaliser les cannabinoïdes à faible risque. La Commission européenne tente d’élaborer une loi classant de même en risque « faible », « moyen » et « fort », et pénalisant les vendeurs mais pas les consommateurs. Un énorme changement si les usagers ne sont plus pénalisés.

Sur PsychoACTIF, on voit des jeunes usagers qui n’ont jamais acheté dans la rue et toujours commandé sur ces sites. Et on se dit que dans dix ans, il n’y aura plus que ceux-là (Lire L’avenir de la consommation de drogues est en ligne). Il faut se mettre à la page pour ne pas se faire « uberiser », un terme de geek pour dire se faire dépasser.

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