L’avenir de la consommation de drogues est en ligne

Ce n’est plus un secret, il est possible de se procurer des drogues sur internet. C’est un marché comme les autres entre ses boutiques en lignes, ses sites de petites annonces et ses forums d’usagers. Mais est-ce aussi facile que les médias le présente ? Quels changements en terme de risques pour les consommateurs ?

Olivier Peron est journaliste et auteur d’un dossier sur le deal de drogues en ligne via le Darknet paru dans le n°3 d’Humanoïde, un magazine dont il est le fondateur. Cette publication, qui a pour sous-titre est « La technologie est l’opium du peuple », fait très régulièrement allusion aux drogues. Illustrant cette intervention, leur dernière campagne de promotion transforme les grandes marques du web en produits de défonce.

Pécho sur le net
Cet article fait partie du dossier « Pécho » sur le net.

J’ai la certitude que l’avenir de la consommation de drogues est au Darknet et que dans dix ou vingt ans, il y aura beaucoup moins de deal de rue. Parce que le Darknet, c’est « génial » (on parle quand même de trafic de drogue…). Ce n’est pas très risqué pour le consommateur qui est absolument anonyme (tant qu’il est sur le Darknet et qu’il paye en bitcoins, il reste introuvable, personne ne peut dire qui il est). Une certaine tranquillité d’esprit vis-à-vis de la loi.

Les risques face à la loi

Que risque-ton face à la loi ? En ce qui concerne le flux électronique et les flux financiers, absolument rien en passant par le Darknet et en payant en bitcoins. Mais il y a risque à l’envoi du pli postal car il y a alors flux physique et là, vous risquez quelque chose. Mais les autorités font-elles beaucoup d’efforts pour essayer d’endiguer ce genre de trafic qui commence à prendre des proportions notables ? La cyberdouane française, c’est 10 à 12 personnes connectées 24 heures sur 24, qui connaissent très bien leur sujet. Mais d’après leur grand patron, ce qui les intéresse, ce n’est pas de scanner tous les plis postaux pour essayer de trouver 1 ou 2 grammes, mais les vendeurs. Entre 70 et 100 vendeurs opèrent depuis le territoire français mais l’avantage du Darknet Market, c’est qu’on peut aussi acheter à l’étranger sans risquer grand-chose : si le colis est intercepté et que les douaniers viennent chez vous, à eux de prouver que c’est vous qui avez passé la commande. Et comme on est sur le Darknet avec des bitcoins, c’est impossible. Encore une fois, du point de vue du consommateur et des risques vis-à-vis de la loi, le Darknet, c’est merveilleux.

crédit : Humanoïde magazine


Le fonctionnement des transactions anonymes sur le darknet (source Humanoïde magazine)

La qualité des produits

Concernant les risques sur la qualité des produits, je n’ai pas testé, mais le consensus général sur les forums de consommateurs est que la qualité est excellente, bien meilleure qu’avec le deal de rue, grâce à la notation des vendeurs par les consommateurs. La compétition commerciale est donc féroce entre vendeurs. La coke est par exemple pure de 60 à 90 % [Ndlr : contre 10 % à 30 % en moyenne chez le dealer du coin], mais forcément plus chère (de 100 à 150 € le gramme). Idem avec le cannabis et le taux de THC. Internet offre par ailleurs accès à un panel de produits qu’un dealer seul ne pourrait pas proposer.

Certains vendeurs sont capables de proposer 80 produits différents : opium, héroïne, Xanax®, coke, 20 variétés de cannabis… Une panoplie proposée par une seule et même personne, dont certaines totalisent 10 à 30 transactions par jour. Mais il y a parfois des problèmes d’étiquetage (par exemple 2C-B à la place de 4-MMC) et mieux vaut toujours faire un sniff test pour vérifier que les effets correspondent bien à ceux qui étaient attendus (et pour éviter d’éventuels surdosages liés à la pureté).

Les risques d’arnaque posent des problèmes : quelqu’un d’extrêmement dépendant à l’héroïne et qui achèterait uniquement par Internet, toutes les semaines à un vendeur avec lequel il entretient une relation de confiance. Et tout d’un coup, le site ne marche plus et le vendeur disparaît. Il faut donc faire attention à multiplier les sources [Ndlr : ce qui n’est pas bien difficile en ligne, contrairement au deal de rue si vous n’habitez pas une grande agglomération] quand l’utilisation est autre que récréative.

« L’achat de drogues sur le darknet c’est le téléchargement illégal des années 90 d’aujourd’hui : ça reste compliqué. Mais dans quelques années les drogues seront accessibles en ligne aussi simplement et surement que les films et les séries.»
(Olivier Peron, Humanoïde Magazine)

La fracture numérique

Accéder à ce marché nécessite d’avoir un ordi, une connexion, de télécharger Tor, maîtriser les bitcoins… et surtout, d’être anglophone car tout est encore en anglais. On peut donc craindre que le Darknet ne soit le futur du trafic de drogues que pour la classe moyenne blanche, qui a une connexion Internet, parle correctement anglais et est à l’aise avec l’outil informatique.

On risque alors d’assister à une séparation des marchés avec des points de vente dans les cités sensibles qui continueront à alimenter des gens qui sont eux-mêmes très marginalisés, ce qui renforcera la stigmatisation du méchant « dealer arabe » abusant des « pauvres exclus ».

Certains vendeurs sont cependant passés du deal de rue au 100 % Internet, en prenant soin de faire poster leurs envois dans des endroits différents pour ne pas se faire repérer. Je ne sais pas si le dealer arabe des cités va sur le Darknet ou même s’il le connaît, mais les choses vont forcément évoluer. C’est vrai aussi que ce nouveau mode d’achat ne concerne pas non plus l’usager précarisé des Caarud. Quoique pour les nouveaux produits de synthèse, un smartphone et une CB suffisent, et on peut très bien se faire livrer en poste restante, faute d’adresse.

Un mieux pour la société ?

Humanoïde Pub Windows doseLe Darknet s’assainit de plus en plus, dans cinq ou dix ans, le marché sera stable. On peut faire le parallèle avec le téléchargement illégal à la fin des années 90 : de nouveaux outils sont apparus en 2000, les processus de piratage sont devenus de plus en plus faciles et maintenant, tout le monde le fait. Le Darknet d’aujourd’hui, c’est le téléchargement illégal des années 90. On en est aux prémices, les outils sont difficiles d’accès (Lire Darknet : mode d’emploi), c’est toujours un peu compliqué d’acheter des bitcoins, de crypter son adresse et de virer ses bitcoins sur le portefeuille du dealer, mais ça va se simplifier. Ça ne peut aller qu’en s’améliorant.

Dans 4-5 ans, on pourra commander sa drogue sur Internet en toute sécurité parce que les autorités n’ont pas l’air de vouloir faire quelque chose (on ne verra jamais un scan systématique des colis postaux parce que ça touche au secret des correspondances). Ce genre de trafic qui se virtualise évite le trafic de rue, les dealers en bas de l’escalier, et toutes les nuisances qui vont avec. C’est un progrès, à la fois pour les consommateurs et pour la société dans son ensemble. Rendez-vous dans une dizaine d’années.

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