Les usagers-salariés du médicosocial : échange avec la salle

Fabrice Olivet : Asud s’est par exemple retrouvé avec un coordinateur des évènements festifs qui faisait systématiquement des OD sur son lieu de travail jusqu’à se faire évacuer par hélicoptère. On a alors estimé que ça suffisait et décidé de le licencier mais il nous a poursuivi aux Prudhommes où il a gagné. C’est donc l’association qui a été pénalisée en tant qu’employeur.

Cet article fait partie du dossier Les usagers-salariés du médicosocial.

L’entretien d’embauche

Georges Lachaze : Est-ce une question qu’on peut aujourd’hui poser lors d’un entretien d’embauche ?

Valère Rogissart : Non, cela fait partie des questions qui relèvent du secret médical. Certains métiers dits « à risque » sont soumis à dépistage via la médecine du travail mais sinon, l’employeur n’est pas fondé à poser la question en entretien ni à le vérifier.

Le risque de devenir l’usager de service

Georges Lachaze : Il y a aussi un côté usager une fois, usager toujours. Et quand on est salarié d’une structure médicosociale, ce n’est pas toujours évident de revendiquer et d’assumer son usage. D’une part, auprès de ses collègues et de son équipe, et d’autre part, auprès des autres usagers. Au-delà de la crédibilité, on court le risque d’être enfermé dans le rôle de l’usager de service et ça peut bloquer.

EGUS 9 Marjorie Corridon

Marie Debrus : C’est vrai qu’aujourd’hui, dire qu’on consomme n’est pas forcément bien vu pour des personnes diplômées, sachant qu’on risque aussi de se le prendre dans les dents dès qu’on n’assure pas au boulot. Tout en disant ensuite qu’on fait de la RdR et qu’on est dans la tolérance et l’acceptation… C’est un peu l’inverse de ce que j’ai appris dans la réduction des risques et le communautaire. Le communautaire s’appuie sur la Charte d’Ottawa qui parle bien de renforcer les compétences des personnes, de les rendre autonomes et de faire avec elles, quelles qu’elles soient, sans étiquette.

L’autosupport, c’est autre chose parce qu’il y a une question d’identité à défendre et à mettre en place. Il faut de tout mais il ne faut pas tout confondre : il ne faut pas que le communautaire devienne l’usager de service qui arrange tout le monde et qui l’enferme, parce que c’est l’opposé de l’empowerment.

En son nom propre ou politiquement ?

EGUS 9 Jean-Pierre Galland, Fabrice Olivet et Fabienne LopezFabrice Olivet : C’est effectivement compliqué mais en même temps, il y a deux plans superposés : la question de l’usage/abus/dépendance d’un côté, et de l’autre, la position plus politique. C’est d’abord parce que c’est un acte de délinquance qu’il faut pouvoir le proclamer, quels que soient la fréquence et le degré de l’usage. Au début de la réduction des risques, il y a eu un militantisme très fort pour pouvoir engager ces gens-là, pour qu’ils soient visibles et que la santé communautaire devienne autre chose qu’une illusion. Il y avait un sens politique et même les « ex » ont une forme politique parce qu’en France, même « ex », c’est compliqué. Et c’est plus à ce niveau-là qu’on pourrait encore faire des efforts et des progrès pour que les gens qui travaillent dans les structures aient la possibilité d’avoir un discours plus militant.

Georges Lachaze : La question, c’est de savoir si on le porte en son nom propre ou comme une idée parce qu’on en est convaincu, un discours qui peut être porté par des non-usagers. Politique ou pas, on ne peut pas passer de l’un à l’autre, effacer l’ardoise et revenir le lendemain au boulot. Le simple usage peut entraîner des emmerdes face à la loi, le revendiquer haut et fort dans un cadre politique peut accroître la visibilité et les problèmes, d’autant plus quand tu travailles dans une structure médicosociale où les peines seront encore aggravées. Alors tu réfléchis à deux fois.

EGUS 9 Jamel LazicFabrice Olivet : C’est sur la représentation que c’est important. Les choses ne changent que quand la société commence à s’identifier. Si les gens qui travaillent dans le médicosocial et, plus globalement, dans le soin aux usagers avaient la possibilité de proclamer cette identité, cela constituerait une avancée majeure en termes de changement de représentations.

Valère Rogissart : Tout est dans le « s’ils avaient la possibilité de ». Prendre un risque politique (afficher une idée, un positionnement), c’est une chose mais là, c’est différent parce que ça peut avoir des conséquences pénales. Vas mettre en danger ton diplôme et ton niveau de qualification pour une question comme celle-là… Ce n’est pas la même chose que d’appartenir à une organisation qui porte le discours et qui peut en tant que telle prendre un certain nombre de risques.

Fabrice Olivet : Il faut qu’on arrive à trouver le moyen de monter des lobbyings politiques en renforçant la visibilité des gens qui travaillent dans le secteur pour changer les représentations.

Dans quel but ?

Aude Lalande : On ne peut porter seul des pratiques aussi stigmatisées que l’usage de drogues. Il faut restaurer du collectif autour de tout ça mais la question, c’est : pour quelle utilité ?

EGUS 9 Fabrice PEREZGeorges Lachaze : Ce qui peut être bénéfique à un moment et sur une question peut ne pas l’être du tout sur le temps de travail ou la professionnalisation. La RdR, c’est du sur-mesure, pas du prêt-à-porter, et ces questions se traitent souvent au cas par cas, au feeling. C’est difficile de généraliser.

Laurent Appel : Assumer ses consommations dans un cadre politique par rapport à des revendications réelles comme l’héroïne médicalisée ou le cannabis thérapeutique a un sens réel. Peut-être manque-t-on de collectif pour l’exprimer mais à l’heure du Story Telling, c’est aussi en multipliant les histoires qu’on peut avoir un impact. Il faut qu’on réfléchisse à ça, parce qu’on vit dans une société où l’addition des individualités crée aussi un mouvement. La multiplication des histoires individuelles finit par frapper la société.

Fabrice Olivet : Les expériences individuelles s’inscrivent dans un collectif, elles ont valeur d’exemplarité et c’est par l’identification que les choses vont changer.

Cet article fait partie du dossier Les usagers-salariés du médicosocial.

EGUS 9

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