L’or vert du cannabis

Ces dernières semaines, on a vu pousser des feuilles de weed dans tous les médias. Nouvel album de snoop dogg ? Même pas. Ce sont les récents changements politiques en Uruguay et dans quelques états nord-américains (Washington et Colorado) qui en sont la cause. Comme cela n’a pas pu vous échapper, ces états ont franchi le pas de la légalisation du cannabis. Plus qu’un changement de politique, c’est une petite révolution.L’engouement des médias en témoigne.

Les arguments financiers

D’un seul coup, le sérail médiatique est passé du puritanisme à YouPorn, nous inondant d’articles, de reportages et de sondages, entraînant quantité de déclarations et de débats. La plus remarquée est celle de Barack Obama abordant sa consommation juvénile de cannabis. Nos politiques hexagonaux sont, eux, d’une réserve consternante. Manuel Valls reconnaît avoir peut-être malencontreusement glissé sur un tarpé tel Richard Virenque se piquant « à l’insu de son plein gré » avec une shooteuse d’EPO, et notre ministre de la Santé, Marisol Touraine, sur le plateau du Grand Journal, n’arrive même pas à formuler un début d’argument valable contre un changement de législation.

Le plus surprenant dans cette frénésie est l’intérêt de certains médias financiers. On a vu fleurir des articles dans  La Tribune ou Bilan, des titres généralement éloignés des questions sociétales, et la presse généraliste aborder le sujet dans les rubriques économiques. Pourquoi donc cet intérêt de la part de cette presse financière ? Une théorie pourrait l’expliquer et, par la même, expliquer ces changements législatifs en série.

Dans les épisodes précédents, la guerre à la drogue sévissait. Face aux troupes de l’Empire, une poignée de rebelles a déployé pendant près de quarante ans une politique médicosociale et un argumentaire démontrant la contreproductivité de cette approche répressive. Criminalisation, risques sanitaires, cohérence des actions de prévention et de RdR ou risques liés au trafic clandestin, le discours de ces militants était résolument orienté sur des problématiques de santé publique et sociétales. Les différents modèles de légalisation du cannabis prônés par ces acteurs prenaient déjà en compte l’économie des fonds alloués à la répression, la manne financière générée par cette activité et la diminution du trafic et de ses conséquences.

Le paradoxe bancaire

Mais c’est sur ces arguments financiers que se concentre la majorité des articles en question. Si l’argent n’a pas d’odeur, aujourd’hui en Amérique, il commence à sentir la weed. Un sondage fait apparaître que 58% des Américains sont en faveur d’une légalisation du cannabis, mais que c’est « l’argument fiscal [qui] semble séduire les plus conservateurs ». Des économistes s’emparent du sujet, comme Pierre Kopp qui souligne « le coût élevé des politiques répressives et les recettes potentielles provenant d’une taxation de la marijuana ». Et l’on vante l’initiative du Colorado qui « a vu se transformer une économie souterraine et illégale en un business autorisé, rentable et attractif ».

Ces arguments sont étayés d’estimations les plus diverses quant aux profits. Que ce soit sur une légalisation hypothétique sur l’ensemble des États-Unis qui, selon les économistes, « pourrait représenter entre 45 et 100 milliards de dollars (33 et 74 milliards d’euros) ». ou, selon l’évolution des législations, sur un « marché du cannabis qui pourrait peser 10 milliards de dollars par an d’ici cinq ans aux États-Unis contre environ 2 milliards en 2014 » évoqué par certains.

Et, chose impensable il y a encore quelques mois, on en parle comme d’une valeur boursière. Des termes comme « bulle spéculative » sont utilisés pour expliquer qu’en « 2011, les prix du cannabis se sont effondrés, conduisant à un crash » On scrute les « entreprises liées à l’industrie du cannabis [qui] ont vu leurs actions bondir […] aux États-Unis, au lendemain de l’entrée en vigueur de la vente libre de marijuana dans l’État du Colorado » Et on spécule déjà sur le fait que « cet État a l’opportunité de construire les premières grandes entreprises et les premières grandes marques ». Un hoax déclarant que Marlboro lançait sa marque de pétards a même déjà circulé sur la toile.

Pour autant, ces enjeux financiers se confrontent à un paradoxe de taille : celui des banques. Effectivement, « les professionnels du secteur se voient refuser les services des grandes banques américaines », au motif est que ces établissements « craignent une sanction ultérieure des autorités fédérales, avec amendes à la clé », du au « mille-feuilles législatif aux États-Unis ». Pour résumer, le droit d’un État comme le Colorado s’oppose au droit fédéral régissant l’ensemble des États-Unis. Le Colorado est dans l’illégalité face au droit fédéral américain. C’est pour cette raison que « le procureur général James Cole avait envoyé aux établissements bancaires une circulaire rappelant les peines prévues pour toute participation, directe ou indirecte, au commerce des stupéfiants selon le droit fédéral ». Le plus ridicule est quand même que ces établissements bancaires profitent depuis des décennies de l’argent du trafic en fermant les yeux sur sa provenance, parfois même, facilitant son blanchiment, mais qu’ils deviennent frileux et consciencieux une fois cet argent devenu légal. L’administration fédérale a depuis demandé que cette situation soit réglée pour que ces entreprises cannabiques bénéficient de services bancaires.

asud55 p09 Plante cannabisL’absence du médicosocial

Par ailleurs, quasiment aucun article ne s’interroge sur l’utilisation de ces profits, et notamment leur possible affectation au domaine médicosocial. Seul un article relève le fait que « cette légalisation s’accompagne d’une mesure qui a séduit les électeurs lors d’une nouvelle consultation publique le 5 novembre : une taxe de 15% s’appliquera sur le prix total et devrait rapporter au moins 27,5 M $ (20,3 M €) annuels pour la construction des écoles publiques du Colorado. Une autre taxe de 10% sera consacrée à des campagnes de prévention contre la drogue ».

Ce produit qui jadis menaçait les écoles va donc servir à en construire. Serge Lebigot appréciera…

De toute cette littérature, il ne ressort presque rien sur l’aspect médicosocial de ces nouvelles politiques. Or c’est précisément l’argument sanitaire et social qui a conduit, officiellement, à la guerre à la drogue et, a fortiori, à l’antiprohibitionisme. Si, pour le premier, l’interdiction et l’éradication des drogues sont des moyens de protéger la santé des personnes malgré elles, pour le second, c’est cette clandestinisation qui aggrave les risques sanitaires et la criminalisation des usagers. Et le versant économique d’un changement de politique est, dans l’argumentaire antiprohibitioniste, un moyen de renforcer la prévention, la RdR et la prise en charge médicale des usagers de substances.

C’est, au final, La Tribune qui remet les choses en perspective, l’économiste Pierre Kopp y rappelant qu’il « ne faut pas perdre de vue l’objectif de santé publique, et non de renflouement des caisses de l’État ».

Bien qu’il soit évidemment trop tôt pour avoir des données médicosociales exploitables permettant d’évaluer l’impact de ce nouveau modèle législatif, l’intérêt autour de ces questions semble minime et laisse penser que cinq années de crise économique ont eu plus d’effet sur les politiques des drogues que quarante ans de militantisme. Réjouissons-nous de ce changement, mais restons vigilants.

Commentaires (3)

  • Quelqu’un peut me dire..? Je constate que depuis environ 3,4 ans il n’ y a que du chichon au goût proche de la beuh ( sur Nice en tout cas) a jusqu’à 30% de THC là ou avant il 15% était déja bon. Les prix s’envole 400 euro la savonnette de 100g. Y-a t-il une nouvelle « politique » de la part des pays producteur?
    Quelqu’un aurait-il des infos ?
    Merci
    Paix à tous.
    PS; une pensée pour le créateur de « La route de la soie » lourdement comdamné aux US

    • Pour répondre à ta question, je n’ai pas de renseignements spécifiques au produit que tu décris sur Nice. Comment as-tu eu connaissance des taux de THC du produit en question? Pour autant, les prix dont tu parles sont une réalité sur Paris depuis une bonne dizaine d’années pour le produit de meilleur qualité (l’autre était moitié moins chère).

      Concernant une « politique » des pays producteurs, il n’y a pas non-plus une réponse absolue. Ce qui est sûre c’est que la notion de pays producteur est plus complexe. Il n’y a pas une « politique » officielle d’État (hormis la répression), et il faut différencier ensuite les producteurs (agriculteurs) et les organisations criminelles en charge de la commercialisation (achat, exportation, etc.). Il semble que ce soit les relations entre ces divers protagonistes qui influent sur le prix et la qualité. Comme tout processus commercial, les prix sont régis par l’offre et la demande, auxquels se rajoutent d’autres paramètres dans un contexte d’activités illicites, comme la transformation ou le transport. La part prise par d’autres produits, comme la cocaïne, dans les activités des groupes de trafiquants semble avoir un impact non-négligeable aussi.

      Je te joins le lien vers un article assez intéressant et complet sur la question.
      http://www.mo.be/fr/reportage/maroc-le-premier-producteur-de-cannabis-au-monde

      Merci de participation

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