Qui sommes nous ?

La publication récente des premiers numéros de notre journal sur asud.org renvoie à des interrogations identitaires sur le devenir de notre mouvement. En effet, qui somme-nous ? Des usager de drogues ? Des consommateurs de substances interdites ? Des toxico ? Les patients d’un système de soins. L‘avenir reste opaque et nous sommes inquiets du peu de progrès accomplis par l’auto-support sur le terrain de la citoyenneté.

Qui sommes-nous ?

Cette question était le titre d’une brochure que nous utilisions pour nous présenter aux yeux d’un public, le plus souvent incrédule. A l’époque la réponse paraissait simple, des toxicos qui ne veulent pas mourir du sida, ou plutôt, qui avaient décidé de ne pas disparaître dans le silence et la culpabilité. 20 ans après, non seulement nous ne sommes pas morts, mais le combat que nous avons mené a porté ses fruits au-delà de nos espérances. La méthadone et la buprénorphine sont des outils reconnus (peut-être même les seuls en matière d’héroïne) et les usagers de drogue sont sortis des statistiques du sida en France. Pour autant le nombre de consommateurs ne cesse d’augmenter, tout au moins si l’on se fie aux statistiques d’interpellations au point même que la « banalisation » de l’usage de drogues est une tarte à la crème de la presse à sensation. En effet, la consommation s’est faufilée dans tous les milieux, dans toutes les classes sociales, et touche un volant de génération de plus en plus étendu. Les « djeuns » sont bien plus habiles pour se procurer du matos que nous l’étions au même âge. La caricature raciste du méchant dealer à la sortie des collèges a la vie dure même si dans neuf cas sur dix les méchants dealers ce sont nos gamins. A l’autre bout du spectre, les toxicos ayant cessé de mourir jeunes, ils commencent à embouteiller les maisons de retraites. De nouvelles rubriques vont s’imposer dans ce journal : ménopause et cocaïne, l’opium et ma prostate…Oui , les cassandres anti-drogue voient juste,  prendre des drogues c’est…banal.

Asud basching

Au- delà de l’anecdote, si en 1992 la parution du n°1 d’ASUD fut une anomalie et tout laisse penser que son caractère scandaleux reste d’actualité. Le principe de voir des drogués groupés au sein d’une association agrée par l’État, représentée à la commission des stupéfiants et financée par des fonds publics, est contesté et combattue par des forces que nous avons vues à l’œuvre l’année dernière au cours d’un ASUD basching particulièrement offensif. A cette occasion Madame la Ministre de la Santé a su exprimer publiquement le soutien consenti par l’Etat à notre association depuis 20 ans (lire sa déclaration). Ce partenariat ancien mérite d’être examiné d’un point de vue politique, car si nous sommes plus que jamais sollicités comme représentants des patients – c’est à dire les malades en soins pour des problèmes d’addiction – notre audibilité dans le concert cacophonique de la réforme de la loi reste quelque peu incertaine.

La feuille de vigne du sidaasud-journal-54 Adam et Eve

L’épidémie de sida est heureusement derrière nous, et l’on peut espérer que grâce à la nouvelle génération de traitements combinés qui arrivent sur le marché, l’hépatite C ne représentera bientôt qu’une péripétie due aux mauvaises habitudes des années 80. Fondamentalement, la menace virale, qui sert aujourd’hui encore de justification théorique à la politique de réduction des risques est en passe de disparaître, nous devons nous poser la question de notre identité. La lutte contre le sida est un peu la feuille de vigne de la réduction des risques. Elle sert depuis longtemps à cacher ses parties honteuses mais elle a aussi accouché de principes citoyens venus irriguer toute la question du soin. Un jour viendra où l’on pourra mesurer toutes les avancées citoyennes consécutives de ce désastre sanitaire. Mais pour l’heure les usagers de drogues sont loin d’avoir obtenu leur mariage gay. Ils doivent absolument prolonger le souffle citoyen qui anime le secteur de la santé qui a pour nom démocratie sanitaire.

Vive la démocratie sanitaire

La démocratie sanitaire c’est tout et rien à la fois. Un concept foucaldien révolutionnaire et un attrape bobo pour médecin généraliste en formation continue. La démocratie sanitaire est une nécessité due au nouveau règne de la religion de la santé dirigée par des grands prêtres disposant du droit de vie et de mort. C’est aussi un gimmick qui sert de tartes à la crème dans toutes les conférences. On place l’usager au centre, on fait de la prise en charge globale, jamais on a autant parler des droits du patients et de l’éducation thérapeutique. Cet espace démocratique nouveau fait débat dans nos associations. Nous nous sommes déjà exprimé depuis longtemps sur les limites du report terme à terme des marques de l’addictologie à celles de l’usage de drogues illicites. Pour autant, nous devons investir cet espace pleinement, sans complexe et avec l’idée d’en repousser les limites jusqu’à faire coïncider démocratie sanitaire avec la démocratie tout court.

De grands changements vont être opéré dans le statut légal des drogues ces prochaines années. L’horizon de 2016, est un premier test avec la session extraordinaire sur les stupéfiants organisée à l’assemblée générale de l’ONU. De nouveaux rapports de forces opèrent au niveau international entre les réseaux du changement et les crispations réactionnaires. Dans cette gigantesque partie, la voix de usagers peut être entendue comme celles des véritables victimes de la drogue, les citoyens persécutés depuis 40 ans au nom d’une croisade morale que nous devons dépouiller de ses alibis sanitaires. Mais cette espérance repose sur une nécessaire évolution, pour ne pas dire révolution de la santé publique en matière de drogues. Au-delà de la feuille de vigne sida-hépatites, au delà même de la réduction des risques passe partout, au-delà du gimmick de la démocratie sanitaire, c’est bien de la place du citoyen dans la prise en charge de sa propre santé qu’il s’agit. Nous ne militons pas pour le droit des malades, nous militons pour le droit à rester bien portant. Notre révolution c’est celle de la santé qui suppose d’admettre enfin et sans restriction qu’en matière de drogues c’est la contrainte qui est une maladie. Notre révolution est bien celle du plaisir, mais pas celui de l’hédonisme des années 70, celui du plaisir contrôlé, adapté, informé. Plus que jamais nous savons que la solution de toutes les addictions, se trouvent entre l’abstinence et la dépendance, dans un graal mythique appelé consommation récréative. Cette révolution est en marche du côté du cannabis où le bon sens commence à s’imposer dans la zone pan américaine. Elle a peine à affleurer du côté du soin ou pourtant elle a toute sa place dès que l’on parle des drogues que l’on prend, que l’on ne prend plus, que l’on prend moins ou différemment. Cette révolution nous la ferons parce qu’elle sauve des vies, qu’elle plus juste, et qu’elle est beaucoup beaucoup plus agréable.

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