Evaluation de la campagne de sensibilisation des usagers recevant un traitement par la méthadone (sirop ou gélule) dans le cadre du Plan de Gestion des Risques (risque d’intoxication pédiatrique accidentelle)

Article écrit par Dr Catherine HERBERT (Caen), Dr Thierry JAMAIN (Nancy), Dr Maroussia WILQUIN (Abbeville), Dr Marie-Pierre PETIT (Avignon), Dr Etienne HIEGEL (Metz), Dr Sophie VELASTEGUI (Clermont), Dr Philippe MASSON (Pont-à-Mousson), Dr Olivier POUCLET (Thionville), Dr Christelle PEYBERNARD (Arpajon), Dr Antoine GERARD (Le Puy-en-Velay), Dr Dominique JOURDAIN DE MUIZON (Chauny), Dr Béatrice CHERRIH (Charleville), Dr Sylvie BALTEAU (Metz), Dr Marie-Christine BLANQUART (Armentières), Dr Gérard FUZET (Le Puy-en-Velay), Dr Etienne KAMMERER (Mulhouse)
Source : http://www.rvh-synergie.org/images/stories/pdf/Evaluation_sensi_metha.pdf

A la demande des services de l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament), en charge du suivi du PGR (Plan de Gestion des Risques) qui accompagne la mise sur le marché des gélules de méthadone, la firme qui commercialise ce médicament a mis en place en juin 2012 une étude d’impact concernant la remise des lettres-patients mettant en garde les usagers parents contre le risque d’intoxication pédiatrique. En effet, depuis la mise sur le marché de la méthadone sous forme de gélules en avril 2008, les bilans réalisés périodiquement montrent un risque d’intoxication pédiatrique qui, compte-tenu du potentiel létal de la méthadone (1 mg/kg pour des sujets naïfs ou peu dépendants), doit mobiliser tous les intervenants (médecins, pharmaciens, personnel des services spécialisés) et, en premier lieu, les patients-parents ayant des enfants à leur domicile.

Méthode

En juin 2012, une centaine de médecins ont reçu un mail leur demandant de participer (bénévolement) à cette étude d’impact. Compte-tenu de l’enjeu et de notre sensibilité sur le sujet, nous sommes 24 à avoir répondu souhaiter participer à cette étude et avons demandé un nombre de questionnaires correspondant à nos possibilités. Dès ce moment, nous avons reçu ces questionnaires de la firme, accompagnés d’une enveloppe avec l’adresse préinscrite pour le retour. Nous sommes 16 à avoir effectivement retourné les questionnaires remplis, répartis sur toute la France, avec une surreprésentation dans le Nord et l’Est. Cent-soixante-trois questionnaires ont pu être ainsi traités. Les questionnaires devaient être administrés à des patients ayant des enfants au foyer (plus ou moins régulièrement) et emportant leur traitement à domicile. Le traitement des données a été confié à la société Cenbiotech.

Population étudiée

La population à laquelle a été soumise cette enquête est majoritairement masculine, mais avec une surreprésentation inhabituelle de femmes (40 %). Cette part est généralement de 25 % lorsqu’on étudie une population d’usagers de drogues avec ou sans TSO. Il est probable que la problématique ‘enfant’ soit à l’origine de cette surreprésentation.

Sexe

N

%

Masculin

96

59.6

Féminin

65

40.4

Total

161

100.0

Données manquantes : 2

Les patients interrogés dans plus de la moitié des cas (54,7 %) ont entre 30 et 40 ans 23 % ont moins de 30 ans et 22,4 % ont plus de 40 ans

L’âge moyen de la population est de 34,6 ans avec des extrêmes à 20 et 57 ans.

Concernant la forme de méthadone prescrite, il s’agit de gélules dans 54,7 % des cas

Méthadone prescrite

N

%

Sirop

72

44.7

Gélule

88

54.7

Sirop et Gélule

1

0.6

Total

161

100.0

Données manquantes : 2

La posologie moyenne est de 59,3 mg/jour avec un minimum de 2 mg/jour et un maximum de 180 mg/jour. La médiane se situe à 60 mg/jour. Dans plus de la moitié des cas (52 %), il s’agit de parents ayant 1 seul enfant au foyer.

Evaluation_sensi_metha_Picture2

L’âge moyen des enfants les plus jeunes pour ceux ayant 1 enfant ou plus est de 5,5 ans. C’est une population de patients en majorité suivis en centre de soins ou services hospitaliers. En effet, seuls 3 médecins ayant répondu à cette enquête exercent en ville.

Résultats

Après avoir lu la lettre remise par le médecin, à la question : « Cette lette a-t’elle attiré votre attention ? », la réponse est : Oui à 93,1 %, Non à 5,6 %, Ne sait pas à 1,3 %

Concernant le message sur les différents risques, il est jugé comme clair par la quasi-totalité des patients interrogés. Seul, le message quant à la nécessité de ne pas prendre son traitement devant un enfant ne fait l’unanimité. Toutefois, 92,6 % des patients le juge clair.

Clarté du message dans la lettre sur les risques DM Non Oui Ne sait pas Total
N N % N % N % N %
Clarté du message concernant le risque mortel en cas d’ingestion par un enfant 1 0 0 162 100.0 0 0 163 100.0
Clarté du message quant au risque de déconditionner à l’avance des gélules de méthadone ou d’ouvrir le flacon à l’avance 1 0 0 162 100.0 0 0 163 100.0
Clarté du message quant à la nécessité de ne pas prendre son traitement devant un enfant 1 7 4.3 150 92.6 5 3.1 163 100.0
Clarté du message quant au risque mortel de laisser son traitement méthadone à la portée d’un enfant 1 1 0.6 161 99.4 0 0 163 100.0

DM = Données manquantes

Par ailleurs, 149 patients sur 160 (93,1 %) déclarent avoir déjà eu une information sur le risque d’ingestion accidentelle par un enfant et ses conséquences. Dans plus de la moitié des cas, c’est le médecin prescripteur habituel qui a déjà informé le patient et, assez souvent, dans la cadre du centre de soins (en cohérence avec le lieu d’exercice principal des médecins investigateurs).

Evaluation_sensi_metha_Picture3

Provenance d’une information préalable sur le risque d’intoxication

Autres résultats :

Augmentation de la connaissance du patient sur le risque d’ingestion accidentelle par un enfant et ses conséquences après avoir lu la lettre : Oui, pour 71 patients sur 161

Une majorité des patients (55,3 %) déclare que leur connaissance des risques n’a pas été augmentée suite à la lecture de la lettre.

Modification du comportement à domicile et précautions prises pour que l’enfant (ou les enfants) n’ai(en)t jamais accès au traitement après avoir lu la lettre : Oui, pour une courte majorité (50,3 %)

Apport pour le patient de cette lettre d’information :

Apport pour le patient de cette lettre d’information N %
N’a rien changé à votre perception (vous en étiez déjà convaincu) 101 65.2
Vous a sensibilisé plus que vous ne l’étiez déjà 50 32.3
Vous a sensibilisé alors que vous ne l’étiez pas ou peu 3 1.9
Vous a fait prendre conscience d’un risque que vous ignoriez complètement 1 0.6
Total 155 100.0

Données manquantes : 8

Si une majorité de patients déclare que cette lettre n’a rien changé à leur perception (déjà convaincus), presqu’un tiers a déclaré avoir été sensibilisé plus qu’il ne l’était déjà. Un seul patient reconnait qu’il ignorait complètement le risque et que cette lettre lui en a fait prendre conscience. En effectuant un croisement des données recueillies, il n’y pas de différence significative de perception du risque et des modifications que la lettre a occasionné, selon : l’âge, le sexe du parent interrogé, ou la forme prescrite.

Conclusion

Cette étude d’impact, réalisée quelques mois après la mise en place de nouvelles mesures de minimisation des risques décidées en juillet 2011, conjointement par l’ANSM et la firme qui commercialise la méthadone et mises en œuvre dès octobre 2011, semble confirmer l’intérêt des lettres remises aux patients-parents ayant des enfants à leur domicile.

Une majorité de ces patients déclare avoir déjà eu une information sur les risques d’intoxication pédiatrique, en lien certainement avec le fait que depuis avril 2008, ceux qui reçoivent un traitement par gélules de méthadone recevaient déjà une lettre destinée à les mettre en garde contre ces risques. En juillet 2011, il a été décidé d’étendre cette remise de lettre aux patients-parents sous sirop de méthadone devant le constat d’un nombre d’intoxications pédiatriques élevé (9, 6 et 5 lors des 3 premières années de traitement), avec l’ajout d’un visuel sur la lettre

Méthadone enfant

Malgré la déclaration d’une connaissance du risque d’intoxication pédiatrique, la moitié des patients déclare que cette information va changer leur comportement à domicile afin de faire en sorte que l’enfant (ou les enfants) n’ai(ent) jamais accès au traitement. La lettre retient l’attention des patients dans plus de 90 % des cas et les messages sont jugés clairs sur tous les aspects liés aux risques d’intoxication pédiatrique (92,6 à 100 % selon les items).

Il nous parait donc nécessaire de continuer, sans relâche, à diffuser les lettres aux patients, élaborées conjointement par la firme qui commercialise la méthadone et les services de l’ANSM, tout en étant conscients de la difficulté de réduire à 0 le nombre d’intoxications pédiatriques.

Discussion

Depuis avril 2008, cette campagne a permis certainement de sensibiliser beaucoup de patients-parents à conduire leurs enfants aux urgences, même en cas de simple suspicion d’absorption de méthadone, ce qui est une bonne chose.

Effectivement, un grand nombre de ces intoxications pédiatriques se traduit fort heureusement par un score d’intoxication nulle ou mineur, laissant penser que l’enfant n’a pas réellement absorbé le contenu du flacon (ou réellement absorbé la gélule). C’est un effet positif des campagnes d’information qui ‘affolent’ un peu les parents.

D’ailleurs, le bilan des intoxications pédiatriques montre une absorption moyenne de 15 mg pour des enfants de 2 ans (valeur médiane) dans les cas sirop et 30 mg pour les cas gélule. Il nous parait évident qu’il ne peut s’agir de doses réellement ingérées mais en réalité non ingérées dans de nombreux cas (peut-être partiellement ou pas du tout), sans quoi le nombre d’intoxications sévères, voire de décès, serait considérablement plus élevé. Ce bilan est disponible sur le site de l’ANSM à l’adresse : http://www.centres-antipoison.net/CCTV/Rapport CCTV Methadone Pediatrie VF Octobre 2012.pdf.

Evaluation_sensi_metha_Picture7

Tableau de synthèse du bilan à 4 ans

Notons également dans ce rapport que, dans la majorité des cas d’intoxications pédiatriques telles qu’elles sont notifiées par les services de toxicovigilance, les flacons ont été ouverts à l’avance ou les gélules déconditionnées du blister sécurisé. Dans ces conditions, il est clair qu’aucun dispositif ‘child-proof’, comme les bouchons des flacons de méthadone ou les blisters sécurisés, ne présente une quelconque efficacité.

Pour les cas où il est fait état de jeunes enfants (moins de 3 ans) ayant ouvert eux-mêmes les flacons de méthadone, même s’ils ont été notifiés ainsi sur la base de la déclaration du ou des parents, nous nous permettons de rester dubitatifs !

Evaluation_sensi_metha_Picture8En tant que cliniciens proches des patients, nous connaissons la difficulté à ouvrir les flacons de méthadone. Nous la constatons quotidiennement quand des patients adultes ou des infirmiers évoquent cette difficulté d’ouverture. Par contre, nous comprenons parfaitement qu’un parent, ‘coupable’ d’une négligence en ayant laissé sa méthadone à portée d’un de ses enfants, puisse ‘se disculper’ (vis-à-vis de lui-même ou de l’autre parent) et puisse déclarer donc au médecin qui va notifier le cas d’intoxication pédiatrique que c’est son enfant qui aurait ouvert lui-même le flacon !

Quoi qu’il en soit, cela pose la question de savoir pourquoi un flacon de méthadone (ouvert à l’avance ou non) se retrouve à la portée d’un enfant de 3 ans. Nous soutenons l’idée de la firme d’aller plus loin dans la minimisation de ce risque, projet qui a été soumis aux autorités de santé dès la mise sur le marché des gélules de méthadone en avril 2008.

En effet, elle a proposé l’affichage des visuels dans les salles d’attente des CSAPA, CAARUD et dans tous les lieux de passage obligé des patients sous méthadone. Ceci permet d’agir plus efficacement encore sur le risque d’intoxication pédiatrique en rendant le message permanent, répété et visible et en sensibilisant les soignants comme les patients à ce risque, de manière plus efficace. L’ANSM a rendu un avis favorable à cet affichage en septembre 2013. Il se met donc en place progressivement à l’heure où nous terminons cet article

Par ailleurs, si l’on exclut du bilan de toxicovigilance à 4 ans (avril 2008 à avril 2012) les cas d’intoxication jugée nulle ou mineur (38 cas sur 55, laissant penser que le contenu du flacon ou la gélule n’a pas été réellement – ou totalement – ingéré), les cas graves sont au nombre de 3 (1 intoxication grave et 2 décès). Dans 1 cas de décès, il s’agit d’une gélule belge (préparation magistrale, pas de blister sécurisé) et il y un cas avec le sirop. Il y a 12 cas d’intoxication modérée avec 2 fois une gélule belge et une fois du sirop belge.

Il ne semble pas y avoir d’évolution significative du nombre de cas rapportés chaque année, notamment compte-tenu du fait que la population exposée à la méthadone évolue de façon constante depuis plusieurs années. Si l’on rapporte le nombre d’intoxication grave et mortelle (3), ou modérée à mortelle (15) à la population exposée (près de 50 000 patients) et surtout au nombre de flacons et de gélules que cela représente chaque année (en 2012, près de 20 millions de flacons unidose et près de 19 millions de gélules – données fournies par la firme), le risque, s’il est réel, nous parait plutôt faible. Surtout si l’on tient compte de certains contextes difficiles (sociaux, psychiatriques…) dans lesquels se trouvent beaucoup de nos patients. Les cas récents (comme les deux enfants de Nancy qui ne sont pas dans le bilan) et qui ont défrayé la chronique fin 2012, montrent en effet la nécessité d’appréhender les contextes cliniques et sociaux difficiles, facteurs de risque supplémentaire et intervenant bien au-delà de considérations pharmaceutiques ou de conditionnement. La seule comptabilité des cas, même si elle est nécessaire dans un dispositif de vigilance, mais sans prendre en compte la complexité des prises en soin et des situations ne peut suffire. Elle peut, par contre, provoquer des réactions émotionnelles disproportionnées.

Enfin, les cliniciens doivent eux-aussi adapter leurs prises en soin. Le risque Zéro n’existe pas, surtout dans une population d’usagers dont la particularité est d’avoir des pratiques et des conduites à risque et chez lesquels on va prescrire (souvent par nécessité vitale) un traitement opiacé comme la méthadone. Mais, les traitements de substitution opiacée s’inscrivent résolument dans une approche plus globale de réduction des risques ou des dommages. Donc, cette réduction des risques ne doit pas se limiter au risque de mortalité, de séroconversion ou de désocialisation. Elle doit aussi concerner les dommages collatéraux que sont les ingestions accidentelles de méthadone (comme de tout autre médicament) par un enfant.

  • Nous incitons donc tous les médecins à participer activement à la diffusion des lettres-patients, mesure inscrite dans le plan de gestion des risques qui accompagne la commercialisation de la méthadone, en évaluant les situations à risques (présences d’enfants au domicile, conditions de stockage, pratiques de déconditionnement…)
  • Les conditions de prescription et de délivrance doivent être adaptées aux possibilités de gestion des patients d’un stock pouvant être parfois de plusieurs dizaines d’unités de prise.
  • Les prises en soin psycho-sociales doivent être mises en œuvre, aussi pour sécuriser les traitements !
Conflit d’intérêt : les médecins ayant participé à l’enquête et les rédacteurs n’ont perçu aucune rémunération de la part du titulaire de l’AMM des spécialités à base de méthadone (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris), ni de la firme qui commercialise ces spécialités (Bouchara-Recordati). Les auteurs n’ont perçu aucune rémunération pour la rédaction de cet article.

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