Le filtrage et la dissolution lors de l’injection

Cet article présente de façon claire et volontairement descriptive, les outils de RdR utilisés dans la plupart des CAARUD dans le contexte de l’injection.

Caractéristiques des usagers rencontrés pour l’année 2011

La pratique de l’injection de substances psycho-actives représente une part importante de la population fréquentant notre dispositif. Au niveau des substances injectées prises le plus fréquemment, nous retrouvons : l’héroïne, la cocaïne, la buprénorphine haut dosage et le Skenan®.

Parmi les usagers rencontrés, consommateurs dans le cadre hors festif :

  • 72% des personnes accompagnées ont un traitement de substitution aux opiacés (TSO) pris en première intention.
  • Les 28 % des usagers restant prennent de l’héroïne ou un autre produit en première intention et peuvent palier l’absence d’opiacés illicites en utilisant des TSO.

Parmi les 72 % des usagers prenant un TSO en première intention :

  • 15% des personnes se le procurent au marché noir.
  • 57% par un médecin sous forme de prescription.

Sur les 57% d’usagers ayant un TSO prescrit par un médecin :

  • 38% des personnes sont sous Subutex® et 8% sous Skenan®, traitements qui sont injectés.
  • 11% des usagers rencontrés sont sous méthadone et prennent un produit injecté en seconde intention.

 

File active par produits

 

La pratique de l’injection

Parmi les pratiques de consommation, l’injection demeure la plus à risques. Nous pouvons identifier :

  • Les risques mécaniques : altération du capital veineux, thrombose, embolie… en lien avec la qualité du produit ou le type de produit employé (Subutex® par ex.), la qualité de la dissolution ou du filtrage du produit, le choix du site d’injection…
  • Les risques infectieux : infections localisées, septicémie, transmission de l’hépatite C, du VIH… en lien avec la réutilisation ou le partage de seringues, les différentes manipulations…
  • Les risques d’overdose en lien avec l’association de produits, la qualité du produit, la fréquence des injections ou la tolérance individuelle.

La préparation de l’injection

La préparation de l’injection comprend 6 étapes principales dont l’ordre peut varier selon les personnes.

  • L’addition du produit dans la Stéricup®.
  • L’addition d’un acidifiant au produit pour l’héroïne brune et le crack.
  • L’addition d’eau pour préparation injectable.
  • Le temps de chauffage de la solution (héroïne brune, cocaïne...)
  • Le temps d’agitation.
  • Le temps de filtrage.

Nous intéresse plus particulièrement ici le temps de dissolution du produit par l’ajout d’un acidifiant et le temps de filtrage des particules de la solution.

La dissolution : l’acide citrique et ascorbique

Les acides ajoutés à la solution injectée représentent une étape importante dans le processus de préparation. Ils permettent de solubiliser le produit, sans dénaturer la substance active, et de prévenir ainsi les risques d’embolie en lien avec la présence de particules.

Les acidifiants fournis dans les centres de réduction des risques sont l’acide citrique conditionné en sachet de 100 mg et l’acide ascorbique (vitamine C) présenté en sachet de 50 mg. Ils s’utilisent pour l’héroïne brune et le crack.

Sachets de 100 mg d'acide citrique Sachets de 50 mg d'acide ascorbique
Sachets de 100 mg d’acide citrique. Sachets de 50 mg d’acide ascorbique

 Ils sont tous les deux stériles et permettent de prévenir l’utilisation de vinaigre, de jus de citron liquide potentiellement contaminant notamment au regard des risques de candidoses oculaires ou d’endocardites par des champignons et des bactéries.

Dans la dissolution avec un acidifiant, deux facteurs importants rentrent en ligne de compte : le pH et la concentration de la solution.

Sur des recherches effectuées en laboratoire lors d’une étude écossaise avec de l’héroïne pure, le pH recherché pour dissoudre 99,9 % du produit est de 4. Donc abaisser le pH plus bas ne présente pas d’intérêt pour l’augmentation de la dissolution et peut accroître le risque d’irritation voire de brûlure des tissus et des parois veineuses.

Quant aux recherches menées à propos de la tonicité lors de l’injection, la pression osmotique du produit pouvant être injectée dans le sang doit être comprise entre 300 et 500 mOsm/l. En cas d’hypertonicité ou d’hypotonicité, il y a un risque d’altération des tissus et des cellules voire de destruction de ceux-ci. L’acide citrique présente l’avantage d’atteindre un pH efficient pour des quantités moindres que l’acide ascorbique, ce qui éloigne le risque d’hypertonie plus sûrement. Cependant l’utilisation de l’acide ascorbique est plus souple d’usage pour un contrôle des quantités afin d’atteindre le pH souhaité et évite plus facilement le risque d’acidification excessive.

Pointe de couteau
Ajout d’un équivalent d’une pointe de couteau dans la solution.

En pratique, en prenant en compte que certaines molécules de coupage peuvent déjà acidifier le produit injecté, nous recommandons aux usagers d’adjoindre à la solution une « pointe de couteau » seulement et d’injecter lentement afin de prévenir tout risque de douleur en lien avec l’administration d’une solution concentrée ou de prévenir tout risque d’irritation en lien avec un pH bas. Les risques pouvant être réduit naturellement par la nature circulante du milieu sanguin.

Le filtrage : emploi du Stérifilt®

Un filtrage efficace vise à prévenir les risques de « poussières », particules insolubles pouvant occasionner des thrombus quand les particules sont de trop grosses tailles tel que l’amidon de maïs, excipient du Subutex ou des granulomes lorsque les produits de coupage se recombinent entre eux. Un thrombus ou un granulome peuvent se bloquer dans la lumière des capillaires sanguins dont le diamètre est compris entre 5 à 8 microns.

Microfibres de coton hydrophile
Microfibres de coton hydrophile.

Nous observons couramment chez les usagers l’utilisation de filtres de fortunes comme l’emploi de filtres à cigarettes voire de ouate de cellulose pour empêcher notamment le blocage de l’aiguille. Si le premier réduit considérablement le nombre de particules et retient en grande partie celles de grosse taille, le second a un pouvoir filtrant quasi nul et majore les risques en ajoutant des microfibres dans la solution.

Afin de réduire les risques, le filtre le plus diffusé au sein des CAARUD est le Stérifilt® produit par l’association Apothicom. Il s’agit d’un filtre stérile en polypropylène qui s’adapte sur l’aiguille de la seringue conçu pour éliminer les particules de plus de 10 microns.

Stérifilt seringue
Le Stérifilt est stérile et à usage unique. Sa membrane est non absorbante et n’ajoute pas d’éléments toxiques dans la solution. Il prévient le risque de réutilisation du coton afin de 18 récupérer le produit retenu après une première injection.

Comme nous pouvons le voir sur le graphique ci-dessous lors de l’utilisation de la buprénorphine filtrée ou non au moyen du stérifilt, la filtration réduit considérablement la distribution des particules en taille et en nombre.

 

Graphique efficacité stérifilt

 

Lors de l’étude réalisée par le gouvernement écossais, la pharmacopée anglaise met en avant, pour les solutions de moins de 100 ml destinées à l’injection pour prévenir le risque de granulomes, une limite de :

  • 6 000 particules de taille égale ou sup. à 10 microns
  • 600 particules de taille égale ou sup. à 25 microns.
Injection de 0,5 ml d’héroïne Nbre de particules égale ou sup. à 10 microns (limite de 300 particules) Nbre de particules égale ou sup. à 25 microns (limite de 30 particules)
 Stérifilt 289 13

Appliquée à une injection de 0,5 ml d’héroïne et avec l’utilisation du stérifilt, il est possible de constater que le nombre de particules, selon leur taille, présentes dans la solution injectée reste en dessous des limites acceptables.

filtrage stérifilt micro-organisme

En ce qui concerne la réduction du risque infectieux, l’utilisation du stérifilt présente un rôle peu important vis à vis des bactéries de petite taille au regard de la taille des pores de la membrane filtrante. Cependant nous pouvons remarquer son intérêt pour une diminution du nombre de micro organismes de plus grande taille comme les champignons.

Le stérifilt présente donc un moyen efficace de prévenir les complications thrombo- emboliques en lien avec la présence de particules insolubles présent dans les produits de coupage ou excipients médicamenteux.

De plus il présente l’avantage de retenir beaucoup moins de produit actif au regard du filtre proposé dans les Kit+ ou Stéribox disponibles en pharmacie (1 à 3 % contre 6 à 10 %). Argument qui peut permettre aux usagers d’adopter plus facilement ce système de filtrage. Actuellement un nouveau filtre est en cours d’expérimentation dans les dispositifs de réduction des risques. Le filtre toupie possède une membrane filtrante ayant des pores de 0,45 microns capable de filtrer les micro organismes de très petite taille écartant ainsi plus efficacement les risques d’infections.

Filtre toupie seringue
Le filtre toupie prévient le risque d’abîmer l’aiguille car il s’utilise sur des seringues démontables.Il limite les risques de contamination car la membrane n’est pas en contact direct avec les doigts.

Conclusion

L’acidification et le filtrage, comme nous avons pu le voir, représentent des étapes importantes de la préparation de l’injection. Elles permettent de réduire les risques thrombo-emboliques de la solution injectée en lien avec la taille et le nombre de particules ainsi que de minimiser les risques infectieux.

Si la plupart des produits (héroïne blanche, cocaïne…) se dissolvent dans l’eau, une petite quantité d’acide est nécessaire, plus particulièrement, pour dissoudre l’héroïne brune et le crack. Le filtrage est important tant au regard de la variété des produits de coupages employés au niveau des drogues illicites qu’au niveau des excipients employés pour les médicaments.

Comme nous l’avons vu au niveau des usagers fréquentant notre CAARUD, il n’est pas rare que les personnes utilisent leur TSO de façon alternative lorsque le geste et le rituel de l’injection sont trop prégnants par exemple (injection de buprénorphine, Skenan®) ou bien qu’ils adjoignent à leur traitement une consommation d’un autre produit.

A noter que la majorité des TSO utilisés par les usagers rentrent dans le cadre d’une prescription médicale. Loin de vouloir stigmatiser les usagers autour de leurs pratiques, si les actions de réduction des risques représentent un enjeu important au sein des CAARUD, elles sont toutes aussi importantes auprès des autres structures CSAPA, médecins de ville…pouvant accompagner les personnes ; ceci pour des raisons pragmatiques afin de réduire les dommages mais également dans le but d’établir un dialogue dépassant tout clivage entre soins et réduction des risques.

Liens :

  • www.scotland.gov.uk/2008/03 : Safety, Risks and Outcomes from the Use of Injecting Paraphernalia.
  • www.apothicom.org : Steriflt as an additional harm reduction tool for injecting drug users : fewer particles for fewer complications.

Écrit par Céline ROBLET, Didier REGIS, CAARUD Dijon (21)

 

Commentaires (6)

  • tres peu connu, c est triste! on voit là l intérêt porté aux consomnateurs… Dépendant, consomnateurs par dépendance, bien souvent par erreur de jeunesse! Ce serait bien d en proposer dans les comptoirs d échange ou du moins d en parler.

  • Personnellement injecteur de skenan depuis plus de 5 ans (2x350mg/j) je n’ai jamais réussi à filtrer mon skenan avec les toupies à moins d’utiliser des seringues de 1ml ( alors que j’utilise des seringues de 5ml) sur celles que j’utilise ça bouche dès le début, quelqu’un aurait-il une technique à me proposer, car j’ai bien conscience que le contenu que je m’envole est très blanc et donc plein d’impuretés….
    Par avance merci à qui saura m’aider

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