Idées reçues : La découverte de la méthadone par les nazis !

Les premières expérimentations avec la méthadone ont été menées en France dès les années 1970. Sa commercialisation en 1995, dans un cadre plus large, est intervenue dans un climat de méfiance. Ce climat s’est depuis lors adouci, malgré toujours quelques pesanteurs et grandes peurs autour du médicament lui-même, héritages de plusieurs décennies d’idéologie anti-substitution et pro-abstinence et de combats idéologiques qui les ont accompagnées. Pourtant, le rapport bénéfices-risques de ce médicament paraît scientifiquement indiscutable.

Et, de ce fait, comme le soulignait notre ami Stéphane Robinet dans le Flyer 49, progressivement, un nombre croissant de patients (50 000 en 2012) a bénéficié d’un traitement de substitution par méthadone. Le traitement s’est en quelque sorte banalisé ou, tout du moins, a fini par être dé-stigmatisé.

Cependant, lorsque l’on s’interroge sur la composition, les effets, ou les origines de la méthadone, force est de constater que certaines idées reçues persistent. A titre d’exemple, il n’est pas rare que la découverte de la méthadone soit associée à l’Allemagne nazie :

  • La méthadone aurait été employé en Allemagne pendant la 2ème guerre mondiale pour faire face à un manque d’opiacés ;
  • Elle aurait été surnommée Dolophine ou Adolphine en référence à Adolph Hitler.

L’encyclopédie en ligne Wikipédia, même si elle a corrigé le tir depuis, a pendant longtemps affiché cette information sur la page consacrée à la méthadone.

Sur le site de la MILDT, l’information selon laquelle, la méthadone aurait été synthétisée pendant la seconde guerre mondiale est toujours présente.

 

Méthadone MILDT

 

Or, lorsqu’on se plonge quelques décennies en arrière, on peut s’apercevoir que ces affirmations ne sont pas exactes et qu’il s’agit plutôt de « légendes urbaines » alimentées soit par des détracteurs, soit par des reprises de fausses informations répétées sans aucune vérification.

La méthadone – une molécule découverte il y a plus de 70 ans

Dans les années 1880, en parallèle au développement de la chimie, se créé en Allemagne un contexte de recherche accrue d’antipyrétiques et d’antalgiques : commercialisation de l’Antipyrin® en 1884 ; Pyramidon® en 1897 et Novalgin® en 1921.

Par la suite, la recherche de molécules possédant des propriétés antalgiques et anti-spasmodiques se poursuit et en 1937, deux chimistes de la firme allemande Hoescht, Max Eisleb et Gustav Schaumann, découvrent la péthidine. Quelques temps plus tard, en 1938, un dérivé de la péthidine est synthétisé par deux chercheurs de l’IG Farbenindustrie : Max Bockmühl et Gustav Ehrhart. La molécule est brevetée sous le nom VA 10820.

Les premières expérimentations seront menées en 1942, le VA 10820 prenant le nom de code Amidon®. Son utilisation durant la 2ème guerre ne dépassera pas le cadre expérimental : en quantité insuffisante, la péthidine lui sera préférée car mieux connue et plus accessible.

Après la seconde guerre mondiale, les forces alliées récupérèrent l’ensemble des brevets détenus par la firme IG Farbenindustrie. Les données issues de la recherche seront dans le même temps collectées par le Département Américain de Renseignement Commercial (U.S. Department of Commerce Intelligence).

C’est uniquement à partir de 1947 que l’Amidon® prendra le nom de méthadone, attribué par le Conseil de la Pharmacie et de la chimie de l’Association Médicale Américaine (Council on Pharmacy and Chemistry of the American Medical Association). C’est également cette même année, que la firme Lilly, fera l’acquisition des droits de la méthadone pour 1$ et commercialisera une spécialité sous le nom de Dolophin®.

A la suite d’expérimentations en 1960, le comité des narcotiques du conseil de recherche médicale (Narcotics Committee of the Health Research Council) de New York mandate Vincent Dole pour effectuer des recherches sur la prise en soin de la dépendance à l’héroïne.

L’étude, menée conjointement avec Marie Nyswander et Marie-Jeanne Kreek, montra que la méthadone à la posologie de 80-120 mg/j permet, contrairement à la morphine utilisée jusqu’alors, d’empêcher de ressentir le manque en héroïne, d’améliorer l’état de santé global tout en permettant une reconstruction sociale de l’usager dépendant aux opiacés.1

L’idée (fausse) selon laquelle la méthadone aurait été appelée Dolophin®/Adolphin en référence à Adolph Hitler, apparaitra bien plus tard. Dans les années 1970, cette propagande sera employée dans les rues de New York par les détracteurs de la méthadone dans le but de la discréditer en associant l’Allemagne nazie2 et ses horreurs à une modalité de traitement à laquelle ils s’opposaient. En France, dans les années 80-90, cette même allégation faisait partie de la doxa anti-méthadone, notamment dans une partie du milieu spécialisé de l’époque. Tous les intervenants en toxicomanie français ont entendu cette affirmation souvent exprimée par des orateurs qui eux-mêmes l’avait entendu dans les propos ou lu dans les textes d’un autre. Depuis, plusieurs articles ont fait une mise au point sur le sujet, mais comme toute idée reçue, celle-ci a la vie dure, très dure !

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1 Dole VP, Nyswander MA. Medical treatment for diacetylmorphine (heroin) addiction: a clinical trial with methadone hydrochloride. JAMA. 1965;193(8):646-650

2 Kleber HD. Methadone: the drug, the treatment, the controversy. In: Musto DF, ed. One Hundred Years of Heroin. Westport, CT: Auburn House; 2002:149-158.

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