Histoire de la Méthadone

Ecrit par Andrew Preston(1) et extrait du magazine JUICE(2)

Les mythes concernant la méthadone sont nombreux. Cette première partie de notre histoire de la méthadone en détruira quelques uns parmi ceux qui sont considérés comme les plus vénérables.

Que savez-vous sur l’origine du produit que vous consommez tous les jours ? Comme la plupart d’entre nous, deux faits vous ont probablement frappés :

  1. La méthadone aurait été découverte par les allemands dans un désespérant effort de guerre pour suppléer au manque d’opium dont l’approvisionnement était interrompu par l’offensive alliée.
  2. La première appellation de la méthadone aurait été la « Dolophine(3) » en souvenir de « Adolph » (Hitler). 

Les deux sont faux.

Le rôle de Max et Gustave…

La préhistoire de la méthadone débuta avec son ancêtre chimique : la péthidine (en France le Dolosal®). Créée en 1937 par deux scientifiques allemands : Max Eisleb et Gustav Schaumann, la péthidine permit de soulager rapidement les douleurs liées à l’accouchement chez des milliers de femmes. Ses deux créateurs travaillaient pour le conglomérat chimique allemand I.G. FarbenIndustrie dont les laboratoires mirent également au point le procédé pour fabriquer de l’héroïne à partir de l’opium il y a un peu de 100 ans. L’usine de la compagnie étant située à Höchst-am-Main, la péthidine fut baptisée du numéro de série : Höchst 8909. Plus tard elle fut appelée Dolantin®.

Pratiquement depuis que la dépendance est connue, le St Graal des chimistes a toujours été la recherche d’une drogue analgésique non addictive. En d’autres termes une drogue supprimant la douleur  mais ne produisant aucun des effets agréables dont certains ne veulent ensuite plus se passer.  Ils crurent avoir réussi avec la péthidine mais, comme avec l’héroïne il y a un siècle et avec la buprénorphine (Temgesic®, Subutex®) actuellement, douleur et plaisir ne se laissent pas dissocier si facilement et la recherche continue toujours.

Des collègues de Eisleb et Schaumann, les dr Max Bockmühl et Gustav Ehrart continuèrent à tripoter la structure moléculaire du principe actif du Dolantin® , espérant créer un analgésique suffisamment différent de la morphine afin de proposer une alternative aux opiacés dont la prescription avait très mauvaise réputation dans l’Allemagne nazie.

En 1938, parmi leurs 300 créations, une constellation d’atomes de carbone, d’hydrogène, de nitrogène, d’oxygène et de chlorine devint une molécule que nous connaissons sous le nom de méthadone.

L’œuvre de Max et de Gustav fut enregistrée sous le label « Höchst 10820 » et plus tard fut baptisée Polamidon®.

Oublié dans un placard

Les chercheurs de Höchst firent suffisamment de recherches pour démontrer les qualités analgésiques de la méthadone. Pour ne pas se faire déposséder, le 25 septembre 1941, Max Bockmühl et Gustav Ehrart remplirent un formulaire afin de breveter leur découverte. Après ça, ils remirent leur produit aux militaires sous le nom de code « Amidon » pour une série de tests plus vastes.

Peut-être les militaires utilisèrent-ils des doses trop fortes entraînant trop d’effets secondaires et cela les dissuada de continuer l’utilisation de la méthadone comme anti-douleur ? Peut-être les conditions de la guerre et le contexte d’après-guerre empêchèrent-ils toute recherche supplémentaire? En tout cas, quelle qu’en soit la raison, aucune tentative d’importance ne fut faite pour lancer une production commerciale de « Höchst 10820 » durant la guerre et les recherches pour trouver de nouveaux médicaments analgésiques continuèrent.

Les accords signés à la fin de la guerre obligèrent l’ Allemagne à remettre tous ses brevets, découvertes et marques déposées aux alliés. Le pays fut partagé par les vainqueurs ; la société Höchst se trouvait dans le secteur sous contrôle américain. Les autorités US dépêchèrent  une équipe de quatre personnes – Kliederer, Rice, Conquest et Williams – afin d’évaluer les travaux des chercheurs de Höchst durant la guerre. En 1945, leur rapport fut publié par le US Department of Commerce.

Ce fut la première publication documentant les effets de la méthadone. Cette drogue, bien que chimiquement différente, avait des effets analgésiques proches de la morphine. Comme les américains furent les premiers à publier ces informations, quelques uns crurent que les allemands ne connaissaient pas les effets de la drogue. En réalité les américains avaient simplement rapporté ce que les allemands leur avaient appris.

Les USA récoltent les lauriers

Tout le stock des créations chimiques de Höchst fut saisi par les américains et les formules des inventions furent distribuées librement dans le monde entier. La méthadone ainsi que d’autres produits débutèrent ainsi une carrière commerciale dans l’industrie pharmaceutique. Les bénéficiaires reconnaissants purent choisir le nom commercial ou de marque déposée qu’ils voulaient.

La compagnie pharmaceutique US Eli-Lilly choisit le nom d « Dolophine » que de nombreuses personnes prétendirent inspiré par le prénom de Adolph Hitler. Cette affirmation est sans fondement. Jamais les responsables de Eli-Lilly n’auraient voulu ainsi commémorer le führer. Ce nom fut probablement inspiré par le nom français « douleur » lui même dérivé du latin « dolor » et phine proviendrait de « fin », le tout donnant l’idée de « fin de la douleur ».

En 1947, une équipe américaine, qui expérimenta largement la méthadone, sous la direction de Isbell, publia un résumé de ses travaux. Mais ils firent comme les militaires allemands et employèrent des doses bien trop élevées de méthadone. A certains volontaires on injecta jusqu’à 200 mg quatre fois par jour. A de telles doses, Isbell observa « un rapide développement d’une tolérance ainsi qu’une euphorie » et probablement quelques décès qui furent passé sous silence. On dut diminuer les doses car les volontaires souffraient de  « toxicité….inflammation cutanées… profonde narcose… et une apparence clinique de malaise général.  (A ASUD on aurait dit qu’ils étaient  vachement défoncés) Mais tout le monde ne trouva pas la méthadone sans intérêt ni attrait. Des médecins affirmèrent que : « des personnes dépendantes de la morphine répondent positivement à la méthadone. »

Ces expériences amenèrent les chercheurs US à mettre sévèrement en garde contre le potentiel addictif de la méthadone : « Nous pensons que si la fabrication et l’utilisation de la méthadone (déjà appelée ainsi) ne sont pas strictement contrôlées, la dépendance à ce produit deviendra un grave problème de santé publique. »

Alors que les scientifiques US récoltèrent la renommée, les créateurs allemands de la méthadone ne présentèrent leur travail original qu’en juillet 1948 et il ne fut pas publié avant 1949.

Les premières publications d’après-guerre voulurent démontrer que, par rapport aux autres analgésiques centraux, les avantages de la méthadone étaient minimes par rapport à tous ses inconvénients tels que : nausées, dépression respiratoire et devant le danger d’une forte dépendance.

Seule l’armée américaine faisait une très parcimonieuse utilisation expérimentale de la méthadone en tant qu’anti-douleur quand en 1965, les médecins US Marie Nyswander et Vincent Dole, en relisant la littérature spécialisée, eurent l’idée d’employer le produit pour un nouvel usage. Ce couple, à présent célèbre, cherchait un médicament pour traiter les personnes dépendantes de l’héroïne. Ils espèraient trouver une drogue de type opiacé qui puisse être utilisée par voie orale et qui n’entraînerait pas une augmentation des doses pour maintenir l’effet recherché.

Leurs premières expériences trouvèrent rapidement un emploi à la méthadone… et le reste fait partie de l’histoire.

Chronologie

1937 – Création de la péthidine ; premier précurseur de la méthadone par les scientifiques allemands Eisleb et Shaumann.

1938 – Max Bockmühl et Gustav Ehrart synthetisent la méthadone à partir de la pethidine.

1941 – Bockmühl et Ehrart fontbreveter leur nouvelle création.

1945 – A la fin de la deuxième guerre mondiale, les USA font main basse sur l’usine qui fabriquait la méthadone

1945 – Les Etats-Unis publient un premier rapport basé sur le travail de recherche des allemands.

1947 – Après leurs expériences, Isbell et ses collègues mettent en garde contre les risques de dépendance.

1949 – Les recherches originales de Max Bockmühl et de Gustav Ehrarhart sont finalement publiées.

1964 – Les médecins US Nyswander et Dole expérimentent la méthadone pour traiter la dépendance à l’héroïne.

1964 et plus tard : Depuis leur clinique new-yorkaise, la méthadone, grâce à la persévérance de Vincent et Marie devient le traitement de l’héroïnomanie le plus populaire du monde.


Notes

1 Andrew Preston, infirmier psychiatrique de formation, est l’auteur et l’éditeur d’ouvrages pour les personnes travaillant dans le champ de la toxicomanie et leurs clients. Il travaille comme intervenant en toxicomanie à Dorchester dans un service d’aide aux personnes dépendantes de l’alcool et des drogues.

2 Juice fut un magazine anglais consacré exclusivement à la méthadone et s’adresse à ceux qui consomment ce produit. Créé en 1996, avec le soutien d’un laboratoire pharmaceutique,  par Andrew Preston et Mike Ashton du magazine « Druglink », JUICE s’arrêta malheureusement après le premier et unique numéro pour des raisons budgétaires.

3 Espérant donner une connotation particulièrement négative à la méthadone, certains détracteurs, fanatiquement opposés aux traitements de substitution, prétendirent que le médicament fut inventée sur l’injonction de Hitler et que sa première appellation fut « Adolphine » ou « Adolfine », soit disant en hommage à Adolphe Hitler. (note du traducteur).

Commentaires (14)

  • Je suis en traitement à la méthadone depuis 20 ans.Extremement addictive,ce produit m’a permis de stopper toute envie d’héroïne,mais avec une forte dose coupant tout effet des opiacés.Je ne sais,si j’arrêterai un jour ce traitement,c’est devenu une béquille pour mon psychisme.NE CONSOMMEZ JAMAIS D’HÉROÏNE.Je suis sûrement addicte a vie et la majorité des héroïnomane que j’ai connu sont mort.

    • En fait nous n’avons aucune statistique qui indique combien de personnes sous traitement méthadone ont eu l’opportunité de décrocher , combien ont repris après une période d’abstinence, combien boivent de l’alcool, combien sont mortes. Oui, même le nombre de personnes mortes pendant leur traitement ( et pas forcément à cause de) est une donnée inconnue, malgré 20 ans d’ancienneté dans la prescription. Depuis 1993 ces traitements sont prescrits sur une large échelle et nous ignorons également combien de personnes sont passées par la case méthadone en chiffres cumulés. Bref la méthadone c’est la bouteille à l’encre. ça existe, ça concerne de plus en plus de personnes mais cela reste comme une espèce de secret de famille, un truc dont on ne parle pas à table devant les enfants. Je ne crois pas que le fait de consommer une fois de l »‘héroïne fait de vous un junky à vie. Je pense que certaines personnes sont plus vulnérables à l’addiction , justement parce que l’héroïne leur convient pour des tas de raisons psychologiques ou sociales. Donc plutôt que de se dire « jamais », ce qui est une résolution pas toujours façile à tenir, le mieux serait d’être mieux informé sur les pièges à éviter pour ne pas basculer dans la dépendance, les techniques pour éviter les overdoses et des manuels de bonne utilisation de la méthadone y compris pour les sevrages.

  • Bonjour, je suis actuellement sous traitement méthadone et depuis plus de 2ans. Étant auparavant sous subutex, la différence est bien plus bénéfique et rien a voir. Je trouve que c’est ce qu’on peut avoir de mieux, même ci les choix de traitements sont faible. Je trouve un peu bête de ne pas avoir en France, une meilleur faculté pour la première ordonnance. Car même avec toute les bonnes volonté, j’ai du être suivis par un centre pour les addictions pendants 1ans. Et une prescription de 14jours max et très contraignent au long terme. J’ai beaucoup de difficulté a avoir une vie stable. L’héroïne est vraiment un fléau, 6mois de ..défonce.. et plusieurs années ensuite pour s’en défaire, voir toute sa vie. Sa a pas mal détruis ma vie et mis longtemps a m’en remettre, même encore maintenant . c’est vrais que je n’ai malheureusement pus voir peu de personne s’en sortir autour de moi, c’est une réalité. J’espère qu’un jour, on trouvera le moyen de guérir en un minimum de temps, la toxicomanie a l’héroïne.

  • Sous méthadone depuis 9 ans à 300mg par jour en gélule. Par contre je trouve qu’ il faut régulièrement augmenter la dose pour ne pas se sentir en manque contrairement à ce que prétendent Marie et Vincent Dole dans l’article.

    • C’est tout à fait vrai , et c’est l’un des soucis avec la méthadone à long terme. Les usagers ne perdent pas d’appétence pour une certaine forme de « high »et ils ont tendance à vouloir retrouver cela dans les co-consommations (alcool ou coke). Le problème de Nyswander et Dole est qu’ils assimilent totalement la méthadone à un traitement alors que cela reste une drogue. C’est le problème que nous avons en général avec les addictologues qui ne partagent pas une certaine « culture dope », ils ne comprennent réellement pas le phénomène , ils savent l’analyser de l’extérieur , mais leur culture médicale ne les a pas formé à accepter d’être dépossédés du savoir, alors ils affirment des contre vérités. L’une d’elles est la fameuse « saturation des récepteurs » qui est censée  » « couper le manque sans donner d’euphorie » . Cela est très parlant pour les journalistes ou les parents mais dans les faits un TSO qui ne procurerait aucune sensation de « high » est voué à l’échec . Le souci est que la tolérance est très rapide avec la méthadone et cette sensation opiacée qui justement sert de « substitution » s’évanouit encore plus vite qu’avec l’héroïne quand on augmente les doses. Une solution est de baisser sa posologie de manière chronique et de repartir à la hausse après quelques mois mais cela fatigue un psychisme qui est justement en recherche de stabilité. Une autre solution est de se stabiliser suffisamment pour être débarrassé de cette recherche perpétuelle de la « montée » , et ce d’autant que lorsque l’on en est là ( quand on finit par oublier de prendre son traitement le matin par exemple) il faut penser à sortir carrément de la méthadone….mais cela c’est une autre histoire .

  • Je suis tombé sur cette article et j’ai lu les commentaires. Je suis en traitement de méthadone depuis 15 ans, j’ai commencé à 45mg et j’essaye de baisser depuis quelques temps. Je suis à 40mg par jour. Et franchement je vais bien et je ne suis pas tombé dans l’alcool. Donc je pense que sa ne viens pas de la metha, mais plutôt de la personne qui remplace un produit  » heroine  » par un autre produit  » alcool « . Maintenant en se qui concerne ma dépendance à la méthadone, c est difficile. Je trouve que c’est très additifs autant que l’héroïne. Mais se n’ai que mon avis. Alors courage à ceux qui essaye de décrocher.

  • Bonjour je m appelle Loïc j ai pris pendant 3ans de l heroine puis de la méthadone 90mg pour commencer,1an après j ai décidé de ralentir et descendre par paliers,j ai pu descendre 10mg par ans en m aident avec une « olive d opium » que je fumé 2 fois par jours et la j ai arrêter l opium remplacer par le cannabis (que je cultive moi même) et je suis arrivé à 10 mg de méthadone Aujourd’hui et ça n’a pas été trop difficile

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