La réduction des risques est elle présente dans les consultation cannabis (ou jeunes consommateurs) : l’enquête d’Asud

À l’exemple du testing antidiscriminations organisé par SOS-Racisme à l’entrée des boîtes de nuit, Asud a lancé quelques « testeurs » sur la piste des consultations ouvertes depuis 2005 pour accueillir les usagers de cannabis. Six structures de Paris et sa région et deux du Lyonnais ont été visitées afin de savoir si la réduction des risques (RdR) y avait droit de cité. Si oui, sous quelle forme ? Si non, pourquoi ?

Les buts de l’enquête

Destinée à évaluer l’importance des pratiques de RdR dans les réponses thérapeutiques mises en place, et à élargir le questionnement à l’ensemble des paradoxes existant entre une campagne antidrogue classique et la généralisation des conceptions RdR, l’enquête répondait à plusieurs objectifs :

  • Évaluer l’impact de la RdR dans d’autres prises en charge que celle de la consommation d’opiacés ;
  • Se placer dans une trajectoire globale de consommateur de soins, tous produits confondus ;
  • Poser la question du « non jugement », pilier conceptuel de la RdR, et de son adaptation dans la stratégie antidrogue classique à l’ouvre en matière de cannabis;
  • Évaluer le degré de formation spécifique des intervenants : connaissance des produits, des codes de consommation, des effets spécifiques ;
  • Évaluer le degré d’autonomie des centres par rapport à la commande de l’État. Des questions qui n’ont reçu que des embryons de réponses et qui mériteraient d’être systématisées pour tous les produits. Ou, à tout le moins, pour le cannabis, les opiacés et la cocaïne.

La méthode

La méthode – car ce n’est pas une méthodologie – est très empirique. Nous avons voulu des candidats sincères. Notre but n’était pas de faire du testing comme ça, gratuitement, mais d’avoir des gens vraiment concernés par la consultation et par le rapport thérapeutique et sanitaire qu’ils allaient engager. Trouver un ou plusieurs usagers de cannabis sincèrement touchés par une ou plusieurs des problèmes énoncés ci-après. Demander ensuite la restitution des entretiens par écrit. Respecter l’anonymat des intervenants et ne pas mettre en cause les compétences professionnelles, mais insister sur les méthodes de soin, et donc mettre l’accent sur les méthodes utilisées.

Le questionnaire

Nous avions une liste de questions standard qui devaient servir de référence à nos candidats. Chacun d’entre eux devait absolument se sentir concerné par une ou plusieurs situations évoquées.

Quantité et qualité

    1. Je fume 10 joints par jour depuis 14 ans. Je ne souhaite pas arrêter, mais je voudrais réduire à 2 ou 3 joints. Existe-t-il des solutions ?
    2. Je fume depuis toujours du mauvais shit, je voudrais réussir à ne fumer que de l’herbe une fois de temps en temps. Est-ce possible ? Est-ce réellement un progrès sur le plan sanitaire ?
    3. J’ai entendu parler de cannabis transgénique mis sur le marché par la Hollande, y a-t-il un moyen de reconnaître cette variété pour s’en prémunir ?

Modes de consommation

    1. À propos de l’ingestion : Quelles sont les méthodes éventuelles de réduction des risques pour l’ingestion de cannabis ? Existe-t-il des aliments avec lesquels il est déconseillé de le mélanger (toujours du point de vue sanitaire) ?
    2. Je fume plutôt des bangs. Est-ce plus dangereux que les joints d’un point de vue sanitaire ?
    3. J’ai entendu parler des inhalateurs, est-ce réellement moins dangereux ?

Problèmes « psy »

    1. J’ai de petites attaques de parano quand j’ai beaucoup fumé et que je dois faire un truc « stressant ». Des solutions sanitaires existent-elles ?

Coconsommations ou consommations associées :

  1. Je fume, ça m’éclate, mais j’ai entendu dire que fumer pouvait conduire à d’autres drogues. Est-ce vrai et que peut-on faire pour empêcher ce phénomène ?
  2. J’ai de plus en plus tendance à picoler après avoir fumé, j’ai l’impression que ça complète bien l’effet du shit. Est-ce que fumer donne forcément envie de boire ? Sinon, en quoi suis-je différent ?

Les volontaires

Sur ce coup, nous avons proposé un partenariat à nos amis de Techno Plus à Paris et Keep Smiling à Lyon. 8 candidats ont été retenus à Paris. Parmi eux, 4 vont effectivement faire les 2 entretiens dans chaque structure. Sur Lyon, 2 usagers vont faire l’expérience. Soit 10 entretiens suivis de 10 rapports circonstanciés. L’âge se situe entre 20 et 28 ans. Tous sont des fumeurs actuels de cannabis. Nous n’avons, par exemple, pas eu d’ex-fumeurs désirant résoudre un problème psy.
Le souhait des candidats était de DIMINUER et non pas d’ARRÊTER leur consommation. Ce qui laisse supposer que la gêne occasionnée par une consommation excessive, sans qu’il y ait de volonté de cesser complètement sa conso, est un handicap fréquemment ressenti comme invalidant. La question est ensuite de comprendre si cette manière de présenter le handicap peut être entendue par les autorités sanitaires.

Les données brutes

Sur 10 entretiens, la réponse des intervenants fut assez équilibrée : 5 réponses que l’on peut qualifier de « gestion des risques » et 4 réponses tendant à l’arrêt de toutes consommations, la dernière réponse étant sibylline. Le point noir se situe très nettement du côté des connaissances brutes sur le produit et ses modes de consommations, le point fort sur les compétences en matière d’accueil « psy ».
Du coté de la rdr

  • 1 seule une proposition de questionnaire d’autoévaluation sur l’importance réelle de la consommation ;
  • 1 seule proposition d’information (à venir) sur les inhalateurs ;
  • Pas une seule remarque sur l’alerte sanitaire de l’été/ automne 2006, celle des « corps étrangers » mélangés avec le produit qui fit la Une de tous les sites cannabiques un peu informés.

Par contre nous avons eu :

  • 6 propositions de thérapie ou prise en charge psychologique (sur 10 entretiens) ;
  • 1 proposition de « traitement médical » (antidépresseurs contre le « manque ») ;
  • 4 discours « moralisateurs » sur l’usage ;
  • 1 « Je ne peux pas vous aider à diminuer, je peux vous aider à arrêter » ; – 2 propositions de rencontre avec la famille ;
  • Des remarques sur le comportement, « Vous avez l’air mou ! » dans un entretien.

Même le volontaire le plus négatif à propos de la psychologue finit son compte-rendu par « je peux pas dire que ça soit totalement nul, car un psychologue ça retourne forcément la tête ». Mais ce satisfecit ne doit pas dissimuler les lacunes étonnantes et l’incapacité quasi générale à répondre sur les différences sanitaires entre le shit et la beuh, etc.

Les accueillants

La plupart des accueillants étaient psychologues de formation (8 sur 10). Les 2 autres, probablement éducateurs, beaucoup plus intéressés par les consommations effectives (Marmottan et Charonne-Beaurepaire). Cette constatation n’est pas un jugement de valeur : l’un des volontaires a, par exemple, beaucoup apprécié la discussion « psy » qu’il a eue à Con?uences. Un prochain RdV est pris. RdV est pris.

L’environnement des consultations

La perception que les volontaires ont eue de l’environnement de ces consultations est celle d’un CSST classique avec sa composante de lutte contre le sida et les hépatites. Donc quelque chose d’assez éloigné de l’univers « cannabis », ce qui peut être interprété à la fois comme une volonté de ne pas banaliser les soi-disant « drogues douces », mais aussi comme une méconnaissance de la réalité du produit et de ses codes.
Pas d’information sur le cannabis dans les salles d’attente, très peu d’informations sur les drogues. Par contre, une information omniprésente, perçue comme intrusive (notamment de la part des filles) sur les rapports sexuels non protégés (toujours le vieux stéréotype du drogué incapable de se protéger à cause des effets délétères de « la drogue »).
En même temps, ils se sont sentis infantilisés. Ces consultations sont prévues pour recevoir des personnes considérées comme immatures, non encore responsables, ce qui renforce l’impression de ne pas être en mesure de réduire les risques, mais seulement de suivre une thérapie.
Si le parcours de certains usagers volontaires (« J’ai 15 ans de consommation de cannabis. ») les classe parmi les amateurs confirmés de cannabis, c’est l’aspect « jeunes consommateurs » qui va être privilégié par les accueillants. Une ré?exion importante, car c’est dans l’esprit de la loi et de la démarche générale des consultations cannabis. Comme si le cannabis ne pouvait être qu’une drogue consommée par les enfants.

Les paradoxes

Bien qu’aucun des volontaires n’ait eu de véritable réponse aux questions qu’il a posées et, pire, que le problème qu’il était venu résoudre ait été pratiquement passé sous silence par les intervenants :

  • Les volontaires ont tous déclaré avoir été intéressés par au moins un des services proposés (l’un d’entre eux va même poursuivre les entretiens pour d’autres consommations que le cannabis) ;
  • Le prétexte de l’enquête a peut-être permis à quelques uns de trouver une raison « légitime » de franchir la porte d’un centre de soins. Éventuellement pour effectuer un sevrage de leur consommation (hypothèse peu probable, mais à ne pas exclure totalement) ;
  • Tous les volontaires ont trouvé cette expérience passionnante (pas de rencontres pénibles).

À une exception près, tous les volontaires ont perçu :

  • Une ignorance des accueillants sur les techniques de consommation et la pharmacologie des produits (une psychologue a fini par demander au bout d’1/4 d’heure ce qu’était « le bang ») ;
  • Un profond désintérêt des accueillants pour ces questions.
  • La question de la « diminution » n’est pas un objectif sanitaire, et l’arrêt est avant tout envisagé sous l’angle de souffrance psychique. L’intervention médicale n’est pas mobilisée au service de la réduction des risques et, à la différence des opiacés, il n’existe pas d’outil pharmacologique ou médicamenteux à mettre à la disposition des usagers. Les quelques pistes pour « fumer propre » ne sont pas explorées, et le seul traitement médical proposé l’a été dans la perspective d’une consultation psychiatrique à venir.

Un système égal à lui-même

Le bilan global de ce testing est donc loin d’être négatif du point de vue de l’utilisation faite par le secteur spécialisé des fonds alloués pour impulser une réponse sanitaire en matière de cannabis. Le système reste cohérent avec lui-même : disposant de bons professionnels, formés essentiellement au traitement psychologique et social de la question, il a mis en place une grille d’analyse basée sur cette approche assez traditionnelle.
Là où le bât blesse, c’est évidemment sur le plan de la RdR. Les professionnels, des psychologues à 2 exceptions près, ne sont pas formés aux différents types de consommations, ils ne connaissent pratiquement rien, ni à la qualité des substances ni aux techniques de réduction des risques existant.
Pire, ils semblent se désintéresser de ces questions qui leur paraissent secondaires car procédant du symptôme, donc peu significatives pour la résolution des vrais problèmes, encore une fois essentiellement d’ordre psychologique et social.
Une lacune qui a pour conséquence de laisser les usagers de cannabis souhaitant simplement réguler les excès de leur consommation dans une relative insécurité. Si on peut objecter que la prise en charge psychologique étant de bonne qualité, on a globalement intéressé les volontaires, il n’est pas certain que cet intérêt débouche à moyen terme sur une modification concrète des comportements. À l’inverse, un panel de techniques de régulation (à l’instar de certains travaux innovants en tabacologie) et une meilleure culture générale en matière de cannabis auraient toutes les chances de déboucher sur une fidélisation des contacts, au moins à court terme. À titre d’exemple, la rencontre avec un tabacologue n’a été proposée qu’une fois en 10 entretiens.

Enfin, ce testing a comme principal mérite de nous inscrire visiblement dans notre rôle de défenseur des intérêts des « patients » du système de soins en matière de traitement des addictions. Une enquête du même type effectuée sur une plus grande échelle ne pourrait que profiter au système dans son ensemble.

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