La méfiance

En juin 2011, le président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les toxicomanies (Mildt) a sollicité ASUD pour, je cite, « recueillir vos propositions » quant aux modalités d’application « de la dernière année du plan gouverne­mental 2008-2012 ». Quelle bonne surprise ! Sympa de demander aux gens leur avis sur un plan qui se termine. Dommage qu’il ait fallu attendre quatre ans pour que le président de la Mildt se souvienne de l’existence d’Asud, l’association des « guédro ».

De 1997 à 2007, nous avions établi des relations de confiance avec cet organisme d’État. Nicole Maestracci et Didier Jayle, les deux anciens détenteurs du poste, avaient l’habitude de nous consulter sur des sujets aussi divers que la réduction des risques en milieu festif, le statut légal de la buprénorphine ou la création de communautés thérapeutiques. Depuis la nomination d’Étienne Apaire, c’est fini. La seule et unique fois où nous l’avons rencontré, ce fut pour nous entendre dire que la Mildt « n’avait pas vocation â financer les associations ».
Ce silence caractérisé possède un sens éminemment politique. Certes, la Mildt est un organe interministériel dont la mission est de coordonner toutes les actions de l’État en matière de « lutte contre la drogue ». Mais doit-elle pour autant favoriser systématiquement tout ce qui exacerbe la « guerre aux drogués », selon l’expression aujourd’hui consacrée ? L‘usage de stupéfiants est interdit en Fran­ce, la loi est appliquée, les usagers le savent mieux que n’importe qui, mais depuis de nombreuses années, la politique de réduction des risques a permis d’infléchir la logique qui consiste à pénaliser les consommateurs au détriment de leur prise en charge. La loi de 2004 qui légalise la politique de réduction des risques est arrivée à temps. Quelques années plus tard, elle aurait buté sur l’intransigeance dog­matique du président la Mildt.

De fait, la politique de réduction des risques, telle qu’elle est défi­nie par la plupart des instances internationales est moins la déclinai­son d’un dispositif que l’affirmation des principes éthiques propres à éviter les principaux vecteurs des dommages liés à l’usage des drogues : la discrimination et la marginalité. Le premier de ces principes est le Non-Judgement anglo-saxon. Le fait de ne pas considérer l’usage de drogues comme un crime mais comme un acte ponctuel qui ne définit pas l’ensemble d’une vie mais une action dont il convient d’évaluer la dangerosité. Or c’est bien contre ce Non-Judgement que la Mildt s’est dressée depuis bientôt cinq longues années. Les campagnes de diabo­lisation du cannabis, la sanctification de l’interdit comme fondement de toute politique de prise en charge, l’hostilité acharnée à toutes les innovations européennes comme les salles de consommation ou les programmes d’héroïne médicalisée. Tout nous prouve que la Mildt est devenue sous le mandat de son actuel président un organisme pro­fondément hostile au principe même de réduction des risques.
Alors, que répondre à l’invitation de Monsieur Apaire ? Com­ment ne pas admettre que la méfiance est réciproque. Que ce silence de quatre ans n’est pas un hasard mais une nécessité. Une association de « patients » comme Asud qui ne cesse de remettre en cause le ca­ractère pathologique de la consommation et qui se bat depuis vingt ans contre la pénalisation de l’usage des drogues ne peut être que suspecte et politiquement incorrecte. Nous avons donc choisi de nous abstenir, au risque de ne pas pouvoir faire entendre la voix des premiers concer­nés, les usagers. Mais quelque chose me dit que cette voix n’est légitime que dans une posture de plainte ou de repentir, une partition que nous avons toujours eu du mal à déchiffrer

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