Salle d’injection de drogues : Lettre ouverte à M. Jean-Francois Lamour

L’auteur, Christophe Mani, est directeur de Quai9, une salle d’injection supervisée à Genève.

Espaces d’accueil et d’injection, salle de consommation supervisées sont les termes bien plus appropriés que salle de shoot ou drogatoriums pour désigner les lieux qui n’existent certes pas en France, mais qui ont largement fait leurs preuves dans d’autres pays comme la Suisse.

Dans son point de vue publié dans le monde du 21 décembre dernier, M. Lamour, président du groupe UMPPA Conseil de Paris, estime que les salles de consommation de drogues supervisées sont des « antichambres de la mort ». Encore une fois, les ambassadeurs du « Non à la drogue » sont aveuglés par leur approche idéologique, au mépris des considérations humaines et scientifiques.

Ces salles ont-elles pour effet de cacher les toxicomanes dans des centres ?

A Genève, le Quai 9 est situé en plein centre ville. Après avoir été longtemps cantonné au milieu de bâtiments insalubres et après des travaux environnants, ce centre est maintenant on ne peut plus visible sur un petit ilot situé derrière la gare ferroviaire. Nombreux sont les usagers de drogues nous ayant témoigné avoir enfin l’impression de faire partie du milieu social, d’y avoir une place, fut-elle peu enviable. C’est bien sans l’existence de tels centres que les personnes sont cachées, terrées dans des caves par exemple, au risque de n’avoir plus le moindre lien avec le milieu social.
Continuer à se détruire sous prétexte de lutte contre les VIH sida, les overdoses, les hépatites C ?
Pour envisager le sevrage, seule voie possible pour M. Lamour, encore faut-il rester vivant. En Suisse, aujourd’hui les usagers de drogues sont largement devenus et depuis plusieurs années, la population dite « à risque » qui est la moins concernée par les nouvelles infections au VIH/sida. A Genève, entre zéro et deux infections de toxicomanes ont été répertoriées ces 3 dernières années, contre 91 en 1991. Les overdoses mortelles ont diminué de moitié par rapport à la fin des années 80 et début des années 90. Il est également intéressant de constater qu’une baisse majeure des nouvelles infections aux hépatites C, virus pourtant très présent dans cette population, coïncide avec l’ouverture du Quai 9. Est-ce seulement le fruit du hasard ?

Le parcours dans la toxicodépendance est transitoire. Certes des personnes y demeurent très longtemps, bien plus longtemps qu’on ne le souhaiterait pour elles et ne répondront jamais à certaines attentes de la société. La « soi-disant sécurité » dénoncée par M. Lamour est effectivement apportée par un lieu adapté, mais surtout des professionnels compétents et empathiques qui ont justement une éthique et des valeurs humanistes complètement tournées vers la vie. Un travail conséquent de relais avec le réseau de soins est mené par ces professionnels travailleurs sociaux, infirmiers ou médecins. Plusieurs institutions effectuent des présences sur place pour favoriser le lien avec les usagers qui sont en demandent d’aide. L’Association pour la réhabilitation des toxicomanes d’Annemasse (APRETO) en Haute-Savoie fait partie de ces institutions, ce qui a déjà permis à plusieurs personnes de nationalité française fréquentant notre centre d’accéder à une démarche de traitement.

Aggraver le problème de la consommation ?

Selon quelles sources M. Lamour ose–t-il affirmer péremptoirement que les expériences menées en Suisse et en Allemagne, mais aussi au Canada, en Australie, en Norvège, en Espagne, au Luxembourg et aux Pays-Bas, démontrent que l’ouverture de salle de consommation aggravent le problème ? Plus de gens sont en vie plus longtemps et nous sommes aujourd’hui confrontés à de nouveaux défis, comme le vieillissement de cette population. A l’inverse, il a été largement démontré que ces espaces ne créent pas d’effet d’attraction parmi les jeunes. On ne devient pas toxicomane juste en passant devant un tel centre. Au contraire, la moyenne d’âge des personnes fréquentant ces structures de réduction des risques a augmenté de manière constante par rapport aux années 90. La réalité montre que les personnes prêtes à prendre des risques n’attendent pas la présence de professionnels pour les surveiller. Au contraire les risques maximums sont pris en dehors de tels lieu. Les professionnels peuvent conseiller, aider à un travail de conscientisation des situations à risque, voire même proposer un travail pédagogique d’apprentissage de gestion du risque.

Une diminution de la stigmatisation et de l’exclusion, principales sources de difficultés, pour les usagers de drogues ne peut qu’améliorer la situation. Sur ce plan, la tâche reste bien sûr énorme, puisqu’elle rejoint celle de la lutte contre la précarité et la pauvreté qui concerne nos sociétés dans leur globalité et pas uniquement les usagers de drogues.

Une acceptation tacite de la société par rapport à l’usage de drogues ?

Ces centres, comme les autres programmes de mise à disposition de seringues stériles, sont effectivement une acceptation de faire avec le problème, d’accepter de voir qu’il existe, au plus proche de la réalité des personnes qui le vivent. Il ne suffit pas de décrets pour se libérer de la dépendance, qui comme le dit bien M. Lamour est un chemin de souffrance pour l’homme et pour sa famille. Cacher le problème, juger les personnes qui y sont confrontées, ne va au contraire que les enfermer dans une forme de clandestinité qui augmentera la méfiance vis à vis de toute forme d’autorité, y compris médicale. Les collaborateurs de ces centres ont justement la mission de favoriser ce travail de médiation entre les usagers de drogues et la société. Oui la consommation de drogues doit être accompagnée par les pouvoirs publics, ce qui ne veut pas dire s’en rendre complice.

Troubles de l’ordre public ?

Des règles strictes (pas de trafic, pas de violence) existent pour favoriser le bon fonctionnement de ces centres, qui ne sont pas des espaces de non droit : Les usagers reçoivent la garantie de pouvoir y accéder sans être importunés par la police, mais celle-ci peut intervenir en cas de deal ou d’autres activités délictueuses. Un travail important est réalisé avec le voisinage, afin que celui-ci subisse le moins possible d’éventuels désagréments liés à l’usage de drogues. N’étant pas ouvert plus de 7 heures par jour, faute de moyens financiers, c’est surtout en dehors de ces heures que certains problèmes d’injection dans des lieux inappropriés peuvent se poser. Par ailleurs, si nous ne pouvons pas éviter toute prise de contact entre consommateurs cherchant du produit, il est évident que le deal organisé ne se fait pas dans ou à proximité du lieu, grâce au fait que les usagers acceptent de jouer le jeu et de protéger le lieu de cet effet indésirable. Le deal cause d’importants soucis depuis plusieurs années à Genève et personne ne peut le nier. Toutefois, les plus gros problèmes sont situés dans des quartiers où notre association n’est pas présente, que cela soit avec notre centre ou notre bus de prévention.

En Suisse, comme dans les autres pays mentionnés, la réduction des risques n’est pas le seul outil utilisé pour faire face aux méfaits de la drogue. Il s’inscrit dans une approche concertée intégrant également prévention primaire, traitement et répression. Et il est certain qu’il reste nécessaire de renforcer le travail mené en matière de prévention et d’éducation, sans diaboliser les drogues, mais dans une logique de promotion de la santé. Rappelons à ce titre que le produit qui pose aujourd’hui le plus de problèmes concernant la protection de la jeunesse est parfaitement légal et même souvent valorisé; il s’agit de l’alcool. Les efforts de prévention doivent donc intégrer l’ensemble des produits qui sont d’ailleurs souvent consommés de manière combinée.

En conclusion, je souhaite adresser une invitation à M. Lamour et à l’ensemble des élus chargés de débattre de cette question, à venir visiter le travail mené à Genève et en particulier dans notre espace d’accueil et de consommation pour toxicomanes. Ils pourront ainsi juger sur pièce.

Commentaires (10)

  • salle de shoot propre

    Merci à christophe mani d’avoir rédigé ce texte, qui mérite toute son attention. Espérons simplement que les pouvoirs publics français se rendent vraiment compte de la situation des UDVI qui n’ont d’autre choix que de s’injecter des substances licites et illicites au coin des rues, dans les cages d’escalier ou ailleurs, à la vue de tout le monde, chose que les UDVI n’ont pas spécialement envie de faire… Juste une information sur la selle de shoot propre d’asud montpellier (1994-1995), en vu de ce qui est écrit dans plusieurs textes, il n’y a jamais eu de décés dans les locaux d’asud montpellier et dans la salle de shoot propre qu’avait crée asud montpellier. Il y a eu une jeune femme qui a fait un malaise, mais qui n’a pas gardé de séquelles… Plus de quinze ans après l’ouverture de cette salle il reste évident que des salles d’injection propre doivent voir le jour dans de nombreuses villes de france et le plus rapidement possible.

    estelle

  • suivi de conso

    Les toxicomanes,sont à 80% des gens hypersensible,le suivi médical est indispensable, il faut juste que les ancien « tox », témoigne de l’efficacité des salles de consommation, et pour finir je vous dirais que l’interdit, a toujours exister et que rien ne fonctionne en se qui concerne la lutte anti-drogue, il est évident qu’il faut changer nôtre fusil d’épaule;
    Si l’ont légalise les drogue dite douce et que l’ont face la même choses pour toute les drogues, je pleins les trafiquants et l’état se ferais très vite un trésor considérable si elle décide de sans charger.merci SLIM

  • Merci M Mani

    Cette lettre ouverte est à elle seule un véritable manuel thérapeutique à l’usage des indécrotables petits soldats du « non à la drogue ».
    Une lecture matin, midi et soir devrait permettre de faire apparaître la réalité quotidienne des gens, cachée derriéres les grandes idées non réfléchies.On peut se tromper, ce qui est grave c’est de persister.
    Encore merci M Mani

  • Pétitionnaires

    Quand je vois que des intellectuels, des médecins et j’en passe,sont aussi irresponsables pour signer votre pétition sur les salles d’injections, je me dis qu’il manque à ces personnes l’expérience du monde du shoot; c’est sur , c’est fun de signer des trucs comme ça!
    C’est dans le vent! Je me permets de rappeler aux docteurs leur serment d’Hypocrate.
    Croyez-moi, on en restera pas là..

  • Bonjour je suis infirmière en alcoologie, et depuis peu, csapa oblige je commence à prendre en charge des toxicomanes, je suis intéréssée par toutes précisions sur ces salles d’injection, y-a-t’il une présence médicale ou para médicale ? Ou pourrais-je trouver de la documentation sur ces salles ?
    Ma démarche auprès de ce site est purement professionnelle, car je l’ai déja expérimenté en alcoologie, mes patients m’ont bien souvent plus appris sur la maladie alcoolique que tous les bouquins et médecins de france et de navarre.
    Merçi de me donner unez réponse
    Eve

  • Salles de shoots propres

    Quand je vois la position de la droite, je me dis que nous ne sommes pas sortis du problème. Il faut non seulement des salles pour des injections propres, mais également de l’héroïne pharmaceutique pour les personnes qui en réclament. Cela permettrait aux UD d’avoir accès à un produit propre et sans danger. Je me demande quand Monsieur Lamour ou Mme Pécresse – pour ne citer qu’eux, se rendront compte qu’il n’existera jamais une société bien clean, bien lisse. Quant à la gauche, c’est l’éternel tango de la tergiversation :« je t’aime moi non plus ».C’est à désespérer. Il y a des gens qui ne pourront JAMAIS vivre suivant des critères sociaux bien établis.

    Il faut sans cesse répéter une évidence : on ne peut guérir les gens contre leur volonté. Il faudrait aussi – souvenir d’une émission télé, expliquer à Mme Boutin que l’alcool est à l’heure actuelle – avec le tabac – la drogue plus meurtrière chez les jeunes. Tant sur la route que dans leur vie quotidienne. Mais il ne faut pas surtout toucher au lobby des bouilleurs de cru, qui est une manne de revenus financiers énormes ! Je suis effaré de voir le choix d’alcools que proposent les supers ou les hypermarchés. Oui, l’alcool chez les « jeunes » est bien plus redoutable que l’héroïne ou du moins ce qu’il reste une fois coupée recoupée etc, que le cannabis, voire l’opium.
    Alors non Mr Lamour. Les salles d’injection propres ne sont pas « des antichambre de la mort ». Les antichambres de la mort, c’est le HIV, l’hépatite C,l’OD les différentes forment d’abcès et de septicémies. Connaissez-vous les conditions d’un shoot à la va vite dans la rue ? Sans hygiène, avec des pompes où des seringues qui servent et resservent sans être aseptisées ?
    Sans oublier la criminelle loi,qui fut d’interdire pendant un temps, assez long la non-délivrance de seringues aux UD. Alors oui ! Vite des salles de shoot propres. Et oui je suis heureux d’avoir signé la pétition.

  • L’espoir à Genève: le Quai9

    Merci Christophe Mani pour cette lettre qui résume parfaitement l’importance que peuvent avoir les salles d’injection propres pour les UDVI. C’est au Quai9, à Genève, que j’ai rencontré des gens à mon écoute, et qui m’ont petit à petit montré le chemin pour sortir de ma toxicomanie. Je vais enfin entrer en post-cure, après des années de galère, et je pense que si je n’avais pas connu le Quai9, j’en serais encore à me shooter dans des parcs, des descentes d’escaliers et autres endroits souvent sales et lugubres. J’aurais certainement choppé une hépatite ou pire, mais je ne serais surement pas en train de me battre pour m’en sortir. Ne pas ouvrir de centres d’injection propres, c’est se voiler la face, comme si les problèmes de toxicomanie s’arrêtaient à la frontière. Le fait que notre pays, le plus répressif d’Europe en matière de stupéfiants, en soit également le premier consommateur, devrait pourtant inciter nos dirigeants à changer de politique. Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas de camés à tous les coins de rue qu’il n’y en a pas: ils se cachent!!!
    Ouvrir des salles d’injection propres leur permettrait enfin d’arrêter de se cacher, de sortir de l’ombre (c’est peut être ça qui fait peur?…), de retrouver une forme de vie sociale, de trouver des gens à l’écoute, patients et sans mauvais préjugés. Ces lieux peuvent leur apporter, une fois sortis de leur cave, l’aide qu’ils ne seraient jamais allé chercher chez un médecin ou dans un csst. Il me semble que c’est un des meilleur moyen pour lutter contre l’exclusion sociale des UDVI ainsi que pour prévenir les futurs cas d’hépatites, VIH et autres salopperies liées le plus souvent aux mauvaises conditions de préparation. Les UDVI ne sont pas des rebuts de notre société, ce sont des personnes qui sont actuellement obligées de se terrer pour ne pas montrer qu’ils ont des problèmes. Ce n’est qu’en créant des lieux sains, préventifs et un minimum médicalisés que nous pourrons dire qu’un réel effort est fait pour détterrer le problème de la toxicomanie en France. En tout cas je dis merci à la Suisse d’être si proche de chez moi et si ouverte. En effet, si j’avais dû compter sur mon pays, je n’en serait surement pas là… Alors à nos dirigeants, OUVREZ LES YEUX (et votre coeur!;D), et montrez que vous attachez de l’importance aux UD!!! OUVREZ DES SALLES d’injection propres et laissez les UDVI se faire suivre, se faire aider, retrouver un peu d’espoir et peut être la force de s’en sortir.

  • Efficacité?

    Déjà je suis pas sur que les drogués raffolent des lieux institutionnalisés?! Une évidence, non?
    Par ailleurs vos salles ne règlent rien face au problème de la drogue qui je vous le concède est fort complexe.
    Le pire , c’est qu’à force de fréquenter le politiques, vous devenez comme eux.

  • c est inadmissible
    j ai écrit un super texte , mais comme il n allait pas dans le sens des salle de consommation il a été purement est simplement effacé
    merci beaucoup et impossible de le récupérer

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