15 ans en arrière ?

Lettre ouverte à Etienne Apaire, président de la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT)

Paris, le 29 octobre 2007.

Monsieur,

Un mois et demi à peine après votre nomination à la tête de la MILDT, vos premiers gestes et déclarations suscitent chez nous la plus vive inquiétude.

La MILDT vient de refuser à l’association d’auto-support d’usagers de drogues ASUD une subvention qu’elle lui accordait chaque année avant votre nomination, pour l’organisation des quatrièmes Etats Généraux des Usagers de drogues et de la Substitution (EGUS) prévus en décembre prochain. Vous ne pouvez ignorer cependant ni le rôle central des associations d’auto-support dans le champ de la réduction des risques, ni la qualité des débats, soulignée par tous, qui avait caractérisé les précédentes éditions des EGUS – puisque votre prédécesseur en avait inauguré la tenue il y a tout juste un an -, ni le caractère paradoxal d’une telle mesure, quelques années à peine après le vote de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

L’ensemble du secteur des intervenants en toxicomanie s’est toujours accordé en effet sur l’importance d’une collaboration avec les associations d’auto-support, tant comme vecteurs d’information que pour leur rôle d’éducation auprès des usagers, leur parler vrai sur les questions de dépendance ou de plaisir, ou comme regard critique sur l’élaboration des programmes. Loin d’« encourager des usages illégaux », comme vous le suggériez à l’AFP le 21 septembre dernier, les associations d’usagers sont des partenaires indispensables de la lutte contre les maladies infectieuses ou de la réduction des risques en général. Nous ne pouvons comprendre cette décision.

Selon Valeurs actuelles du 19 octobre 2007, vous vous seriez par ailleurs fixé comme objectif de « renforcer l’idée selon laquelle la substitution n’est pas une fin en soi et qu’il faut en sortir », ambition à nos yeux lourde de sous-entendus, que nous ne pouvons que rapporter aux débats souvent violents qu’avait suscités la mise en place des traitements de substitution il y a quinze ans.

Faut-il vous rappeler les succès imputables à ces traitements : chute spectaculaire du nombre d’overdoses, réduction du taux de nouvelles contaminations VIH chez les usagers de drogues à 3% des cas diagnostiqués en 2004, contre 40 % en 1993 avant l’arrivée du Subutex ? Faut – il aussi vous rappeler la fragilité de ces acquis, la difficulté de suivre des traitements aussi lourds que ceux du sida ou de l’hépatite C, qui sans la délivrance d’opiacés de synthèse se seraient souvent avérés impossibles, la menace que fait peser aujourd’hui sur les usagers de drogues l’hépatite C, la stigmatisation continuelle dont ils font l’objet ?

De l’avis unanime de nos structures, seul l’abandon de l’abstinence comme norme unique et préalable a permis de sauver des vies et continue de permettre aujourd’hui, dans bien des cas, de convaincre de se soigner, de rentrer en contact avec un établissement, d’entreprendre des démarches administratives ou juridiques. Le désaveu de ce parti-pris de pragmatisme ne peut que nous alarmer dans la bouche d’un président de la MILDT, dont la fonction devrait être de garantir une pluralité d’approches de la question des drogues.

Il nous laisse par ailleurs incrédules, tant les succès de la réduction des risques invalident vos positions. La stratégie de réduction des risques liés à l’usage de drogues adoptée depuis bientôt quinze ans en France a si bien fait ses preuves que le principe en a été inscrit dans la loi en 2004, avec l’adjonction de trois articles au Code de Santé Publique qui lui fixent notamment comme objectifs de prévenir la transmission des infections, la mortalité par surdose, et les dommages sociaux liés à la toxicomanie. Aujourd’hui ces objectifs nous paraissent plus d’actualité que jamais. Rien ne nous permet de penser en effet, dans le contexte actuel de progression de l’hépatite C, de diversification des produits, de progression des pratiques de polyconsommations, que nous puissions nous passer de programmes innovants, éclairés par l’expertise critique des usagers de drogues, et acceptant de suspendre tout jugement pour répondre concrètement aux problèmes sanitaires ou sociaux.

Rien ne nous permet non plus de penser que les députés qui ont voté cette loi, ni le secteur devenu désormais essentiel de la réduction des risques, puissent comprendre ce qui apparaît aujourd’hui comme un revirement de fond.

C’est pourquoi nous vous demandons, Monsieur le Président, de bien vouloir :

  • Revenir sur votre décision concernant Asud, et lui confirmer le soutien que la MILDT lui a apporté depuis huit ans ;
  • Nous donner des garanties sur le respect du Code de la Santé Publique, en ses articles L. 3411-6, L. 3411-7 et L. 3411-8 notamment, qui concernent la réduction des risques ;
  • Affirmer votre engagement dans la poursuite de la politique de réduction des risques initiée par vos prédécesseurs, et de ses extensions nécessaires pour faire face à l’évolution des pratiques de consommation et des risques sanitaires qui y sont liés.

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