Arnaud Marty-Lavauzelle nous a quitté.

Cette phrase est lourde de sens quand on pense au lien qui unissait ASUD et le président de AIDES de 1993. Il n’est pas exagéré de dire que sans l’engagement d’Arnaud en faveur d’ASUD en particulier, et des usagers de drogues en général, la politique de réduction des risques n’aurait pas occupé cette place privilégiée qui est toujours la sienne au sein de AIDES. Souvenirs

Je me souviens, c’est la devise des Québécois, les Canadiens français comme on disait quand j’étais petit. Arnaud, c’est mon canadien français, un cousin qui parle la même langue, qui s’exprime dans la même gamme, le même langage, mais à partir d’une autre patrie, au-delà des océans mais tellement proche par le cœur.

La colère

Je me souviens de ce jour de 1993 où j’ai pris la parole pour la première fois au cours d’une réunion publique. Asud était de création toute récente, quelques mois, un an tout au plus, et la parole publique d’un « tox » en tant que « tox » était une chose vraiment nouvelle.
Je me souviens très vaguement du débat auquel je n’avais pas compris grand chose, je me souviens des orateurs, qui se dressaient l’un après l’autre, au gré des passages du micro. Je me souviens des visages, Bertrand, Anne et …Arnaud, Arnaud Marty Lavauzelle, le président de AIDES. A l’époque AIDES, Act-up, ou même ASUD, autant de sigles mystérieux vaguement suspects , et je me souviens de ma colère. Je les voyais dire : « les toxicomanes ceci… » « oui mais quand on prend de l’héroïne cela… » « et quand on est en manque ça fait ça…bla bla… ». À l’époque, les toxicos séropos, franchement, on était en plein merdier.
En1993 tes chances de franchir le cap des années 2000 étaient de 1 sur beaucoup beaucoup. Sérieusement, les « books » auraient raisonnablement pu prendre des paris sur nos vies à 1 contre 100. Nous, en tous cas, on se préparaient à mourir.
Et donc la colère…
La colère parce-que je me disais : « mais qu’est-ce qu’ils connaissent de la vie des toxs ? Qu’est-ce qu’ils connaissent de MA vie ! ».

J’avais repéré la tête d’un des mecs, carrée, un peu grosse, avec des lunettes, très sympa, Alors je m’adresse à lui. Je prend le micro et je lui dit un truc naze qui depuis me met en boule-« qu’est-ce que vous connaissez à tout ça ? Vous êtes des toubibs- on disait toubib, ça faisait « tox » de dire « toubib »- mais vous ne connaissez rien à la vraie vie des toxs. ! »

A la fin de la réunion, le gars à lunettes est venu me voir, j’ai cru qu’il venait prolonger l’engueulade. Il m’a dit « Fabrice –le mec avait retenu mon prénom- ta colère c’est de l’or- il a peut-être dit « du diamant » je sais plus vraiment, mais le sens général c’était : « ta colère il faut t’en servir , elle est là pour dire quelque chose à la société française qui trouve normal que les gens qui se font des injections meurent du sida. »

De cette réunion là, dans les locaux de Aides, au 247 rue de Belleville, date ma prise de conscience du fait séropositif et conséquemment du fait toxico. Un fait éclair, un fait exprès qui dit que le déni de justice donne à ta parole une force insoupçonnée.

Le citoyen

Je me souviens du CAL 70 , la Collectif pour l’Abrogation de la Loi de 70. Je me souviens de la promptitude avec laquelle Arnaud a répondu oui à ma demande de soutien. C’est bras dessus bras dessous que nous avons descendu les berges de la Seine, face aux tours de Notre Dame pour dire non à la criminalisation des gens qui prennent des drogues, une première en France.

Foucauld

Ce combat est sans doute le plus significatif du lien qui nous unissait. ASUD s’est constitué sur le modèle de AIDES, et non sur celui d’ACT-UP. Notre modèle est universel et républicain, c’est celui du citoyen comme les autres ayant les mêmes droits et les mêmes devoirs . Jamais nous n’avons prétendu appartenir à la communauté des héroïnomanes par exemple, au contraire, nous avons toujours souligné la proximité qui existe entre toutes les ivresses , légales ou illicites, dure ou douces, mais surtout propres à caractériser l’humanité toute entière. Universalisme de l’usage des drogues comme il y a universalisme de la maladie. Droits imprescriptible à l’ivresse, comme il y a droit imprescriptible à la santé. Ces bases sont foucaldiennes mais je n’en eus conscience que plus tard. La théorie passait aussi par la pratique de l’amitié.

L’amitié

Je me souviens de cette tribune à Grenoble en 1996.

15 jours plus tôt, le secrétariat de AIDES nous appelle. Arnaud veut qu’ASUD soit présent aux Assises de AIDES, et sur la plus haute marche, face au Ministre….
En face de moi Hervé Gueymard, Secrétaire d’Etat à la Santé dans le gouvernement Juppé. Je lui dit pendant la table ronde : « .. ;Asud, association de malfaiteurs, payés par vos services… ». Hilarité générale. Moi, je me dis « merde, j’ai dit une connerie… ». Arnaud fait son discours de clôture : « ASUD, cette association de malfaiteurs payée par l’Etat etc..etc… » Ouf , sauvé !!! Depuis c’est resté dans les annales.

La douleur

Reste les page sombres, les moments où l’on pouvait voir sur son visage, les marques de la fatigue. Les AG de Aides fédération , si diffiçiles. Une nouvelle équipe qui prend les rènes du bateau …les inévitables froissements d’ego …
Et puis dans ces années là, AIDES a cessé d’être aussi la maison d’ASUD, et Arnaud a commencé d’être associé au souvenir des années de lutte, des années sida, celles dont on dit , il y a un avant et un après…
La colère, le citoyen , l’amitié et les pages sombres, ma foi, c’est un résumé que j’ai tenté de faire le plus fidèle possible. Les trois premiers mots vont comme un gant au militant de la lutte contre le sida que fut avant tout Arnaud. Le dernier n’est pas moins caractéristique de ce qu’il a du enduré tout dernièrement.

Ces dernières années , je n’ai plus revu Arnaud. Je le savais malade, je n’ai eu ni le courage ni l’envie de venir le déranger dans sa retraite, c’est comme si son rôle, également inspiré par la personnalité de Daniel Defer, autre ami d’ASUD, était confondu avec le temps où tout était possible, où l’on parlait de légalisation plutôt que d’addictologie et de droit au plaisir plutôt que d’alcoologie.
Cher Arnaud, repose en paix aux côtés d’Olivier, de Véronique et de mille autres, comme toi morts du sida, mort contre le sida, mort en ayant vaincu les alliés du sida, la discrimination et l’injustice.

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