Salle de consommation à moindre risques : et la France ?

Les premières salles de consommation à moindre risque (SCMR) ont été implantées en Suisse à la fin des années 80. Aujourd’hui, il en existe aussi aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne, en Australie, au Canada, en Norvège, et depuis juillet 2005, au Luxembourg, le neuvième pays à ouvrir une SCMR pour usagers de drogues.
Actuellement, ce sont donc 78 structures dans 45 villes du monde qui ont opté pour ce type de programme.
Et la France ? Un dossier concocté par Bernard Bertrand.

Les salles de consommation à moindres risques sont des lieux où les personnes qui consomment des drogues ont la possibilité de le faire au moyen de matériel stérile, sous encadrement de professionnels formés. Aucune drogue n’est fournie sur ces lieux et les professionnels n’aident pas à son administration.
Elles ont pour objectifs de :
– réduire les problèmes de santé pouvant découler de la pratique de consommation (contamination par le VIH et les hépatites, abcès, surdose, etc.);
– réduire les nuisances associées à la consommation de drogues illicites dans les lieux publics et semi-publics ;
– améliorer l’accès aux services socio-sanitaires et thérapeutiques;
– et offrir un contexte de consommation qui libère de toute crainte d’appréhension policière et de violence.
Aujourd’hui, les associations d’autosupport, de réduction des risques et de lutte contre le sida, certains élus, les professionnels du champ sociosanitaire, différentes instances d’experts comme le Conseil national du sida, le Comité stratégique du programme national hépatites virales, l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (des instances créées par l’État français), le Conseil de Senlis (centre de réflexion qui regroupe des experts internationaux) et le Réseau des bases factuelles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) demandent de passer à cette nouvelle étape. Dès 2004, le rapport de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) sur les salles de consommation (1) reconnaissait que celles-ci « remplissent leur objectif» et mettait en évidence qu’elles «parviennent à établir un contact avec un groupe hautement problématique de consommateurs de drogues et à promouvoir l’accès de ceuxc-i à des soins de santé primaires dont ils ont grandement besoin ainsi qu’aux services sociaux et de traitement. Le taux de morbidité et les risques de mortalité, ainsi que la nuisance suscitée par consommation de drogue en public, sont consommateurs de drogue à un matériel
d’injection. »

Question d’éthique

L’ouverture ou non des salles de consommation à moindres risques ne semble désormais qu’une question éthique puisque le décret n° 2005-347 du 14 avril 2005 ouvre la possibilité d’expérimenter des salles de consommation(2). C’est d’ailleurs ce que le président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), Didier Jayle, tente de nous expliquer : «Organiser officiellement l’injection de produits illicites pose un problème éthique.» Les politiques de lutte contre la toxicomanie menées sous l’égide de la loi du 31 décembre 1970 n’en soulèvent-elles pas? Est-il éthique d’empêcher l’accès à des mesures de réduction des risques telles que les salles de consommation à moindre risque, en présence d’une somme considérable de résultats d’autres pays qui en démontrent l’efficacité ? Est-il éthique, comme le souligne David Roy (3), «de conserver des approches fondées sur la criminalisation pour contrôler l’usage de drogues alors que ces stratégies échouent à rencontrer les objectifs pour lesquels elles avaient été conçues [Voir également les propos tenus en décembre dernier par Nicolas Sarkozy qui, pour lutter contre les trafiquants, veut s’attaquer aux clients] ; qu’elles engendrent des maux qui sont d’ampleur équivalente à, ou pire que, celle des maux qu’elles sont supposées prévenir ; qu’elles intensifient la marginalisation de personnes vulnérables et qu’elles favorisent la montée au pouvoir d’empires violents et socialement destructeurs? Est-il éthique de continuer de tolérer avec suffisance l’écart tragique entre ce que l’on peut faire et devrait faire, dans l’ensemble des soins aux utilisateurs de drogues, et ce qui est fait dans la réalité, devant les besoins fondamentaux de ces personnes? Est-il éthique de conserver des politiques et des programmes qui insistent sur l’abstinence de l’usage de drogues d’une manière si unilatérale et si utopique qu’on laisse de côté l’urgence qui appelle une attention plus immédiate : celle de réduire les souffrances des utilisateurs de drogues et d’assurer leur survie, leur santé et leur croissance vers la liberté et la dignité? Et n’est-il pas impératif de reconnaître, avec toutes les conséquences éthiques de cette réalité éthique, que les personnes qui font usage de drogues possèdent la même dignité que tous les autres êtres humains?»
La question éthique fondamentale n’est-elle pas l’impératif de prendre adéquatement soin des utilisateurs de drogues ? Inaction consternante Les consommateurs de drogues frontaliers, notamment avec la Suisse, ont compris l’importance de cet outil de réduction des risques et des dommages et l’utilisent. Une étude menée en 2003 par un collectif d’intervenants en toxicomanie de Mulhouse montre que 73,6% des consommateurs sont favorables à l’ouverture d’une salle de consommation à moindres risques(4). Cette étude mulhousienne concluait par : «On ne peut pas se permettre de retarder encore une action qui se fait attendre depuis déjà trop longtemps en continuant à faire des enquêtes qui nous montrent toujours les mêmes résultats, en parlant d’actions pragmatiques que d’autres pays ont déjà faites et évaluées depuis des années. La tragédie sociosanitaire et psychologique parmi les utilisateurs de drogues va se poursuivre encore pendant plusieurs années – en sachant que l’on aurait pu en prévenir au moins une partie si les gouvernements étaient allés au-delà de stratégies électives, au profit d’une réelle action pour faire face aux problèmes immédiats. Jusqu’ici, l’inaction est consternante.
En attentant, sans une action immédiate remédiant à cette situation, de nombreux usagers de drogues continuent de contracter des infections mortelles. »

Note :
(1) Hedrich D., 2004 (february), European report on drug consumption rooms, European Montoring Centre for Drugs and Drug Addiction. Site Web : <http://www.emcdda.eu.int/>.
(2) JO du 15 avril 2005, approuvant le référentiel national des actions de réduction des risques en direction des usagers de drogue et complétant le code de la santé publique.
(3)Roy D., 1999, L’injection de drogue et le VIH/sida : questions juridiques et éthique, Documents de fond, Réseau juridique canadien VIH/sida.
(4)Bertrand B., Sartori M. et Gérome M.L., 2003, Vers l’ouverture d’une structure d’accueil et de consommation à Mulhouse. Résultat de l’enquête interassociative, Mulhouse, ARGILE.
(5)Selon la littérature, une pîquerie est une salle de consommation non autorisée gérée par les consommateurs de drogues.

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