Auto-support et réduction de risques

Durant les dernières années, quelques dizaines de groupes d’auto­support d’usagers de drogues ont vu le jour partout en Europe, particulièrement dans les pays de l’Europe du Nord (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni). En effet, devant l’extension rapide de l’épidémie de VIH parmi la population des usagers de drogues, d’une part, et, d’autre part, l’extrême difficulté de faire de la prévention au sein d’un groupe social clandestin, les pouvoirs publics se sont trouvés devant une situation contradictoire : la drogue est interdite comme son usage, ce qui renvoie les usagers à la clandestinité, alors que la nécessité de stopper rapidement l’épidémie requiert au contraire la visibilité du même groupe comme condition indispensable pour que le message préventif atteigne sa cible.

Résoudre cette contradiction nécessitait l’élaboration de plusieurs modèles qui tentent de réconcilier la prohibition des drogues et les besoins impérieux de la prévention.

Les Pays-Bas et le Royaume-Uni sont les deux pays d’Europe qui ont le plus essayé d’apporter des réponses à cette contradiction. Ils ont élaboré un ensemble de politiques cohérentes basées sur un nouveau principe : la réduction des risques («harm reduction policies»).

Les axes principaux de cette politique sont les suivants :

  • Des programmes massifs de maintenance aux produits de substitution, essentiellement la méthadone.
  • La recherche de nouveaux procédés de travail social : le ciblage systématique des populations difficiles à atteindre («outreach work») et l’éducation par les pairs («peer éducation»).
  • Soutien aux groupes d’auto-support existants («self help groups»), ou encouragement à leur formation s’ils n’existent pas encore.

Ces trois axes de travail, tout en visant des objectifs différents, se retrouvent complémentaires dans leur finalité :

  • L’éducation par les pairs vise au changement du comportement individuel. – Les programmes de méthadone visent au changement dans le style de vie, principalement à la sortie de la clandestinité.
  • L’auto-support vise à changer les normes dans la sous-culture de la drogue par une action «de l’intérieur».du groupe concerné.

Le sida et la difficulté de faire un travail de prévention avec certains usagers «difficiles à atteindre», ont accéléré le rythme de formation de ces groupes avec, dans certains pays d’Europe, le soutien massif des Pouvoirs Publics qui ont bien compris tout l’intérêt et la potentialité d’une telle approche.

En France, la notion d’auto-support n’a pas encore fait son chemin, surtout pour ce qui concerne les «toxicomanes». Il y a effectivement un retard dans la prise de conscience de toute la potentialité de cette approche, surtout en matière de prévention du VIH dans une population par définition difficile à atteindre comme celle des Usagers des Drogues.

Qu’est-ce que c’est l’auto‑support ?

L’auto-support (self-help) est un terme générique qui couvre des réalités qui doivent être distinguées. Dans son acception générale, le terme désigne un regroupement de personnes volontaires, issues de la même catégorie sociale, des “pairs”, en l’occurrence des usagers de drogues, réunis dans le but de s’offrir une aide mutuelle et de réaliser des objectifs spécifiques : satisfaire des besoins communs, surmonter un handicap, résoudre un problème social auquel le groupe est confronté dans son ensemble.

A la base il y a un constat: les besoins de la catégorie sociale à laquelle le groupe appartient ne sont pas ou ne peuvent pas être satisfaits par ou au travers des institutions et mécanismes sociaux existants, d’où la nécessité de l’auto-organisation.

Outre l’aide matérielle et relationnelle, l’auto­support peut aussi viser à promouvoir des idéologies ou des valeurs au travers desquelles les membres forgent et acquièrent une nouvelle identité. Il offre souvent à ses membres une tribune, soit pour informer l’opinion publique sur le problème concernant le groupe ou pour corriger des idées fausses.

Selon une étude réalisée par le NIDA de San Francisco, pour chaque usager en traitement, il y en a sept autres qui sont à la rue avec peu ou pas de contact du tout avec un centre de soins. En France, quoiqu’on ne dispose pas d’étude fiable en la matière, on estime la proportion des usagers en contact avec les lieux de soins entre 10 et 20 pour cent.

En matière de prévention de l’infection au VIH, il est de plus en plus urgent d’identifier ces personnes et leurs partenaires sexuels, ainsi que de trouver les moyens adéquats pour substituer les comportements à risque par des comportements sans risque.

L’auto-support et l’éducation par les “pairs” sont deux méthodes largement utilisées dans certains pays, comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou les États-Unis, et dont l’efficacité est démontrée par de très nombreuses recherches, surtout lorsque ces méthodes sont appliquées dans le cadre d’une politique cohérente de réduction des risques.

Réduction des risques : de quoi s’agit-il ?

La réduction des risques est une théorie de politique sociale en matière de santé qui se donne comme priorité la réduction des conséquences négatives de la consommation de drogues. Elle se présente comme une alternative à la politique “abstentionniste” qui se donne comme priorité de réduire l’usage de drogues, voire le supprimer. Tandis que la première trouve ses racines dans le modèle scientifique propre à la santé publique avec un volet humanitaire et libéral, la seconde trouve ses racines dans la loi pénale dans un cadre paternaliste moral et médical.

La réduction du risque comme stratégie individuelle et collective se résume dans l’idée suivante : s’il n’est pas encore possible pour l’individu d’arrêter la prise de la substance injectable, ou s’il n’en a pas envie, on doit au moins essayer de minimiser le risque qu’il fait encourir aussi bien à lui-même qu’à son environnement. La réduction des risques dans le contexte du sida est une politique contractuelle partenariale entre les Pouvoirs Publics et les usagers, dont le but est de substituer à la “guerre à la drogue” la “paix des partenaires” ; il en résulte un contrat dont le mot-clé est la responsabilité réciproque. Plus la société marginalise les toxicomanes, moins elle peut attendre d’eux qu’ils agissent de manière responsable : ne pas partager les seringues, ne pas les jeter dans les lieux publics, utiliser le préservatif, etc. A l’inverse, moins la société les marginalise, plus elle les intègre dans une politique à visée préventive, plus ils agissent comme des citoyens responsables.

Le renforcement de ces formes de responsabilité protégerait la société d’une catastrophe épidémiologique en contribuant à stopper la progression du virus dans la population toxicomane en particulier et dans la population en général, les toxicomanes ayant naturellement une vie sexuelle, hétéro ou homo, comme l’ensemble de la société.

Pratiquer une politique de réduction des risques suppose l’établissement préalable d’une hiérarchie des buts à atteindre par une telle politique. Cela suppose de savoir quels sont les comportements à changer, quels sont les comportements à acquérir pour réduire les risques et les moyens à mettre en œuvre pour opérer un tel changement.

La décision du “Advisory Council on the Misuse of Drugs”, placé auprès du gouvernement britannique, visant à introduire la politique de réduction des risques est le meilleur exemple à donner. Le Council s’est donné comme objectif de réduire la transmission du VIH parmi les usagers de drogues; la hiérarchie des objectifs fut fixée comme suit : en essayant de réduire le partage des seringues, transformer l’usage par injection en usage oral, réduire la quantité de drogue consommée et finalement promouvoir l’abstinence.

D’autres objectifs secondaires sont aussi visés; en cas de partage, nettoyer ou stériliser les matériels d’injection avant de les passer aux autres partenaires, réduire le nombre de personnes avec qui on partage les seringues, inciter à la consommation de drogues médicalement prescrites au lieu de drogues illicites. L’analogie est faite avec le système de sécurité des acrobates, où lorsqu’un filet se défait il y en a toujours un autre dessous.

Prévention de l’extérieur, prévention de l’intérieur.

La prévention de l’infection au VIH chez les usagers de drogues, pour être efficace, doit opérer et agir simultanément sur trois niveaux :

  • Le comportement individuel (l’individu) ;
  • Le style de vie (le groupe) ;
  • La sous-culture de la drogue (mentalités et représentation sociales).

Si le premier point peut partiellement être réalisé par la prévention conventionnelle au niveau de l’individu isolé (médias, plaquettes, etc…), les deux autres ne peuvent être réalisés que si le groupe social visé est lui-même partie prenante active dans un tel changement. Dans ce sens, le lien entre la réduction du risque et l’auto-support ne peut être plus évident.

La transmission du VIH chez les usagers de drogues résulte d’un comportement social : partager les matériels d’injection ou avoir des rapports sexuels. Prévenir le sida demande donc un changement dans le comportement social (inter-personnel) des usagers. Ces changements affectent l’ensemble des rapports de la personne avec ses partenaires.

Pour cela, toute action visant au changement dans le comportement individuel des usagers sera inadéquate si elle n’est pas accompagnée de changements similaires chez les autres partenaires et acceptée comme telle par eux. Autrement dit, on est prêt à changer soi-même de comportement si l’entourage et les pairs ont déjà changé leur comportement ou sont sur le point de l’être. Le changement de comportement social du groupe produit un changement du comportement individuel.

Partager les seringues par exemple n’est pas toujours le résultat du manque de seringues stériles, ni le résultat de l’ignorance des modes de transmission du VIH. Le comportement individuel tend souvent à s’aligner aux normes dominantes dans le groupe des pairs, ou la sous-culture auxquels l’individu appartient.

Tandis que les actions de prévention de l’extérieur visent à modifier certains comportements au niveau individuel, l’auto-organisation, agissant de l’intérieur, vise en revanche à intégrer, généraliser et enraciner des changements dans la sous-culture de la communauté. Cette dernière devient émetteur et producteur actif de son modèle préventif. La communauté se positionne comme un sujet ; elle est le but et le moyen de changement désiré. Dans le modèle extérieur, elle ne peut qu’être un objet, un récepteur, consommateur passif des informations éclatées visant à modifier certains comportements à risque. La non-prise en compte des liens organiques entre ces comportements et les autres éléments de mode de vie de la sous-culture de la drogue rend malaisée l’intégration des comportements préventifs et, de ce fait, leur application par l’usager est problématique.

Une autre limitation à la portée de ce modèle extérieur résulte de la clandestinité imposée aux usagers, en ce sens que ce modèle ne peut, par sa nature même, toucher qu’une partie infime de ceux auxquels il est destiné; ce qui réduit d’autant son efficacité.

Par contre, la prévention de l’intérieur métamorphose le message préventif en comportement socialement valorisé par les groupes de pairs eux-mêmes. Il en résulte en pratique que le nouveau comportement n’est plus un objet de conflit ou de résistance. Il n’exprime plus une méfiance vis à vis de l’autre mais il devient un comportement ordinaire car il est accepté par tous.

L’auto-support, peut, par ce soutien de l’intérieur, aider à introduire de nouvelles normes de réduction de risques dans la sous-culture de la drogue, ou rendre ces pratiques acceptables et opérationnelles lorsqu’elles existent déjà au niveau individuel : généraliser, enraciner, transformer ces pratiques en normes socialement valorisées parle groupe.

Dans ce sens, l’auto-support pourra contribuer à ralentir, voire même à stopper, la progression du VIH et du sida dans la communauté des usagers de drogues en créant un climat de soutien social en faveur de la réduction des risques et en utilisant l’influence du groupe d’appartenance lui-même comme un levier de ce changement.

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